Quel disque écouter pour oublier le couvre-feu ?
Ciselée, sensuelle, cérébrale : l’œuvre de Löffler commence à compter, sérieusement, dans un paysage électronique un rien monochrome. A l’instar de Pantha du Prince, dont le récent Conference of Trees ne nous lâche pas, il ouvre en grand les fenêtres pour aérer notre quotidien sous cloche (respectant ainsi les gestes barrières, bravo à lui), créant un salutaire appel d’air. Invité par le label Deutsche Grammophon à se plonger dans leurs archives magistrales, il est remonté à la surface l’esprit piqué au vif par tant de splendeurs. Matière mouvante, la musique – d’où qu’elle vienne – n’a pas vocation à être accrochée aux cimaises des musées, épinglée tel un papillon, mais à continuer à vivre aussi intensément qu’aux premiers jours. Le respect qu’elle inspire n’interdisant pas l’audace de la faire sienne. L’interprète est ainsi parfois un réanimateur, électrisant le corps, relançant la palpitation vitale. Loin de les observer craintivement, écrasé par leur beauté, Löffler aborde ces classiques avec le souci de leur offrir un écrin neuf, soyeux. Le grain des enregistrements – vieux de près d’un siècle – offre aux textures imaginées par le musicien un surprenant relief, qui donne la sensation, galvanisante, d’accompagner son expédition en terres lointaines – avec des créations familières (il est remonté de son immersion avec quelques tubes du genre sous le bras) mais à l’étrangeté saisissante. Alchimiste plus qu’historien, plutôt physicien inspiré guidé par ses visions qu’archiviste maniaque, Löffler fait exulter une histoire qui n’a rien perdu de son éclat, de sa force, de sa folie – la langue qu’elle parle n’est pas réservée aux spécialistes amidonné ⸱e ⸱s. Elle s’adresse au monde et à ceux et celles qui l’habitent. Il suffit de tendre l’oreille et d’envoyer valser les préjugés pour la comprendre. Le cahier des charges pouvait évoquer un projet réservé à bercer les conversations des bars d’hôtel : il n’en est ici évidemment rien. Entre sampling délicat et convocation des mannes, transes ravissantes et stases mélancoliques, son disque jette des ponts d’un univers à l’autre – après tout, c’est bien à cela que peut servir, aussi, la musique : nous saisir à bras le corps, à sauter d’un monde à l’autre puis revenir, faire danser ou dérouler un tapis sur lequel s’allonger et penser à….(ce que vous voulez, qui vous voulez). Bref : à défaire la ceinture de sécurité et à se souvenir de Baudelaire : « Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ? Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau ! » Parallels : Shellac Reworks (Deutsche Grammophon) |
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