Sous l'influence de Gracie Abrams
Sous les feux de la rampe après avoir assuré les premières parties des tournées d'Olivia Rodrigo et de Taylor Swift, il vient de sortir un premier album sensible et mélancolique intitulé "Good Riddance".
Mise en lumière après avoir assuré les premières parties des tournées d’Olivia Rodrigo et Taylor Swift, Gracie Abrams vient de publier un brillant premier album aux airs délicats, sensibles et mélancoliques. Amie de la Maison Chanel, dont elle a porté les créations lors de ses concerts en ouverture de Taylor Swift, chantant également à l’occasion de l’inauguration de la boutique éphémère dans les Hamptons en juillet 2022, elle nous a répondu depuis Los Angeles.
Photographie AIDAN CULLEN
Stylisme JENNIFER EYMÈRE
L'OFFICIEL : Comment définiriez-vous l’ADN de la Maison Chanel ?
Gracie Abrams : Intemporel, féminin, classique et puissant. J’aspire à être à la hauteur de ces critères ! Je me suis connectée à l’essence de cette prestigieuse Maison, qui a été tellement généreuse avec moi. J’ai commencé à porter du Chanel il y a trois ans (notamment lors d’un shooting pour L’Officiel en septembre 2020, ndlr)
LO : En tant que compositrice, établissez-vous des parallèles entre l’écriture et l’exigence artistique et artisanale de leur approche de la création ?
GA : Quand vous créez quelque chose, vous avez nécessairement un respect inhérent et de l’admiration pour les autres créateurs. Même si mon écriture n’entretient pas forcément un rapport avec leur Atelier, je sens qu’il y a un respect partagé pour le soin apporté à ce que nous faisons, dans le processus émotionnel. Nous ne pensons pas uniquement à nous-mêmes, mais aussi à la façon dont nos créations seront perçues.
LO : Vous avez donc à l’esprit votre public quand vous écrivez ?
GA : Oui et non. Quand je suis en train d’écrire, c’est une démarche profondément personnelle, j’explore ce que je suis en train de traverser, émotionnellement. Ceci dit, la réception que l’on réservera aux chansons me traverse parfois l’esprit. Je ne remets pas pour autant en question mon instinct, car le public, si bienveillant, a toujours bien accueilli mon travail. Je me suis parfois demandé si certaines chansons n’étaient pas trop intimes, mais ce sont souvent elles qui ont été le mieux reçues, qui ont résonné le plus fortement. J’ai la chance d’avoir une relation magnifique avec le public.
LO : Vous regrettez parfois de vous montrer très vulnérable ?
GA : Je n’établis pas de barrière entre ce que je devrais raconter ou pas. Je ne m’interdis rien. Pour ce qui est des réseaux sociaux, je me protège bien plus qu’à une époque.
LO : Vous écrivez parfois d’un point de vue fictionnel ?
GA : Je m’inspire toujours de ma vie. Mes premières chansons ne créaient pas de personnages, elles étaient plutôt assez cathartiques, parlaient de mes sentiments. En donnant de plus en plus de concerts, je vois les réactions des gens, leurs rires, leurs larmes, ce sentiment de partager quelque chose. Nous traversons tous les mêmes expériences, il y a quelque chose d’unificateur à partager ses émotions. L’exercice d’écrire en inventant un personnage est très amusant, mais je crois que cela revient à porter un masque sur des sentiments qui me sont propres.
LO : D’un côté, il y a l’école Joni Mitchell, qui parle ouvertement d’elle, et de l’autre, il y aurait Bowie, qui traite aussi de sujets universels mais s’est inventé des personnages tout au long de sa carrière pour les incarner…
GA : Bowie avait un sens de la scénographie, avec des costumes incroyables, du maquillage… tandis que Joni se présentait telle quelle. Mais le lien entre eux tient à ce qu’ils racontent des histoires, ce sont des compositeurs, et qu’ils se présentent dans une mise en scène forte ou très épurée, l’impact est le même, ils touchent à quelque chose de très profond. J’ai une immense admiration pour les deux.
LO : Quels artistes vous ont donné envie d’écrire ?
GA : The Cranberries, Joni Mitchell, R.E.M, Elliott Smith, et bien sûr Taylor Swift ! Mes parents ont d’excellents goûts, que je partageais. Patti Smith, par exemple.
LO : Est-ce que trouver votre propre voix vous a demandé beaucoup de travail ?
GA : Elle change avec le temps… Lorsque vous avez le privilège de partager votre travail, très tôt, vers 15 ou 16 ans en ce qui me concerne, vous ne pouvez pas ne pas changer radicalement, et parfois très vite ; deux semaines peuvent sembler dix ans en termes de bouleversements émotionnels. Mes chansons reflètent ce parcours. Les précédentes versions de moi-même existent encore sous forme des chansons que j’écrivais il y a des années, comme des petites capsules temporelles, sur internet. Mais mon identité reste la même, je perçois mon évolution, même si je ne reconnais pas toujours cette personne… Je suis soulagée d’avoir pu évoluer, je travaille et je cherche toujours à m’améliorer.
LO : Quelles sont vos méthodes de travail ?
GA : Neuf fois sur dix, j’écris assez vite, d’une traite. Parfois, je laisse une composition de côté, et j’y reviens un an après. J’aime l’idée de me laisser guider par une pulsion d’écriture, et ne pas arrêter avant d’avoir achevé la chanson. J’écris dans mon journal tous les jours, cela me tient dans un bon état d’esprit, et me sert aussi de base de travail. Ces derniers mois ont été assez prolifiques, mais inévitablement il y aura des périodes moins productives. Faire preuve de patience pour laisser venir les idées, ce n’est pas mal non plus.
LO : Vous avez une idée d’où naissent les chansons ?
GA : De conversations que j’ai avec moi-même. Des gens que je croise, des sentiments…
LO : Qu’est-ce que cette tournée avec Taylor Swift vous a appris ?
GA : Elle m’a rappelé l’impact que peut avoir le simple fait de raconter des histoires. À chacun de ses concerts, il y a des milliers de spectateurs qui viennent d’horizons très différents, qui se réunissent autour de ses chansons et des souvenirs qu’ils leur associent, de manière très profonde. Elle leur fait un tel cadeau… Je n’ai jamais vu quoi que ce soit de pareil à l’intensité des émotions qu’elle leur procure. J’ai aussi appris d’elle, en tant que modèle et aussi amie, la capacité à tout gérer : son travail bien sûr, mais aussi la joie à faire ce métier, la reconnaissance, l’épuisement, et la gratitude d’éprouver cette fatigue. Tout en restant une amie géniale. La voir chanter quatre heures, plusieurs fois par semaine, avec une telle énergie, explorer tellement de domaines, en tant qu’artiste, en tant que femme, est profondément inspirant. Son courage à sortir des sentiers battus est aussi une source d’inspiration.
"Quand on a le privilège de commencer à travailler très jeune, vers 15 ou 16 ans dans mon cas, on ne peut s'empêcher de changer radicalement, et parfois très rapidement ; deux semaines peuvent ressembler à dix ans en termes de bouleversements émotionnels"
LO : Est-ce que cette tournée vous a inspirée ?
GA : Voyager pour le travail est une chance fabuleuse. Tourner est une expérience à la fois étrange et amusante, vous restez si peu de temps au même endroit… mais j’enregistre chaque détail, j’observe les gens, je découvre les villes dès que j’ai un peu de temps…
LO : Quelles autres formes d’art influencent votre musique ?
GA : Tout est source d’inspiration. La façon dont deux personnages interagissent dans un film, par exemple. La poésie me donne beaucoup d’idées, le rythme des vers, les césures, etc. Certains poèmes ont changé ma façon d’écrire. Je lis beaucoup l’œuvre de Mary Oliver ces temps-ci, ma mère l’aime beaucoup, j’ai grandi entourée par ses livres. Ils m’apportent beaucoup de sérénité dans les périodes un peu étouffantes.
LO : Vous sentez-vous investie d’une responsabilité de vous exprimer sur des sujets sociétaux, politiques, etc. ?
GA : Comme n’importe quel être humain, je crois, que vous ayez dix followers ou un public plus large. J’essaie de mettre en lumière les activistes dans les domaines qui me tiennent à cœur, . Avoir cette possibilité à travers mon travail est une grande chance, pour atteindre de nouvelles personnes, et surmonter la désinformation. C’est un privilège, mais pas une obligation.
LO : Comment construisez-vous votre style vestimentaire ?
GA : De manière de plus en plus intuitive. Je sais exactement ce que j’aime porter. S’habiller pour les nombreux concerts que j’ai faits ces derniers temps a eu une influence sur mon quotidien. Je portais souvent un jean baggy avec une chemise à manches longues, ou un pantalon de jogging et un hoodie. Les habits changent votre énergie, je m’amuse beaucoup plus. J’essaie d’avoir un nouveau rapport à la mode, sans laisser les standards idiots sur les critères de beauté que l’on impose aux femmes guider mes choix.
LO : Rêvez-vous de musique ?
GA : Je ne me suis jamais réveillée avec une mélodie à l’esprit. Mais j’ai beaucoup rêvé des tour-bus, des salles de concert, des foules… J’adorerais rêver de chansons parfaitement écrites du début à la fin.
Coiffure : Bobbie Elliot @THE WALL GROUP
Maquillage : Loftjet @THE WALL GROUP
Assistants photo : Sophie Hall-Mochkatel et Derek Perlman
Assistant styliste : Kenzia Bengel de Vaulx