Qui es-tu, Sofia Crociani ?
Photographie par : Sergio Corvacho
Qui vous a donné le goût de la mode ?
Sofia Crociani : Ma mère et ma grand-mère. Elles m’ont transmis leurs vêtements : je garde d’elles des tenues de soirée, de fête, toutes sur mesure, comme ces robes en mousseline finies à la main qu’on trouvait dans les années 1920... Quand maman sortait et qu’elle venait me dire bonsoir, elle portait toujours des tenues incroyables sous lesquelles elle glissait de hauts talons. J’aimais m’endormir sur cette image.
C’est pourquoi vous avez préféré la couture au prêt-à-porter ?
Le choix de la couture est lié à la transmission du vêtement, au fait qu’on puisse hériter de quelque chose. La couture, à travers le savoir-faire, la beauté des matières, permet à la mode de tutoyer l’art – en ce qu’elle transforme un objet fonctionnel et éphémère en objet pérenne. Le vêtement n’a plus seulement la fonction d’habiller une silhouette, il doit aussi la sublimer.
Qui vous a inspiré cette démarche ?
Beaucoup de couturiers, comme Gabrielle Chanel et la totale liberté dont ses vêtements témoignent, mais aussi Jeanne Lanvin... Je me réfère beaucoup aux femmes, même si j’ai travaillé par le passé dans une maison – Dior – qui a eu jusque très récemment une vision plutôt masculine de notre sexe. Dans notre métier, il se révèle souvent important que d’autres femmes prennent soin de la femme.
Précisément, quand vous habillez une femme, vous pensez à la femme... ou aux femmes ?
Quand j’habille une femme, je pense à elle et à son histoire. Je n’essaie pas de la faire devenir les icônes qui m’ont inspirée. Évidemment, il y a toujours des histoires qui interviennent dans la création d’une collection. Quoique je ne puisse même pas parler de collections concernant Aelis Couture, car j’essaie d’y créer des vêtements qu’on présentera de nouveau la saison suivante.
En espérant ainsi enrayer la surconsommation ?
Chacun de nous doit apprendre à aimer ce qu’il porte, et à l’aimer à travers le temps. Pas à le détruire, le jeter, avoir une approche frénétique dans la consommation. Ce message s’ancre dans une réflexion plus ample renvoyant à l’écologie, au respect de la nature mais aussi à celui de l’être humain et de toute autre forme de vie. Pour inciter à la non-consommation, il faut concevoir des choses qui durent. Des choses faites dans le respect d’un système qui a mis des millions d’années à créer ce qu’il a créé.
Cette vision d’une mode qui va lentement a-t-elle joué un rôle dans vos choix de vie ?
Absolument. J'ai emménagé à Paris à 22 ans, alors que je venais de terminer mon école de mode et que je finissais mes études d’architecture. Dans cette ville, si importante pour moi, j’ai tout de suite vécu à toute allure. Jusqu’au moment où j’ai dû dire stop pour des raisons personnelles. Il m’a donc fallu mener mon existence à deux vitesses. Il y avait la mode, pour laquelle je faisais le tour du monde, en faisant du consulting pour Karl Lagerfeld notamment. Et il y avait la Toscane. Coupée du monde, mais vivant sur une terre où les Étrusques et les Romains avaient évolué, j’ai alors pris conscience que je faisais partie d’un système cyclique. Un système modéré, équilibré, entre l’homme, la nature, et l’art que l’être humain peut développer.
Parlez-nous de cette maison en Toscane...
Je vis dans une maison dont les fondations sont d’origine romaine. Elle a été restructurée avec des matériaux 100 % organiques, selon les normes de l’éco-architecture. L’eau que j’utilise arrive de la source attenante, puis elle passe par un système de filtres en chanvre naturel épurant les particules en suspension. Pour le chauffage, j’emploie une chaudière alimentée avec le bois et les noyaux d’olive des arbres de la propriété.
L’écologiste que vous êtes est-elle amatrice de design ?
Ici, beaucoup d’éléments d’ameublement sont des pièces qui appartiennent à la famille : un lavabo en marbre du XVIe siècle, un fauteuil Gio Ponti de 1960, une chaise “Wassily” de Marcel Breuer... Pour les tissus, je suis une inconditionnelle du chanvre japonais Majotae développé par Shinichiro Yoshida et Genbei Yamaguchi. J’aime aussi Alibrando Dei et ses dalles de travertin, Eva Jospin, une plasticienne française qui a imaginé des murs sculptés en carton recyclé... Enfin, certaines pièces exposées ici sont l’œuvre d’artistes amis invités à séjourner dans la maison. La plupart d’entre eux ont choisi d’utiliser les matériaux qu’on trouve dans la propriété.
Qu’emporteriez-vous sur une île déserte ?
Une rivière de diamants Cartier ayant appartenu à ma grand-mère, des semences de blé Senatore Cappelli et de chanvre White Widow et, enfin, un miroir.