Jon Hamm : "Je viens d’une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas"
Avec sa nouvelle série “Your Friends & Neighbors”, l’acteur de “Mad Men” coche les trois cases qui le motivent : un personnage loin de Don Draper, un point de vue solide et un scénario captivant.
Texte LAUREN LARSON
Photographie MAGNUS UNNAR
Stylisme WARREN ALFIE BAKER
Dans la scène d’ouverture de Your Friends & Neighbors, la nouvelle série Apple TV+ de Jonathan Tropper, une jeune femme se couche près de son personnage, Andrew “Coop” Cooper, un gestionnaire de fonds de placement. Après un échange badin, elle l’évalue : “Vous êtes un étrange mélange de confiance en soi et de faible estime de vous.” On découvre que Coop est célibataire depuis peu, sa femme (Amanda Peet) l’ayant quitté pour un sportif professionnel. Il se croit tombé au plus bas, mais il va bientôt toucher le fond, bien plus profond. Cette femme – une collègue – et lui couchent ensemble, et la relation – de l’aveu des deux parties, consensuelle et respectueuse de leurs liens hiérarchiques au sein de leur entreprise – propulse Coop dans une série de désastreuses aventures.
Bien que Your Friends & Neighbors soit différente de Mad Men, on peut facilement imaginer un directeur de casting en lire le scénario et penser immédiatement à l’acteur : son DonBDraper était lui aussi un fascinant mélange d’assurance et de fêlure. On comprend tout aussi facilement que Jon Hamm, à 54 ans, ait été attiré par un portrait d’homme si détaillé. Il lit souvent des biographies, me dit-il en cet après-midi de début février. Il m’appelle depuis son bureau, et il scrute maintenant le contenu de sa bibliothèque – 60 % de fiction et 40 % de non-fiction, estime-t-il. Il a en ce moment trois livres en cours, trois biographies, et vient d’en terminer une nouvelle de Lorne Michaels [producteur de Saturday Night Live], qu’il connaît depuis des années. “Je ne savais pas grand-chose de son enfance, et c’est généralement quelqu’un de plutôt réservé”, dit Jon. Mais alors qu’il découvrait la jeunesse de son ami, il dit avoir été fasciné par la façon dont la légende Michaels s’est construite. “Vous commencez à en repérer des indices ici et là au fil de sa vie et de son œuvre.” Your Friends & Neighbors faitNl’inverse : c’est à la déconstruction de la vie de Coop qu’assiste le spectateur.
Quand Jon Hamm retrace ses projets télévisuels d’avant Your Friends & Neighbors – Fargo, The Morning Show et Landman, un drame sur l’industrie pétrolière dans lequel il incarne un magnat insensible –, il leur trouve deux points communs, des atouts à ses yeux : des personnages qui ne lui paraissent pas rebattus, et des histoires à l’angle bien défini. Landman, par exemple, explore la tension qui naît des ravages provoqués par une industrie pétrolière à laquelle les Américains sont pourtant totalement dépendants. “Personne n’ignore que les ressources en pétrole sont limitées, personne n’ignore que cela, par bien des aspects, produit un monde plus dur et bien pire. Le sujet, c’est : qu’est-ce qu’on fait à la place ? Et comment on fait ça d’une façon qui va satisfaire nos besoins ? Je trouve que c’est un point de vue fascinant.”
Dans Your Friends & Neighbors, le point de vue de Coop se voit infliger un virage rapide et radical. Habitué au niveau de vie d’un gestionnaire de fonds, Coop est viré sans ménagements dès le premier épisode. Il ne parle qu’àpeu de gens de ce revirement de situation, mais une rupture a bien eu lieu. Post-licenciement, il évolue parmi son cercle tel un étranger, déçu par la superficialité de ses anciens amis. Nos possessions et notre statut sont éphémères, découvre Coop – et le spectateur se le voit rappeler chaque fois que le fichu coffre de la voiture de luxe du héros s’ouvre à l’improviste. “Tout cela semble bien précaire et, si on est un peu cynique, bien insignifiant, dit Jon. Est-ce que tout ça a vraiment un sens si ça peut disparaître en un clin d’œil ?” Une question qui conduit son personnage à voler ses amis.
Le fait que Jon Hamm soit si réfléchi me surprend, sans doute parce que je me suis bingé 30 Rock pour la neuvième fois et que j’ai fini par le confondre avec son personnage dans la série, un amoureux [de Liz Lemon] dont la beauté l’a profondément déconnecté du commun des mortels. Jon Hamm, lui, n’hésite pas à approfondir une discussion ou à confronter ses certitudes. Alors qu’il décrit l’antimatérialisme de Your Friends & Neighbors, il évoque les récents incendies qui ont dévasté des quartiers de Los Angeles. Ceux-ci, me dit-il, nous ont appris avec quelle rapidité votre situation peut changer, mais ont aussi mis en évidence le poids écrasant des biens matériels, ou de leur perte. “Bien sûr que les choses que l’on acquiert ont du sens pour nous, dit-il. Mais peut-être qu’elles n’en ont pas autant qu’on veut nous le faire croire. La valeur qu’on leur accorde n’est pas forcément celle que lui attribuent les compagnies d’assurances.”
Il est donc naturel que Jon soit attiré par des programmes quiNsollicitent son cerveau tout entier – une télé qu’on “absorbe par tous ses pores”, comme il le dit. Il apprécie d’avoir des émissionsNen fond sonore : il nous dit que lui et sa femme, l’actrice Anna Osceola, se passent souvent les émissions de Bobby Flay [chef cuisinier américain] lorsqu’ils cuisinent. Mais jouer dans desNséries que l’on ne regarde que distraitement ne l’intéresse pas plus que ça. Ces shows prolifèrent, au point qu’Eunice Kim, une cadre de Netflix, a annoncé en 2023 engager une nouvelle approche stratégique du “second écran”, reconnaissant ainsi que les spectateurs regardent souvent la télé leur portable à la main. Mais Jon Hamm est l’homme d’un seul écran.
Il est parfaitement au courant de l’évolution des habitudes en matière de consommation télévisuelle, en premier lieu parce que l’avènement de Mad Men s’est accompagné de celui des “récaps”, dont l’omniprésence nous paraît aujourd’hui naturelle. Jon se souvient d’être allé consulter “Basket of Kisses”, un blog passant en revue chaque épisode de la série. Il traînait sur le site, lisait les commentaires. “On y trouve toutes les théories de fans, ça suscite des discussions. Heureusement, moi, je ne suis jamais tombé là-dedans. Je commençais à lire les commentaires, et puis ça devenait un peu limite, et je me disais : ce n’est pas sain ; je sais que ce n’est pas sain et il est impossible de s’en mêler de façon productive. Cela dit, je lisais les récaps. Ça me fascinait de voir l’avis des gens. Et il me semble que c’est une nouvelle façon de regarder la télévision, qui permet, sinon en temps réel du moins dans un délai très court, de voir ses opinions validées.” Aujourd’hui, après avoir regardé un programme qu’il a aimé ou non, il va encore sur Internet pour lire ce qu’en pensent les autres.
Mais Jon Hamm se méfie surtout des réseaux sociaux, sur lesquels il n’apparaît jamais publiquement, et n’avoue aucun compte privé. “Je viens d’une époque où ça n’existait pas, alors je ne m’en suis jamais vraiment occupé”, dit-il. Il remarque que sa femme, qui à 36 ans, est du même avis. Le couple n’a aucune intention d’amasser les followers, et l’acteur trouve futile de se bâtir une présence sur une plateforme susceptible d’être remplacée au bout de cinq ans. “On sait tous maintenant à quoi ça sert vraiment, et quel est leur but réel : siphonner vos données pour pouvoir vous vendre plus facilement tout ce qu’ils veulent, dit-il. Les gens font de grands discours sur leur vie privée qui doit le rester, et puis chaque jour ils ouvrent grand les portes de leur maison et de leur vie. Volontairement.”
l reconnaît que le fait d’être une célébrité nourrit peut-être son attitude radicale à l’endroit des réseaux sociaux. Après Mad Men, il a passé trente jours en cure de désintoxication : il y est allé pour plusieurs raisons, dit-il : “C’étaient mes raisons, elles n’avaient pas à être divulguées.” TMZ s’est emparé du sujet, reproduisant un communiqué de l’équipe de Jon Hamm appelant à la discrétion et au respect de sa vie privée sous le titre “Jon Hamm sort de cure de désintox à l’alcool”. “Les Alcooliques anonymes sont anonymes pour une bonne raison, et les lois HIPAA de protection des patients ne sont pas là pour rien non plus. Mais c’est compter sans la veulerie des gens. Ils savent qu’il y a un marché pour ces informations”, dit Jon. Un sale article du Daily Mail, dit-il, “ne va pas à lui seul à bouleverser réellement la vie de qui que ce soit, sauf momentanément, mais c’est suffisant pour affecter quelqu’un sur lequel ce journal fait son beurre, et c’est ça qui est triste, vraiment”. Souvent, les célébrités tempèrent leurs commentaires lorsqu’ils décrivent l’invasion de leur vie privée par les journalistes et les réseaux sociaux : ils ne veulent pas se plaindre, ils savent qu’ils sont privilégiés, ils sont si reconnaissants envers leurs fans. Pas Jon Hamm, mais ce n’est pas parce qu’il est ingrat ou qu’il ne se considère pas comme privilégié. Pour lui, c’est un fait : être une célébrité aujourd’hui peut être émotionnellement difficile à gérer. “Absolument personne n’est à l’abri. Si vous vous approchez de cette machine, vous finirez par être bouffé.”
Il pense qu’il y a deux façons d’affronter cette vérité. On peut éviter les réseaux sociaux, comme il le fait, ce qui vous laisse sans défense lorsqu’on parle de vous, sans aucune plateforme pour vous défendre en cas d’erreur. “Ou vous pouvez jouer le jeu. Vous pouvez avoir un certain contrôle, dit-il. Pour ma part, je n’ai pas voulu devenir un social média manager. La plupart des gens ne gèrent pas vraiment leurs réseaux eux-mêmes, mais je ne veux pas non plus engager quelqu’un pour le faire. Je ne veux pas être responsable de cette personne si elle fait une bêtise, se trompe de nom ou de pronom.” Les acteurs qui débutent aujourd’hui n’ont pas toujours ce choix : pour se démarquer dans une vaste foule de visages connus aux nombreux followers, les nouveaux arrivants ne doivent pas seulement être présents sur les réseaux, ils doivent aussi apporter quelque chose de neuf, d’exceptionnel. Je fais remarquer à Jon Hamm qu’il est probablement l’un des derniers acteurs à avoir accédé à la notoriété avant cette nouvelle ère. “C’est très vrai. Ça s’est développé sous nos yeux. L’iPhone est sorti en 2007, Mad Men en était à sa deuxième année de production. Et à la fin de cette année-là, on avait tous lâché nos portables à clapet pour un iPhone”, se souvient-il. Puis ce fut l’ascension de Twitter, suivi d’Instagram. “À un moment, ça m’attirait beaucoup ; au début, quand ça se développait, quand c’était encore gérable. Mais quand ces applis ont eu deux, trois ans, c’est devenu dingue, et mondial, instantanément, et ça m’a terrifié.”
Coop n’est (heureusement) pas le reflet de Jon Hamm. Mais le personnage et l’acteur ont en commun d’avoir été déçus par la superficialité. L’un s’en console en volant les montres de ses amis. L’autre, en faisant de la télévision que l’on absorbe par tous ses pores.
GROOMING Kim Verbeck @ THE WALL GROUP
SCÉNOGRAPHE Abraham Latham @ DÉPARTEMENT ARTISTIQUE
CONSULTANTE CRÉATIVE Mariana Suplicy
ASSISTANT Scénographe Jacob Pillot
ASSISTANTE STYLISTE Brittany Guereque