Qui se cache derrière le succès des plus grands restaurants ?
Texte par Baptiste Piégay
Photographie par Fe Pinheiro
"Le fonctionnement des divers services du restaurant et de la salle à manger est d’une importance capitale." Ainsi parlait Louis Leospo, hôtelier, propriétaire de l’hôtel Alhambra de Nice, dans son essentiel (à qui importe l’histoire de la gastronomie) Traité d’industrie hôtelière : cours théorique et pratique, véritable succès du début du XXe siècle, après sa parution en 1918 (et traduit en japonais et grec, se flatte son auteur dans la préface à sa réédition de 1931)*. Sur plus de 500 pages, il passe en revue les critères à honorer pour être un établissement digne de ce nom, les meilleures cures thermales de France, l’art de divertir ses clients lorsqu’on tient un hôtel en montagne (où l’on trouvera ce superbe conseil :
"Faites parler les vieillards").
Et, bien sûr, il consacre une longue séquence à la codification des arts de la table. En grand ordonnateur du repas, en général délégué par le chef pour porter le combat de sa cuisine, le maître d’hôtel. "Il faut être de la partie pour savoir en quoi consiste le rôle complexe et difficile de maître d’hôtel. Parfois, on lui suppose une charge équivalente à celle d’un maître d’hôtel privé. Les “profanes” qui font cette erreur d’appréciation seraient surpris en apprenant tout ce que la fonction d’un vrai maître d’hôtel exige de connaissances, de facultés spéciales, de réelles qualités." Leospo précise "les détails du caractère […] : érudition, science pratique, esprit d’initiative, prompt à accomplir les améliorations, énergie, précision, esprit méthodique, goût sûr, équité." Son talent consiste aussi bien à réserver les bouteilles inachevées en prévision du retour du client, à s’enquérir en amont de ses horaires de train pour faciliter le déroulement de son repas, qu’à le guider dans ses choix, en ayant le souci d’un "spectacle […] comparable à un mécanisme d’horlogerie." Il lui incombe évidemment de choisir son équipe : "Il s’efforce de […] recruter avec toutes les garanties désirables."
Une nouvelle approche
Un siècle a passé, les attentes des dîneurs ont connu bien des révolutions, la critique – professionnelle ou amateur – a pris une ampleur parfois décisive pour un carnet de réservations, et le Michelin réfléchirait à un pictogramme honorant le service en salle. Depuis le lycée hôtelier de Biarritz, Gil Galasso, champion du monde des maîtres d’hôtels (2009) et Meilleur ouvrier de France du genre (2003), où il enseigne l’art du service en salle, cogite sérieusement à la modernisation de cet art ancien. "Contrairement à nos amis cuisiniers, qui sont à la recherche permanente d’évolution, écrit-il sur son blog**, le service en salle est souvent figé dans son passé, techniques obsolètes et comportements d’un autre temps." Il aspire ainsi à proposer "une nouvelle approche, basée sur l’esthétisme, la sincérité, l’élégance, la gentillesse et les arts du spectacle". Les directeurs de salle rencontrés opèrent dans des tables étoilées parisiennes, et portent haut les couleurs du service en salle – avec fidélité et modernité. * Consultable sur http://gallica.bnf.fr ** www.nouveauservice.wordpress.com
Antoine Pétrus
Philippe Cousseau
Mathieu Foureau