Qui est Roxanne Varza, la protégée de Xavier Niel ?
Vous nous recevez au premier étage de STATION F, dans un bureau vitré avec vue sur tout le bâtiment. Que ressent-on quand on dirige un tel lieu ?
Roxanne Varza : Tout le monde me pose la question ! Ça fait maintenant un peu plus de deux ans que je travaille sur le projet, près de six mois que nous sommes effectivement ouverts, ça a vraiment changé les choses. Après ces mois de préparatifs, nous sommes désormais en contact permanent avec les start-up, des gens du monde entier nous rejoignent, nous rendent visite, viennent s’inspirer du lieu. Des entrepreneurs quittent parfois leur pays d’origine pour créer leurs entreprises chez nous. Je suis ère de voir une telle effervescence, six mois seulement après le lancement de STATION F !
Vous avez participé aux travaux de reconstruction du bâtiment, une expérience plutôt originale au regard de votre CV ?
On a commencé les travaux en 2014, je suis arrivée un an plus tard. À la base, la construction n’est pas du tout mon secteur, j’ai appris beaucoup de choses. Ça ressemble à la conception d’un produit hardware, il faut l’imaginer, le développer, veiller à sa concrétisation. Avant même de rejoindre Xavier Niel sur le projet, ce dernier m’avait demandé mon avis sur STATION F. Il voulait que je lui fasse part de mon expérience des autres incubateurs, que l’on s’inspire ensemble de ce que l’on voyait ailleurs. À l’époque, je ne savais pas qu’il me nommerait à la tête de STATION F. J’avais donné un avis indicatif.
Comment se sont noués les premiers contacts avec Xavier Niel ?
Je l’ai rencontré pour la première fois en 2010, à l’occasion d’un événement chez Microsoft. Steve Ballmer et des entrepreneurs français comme Marc Simoncini et d’autres étaient présents. Beaucoup de gens d’ordinaire inaccessibles, avec qui il faut prendre rendez-vous pour espérer discuter. Au cours de cet événement, quelqu’un m’a présenté à Xavier Niel. Xavier m’a dit connaître mon travail de journaliste chez TechCrunch, j’étais un peu surprise. Quand le projet STATION F a été lancé, il m’a sollicitée. Il voulait mon point de vue et bénéficier de mes expériences à Londres et à San Francisco. On a échangé par e-mail et, rapidement, il m’a invitée à rencontrer les architectes du lieu. Tout s’est fait assez vite!
Vous avez grandi aux États-Unis, travaillé deux ans et demi à Londres. Comment ressentez-vous le fait de travailler désormais en France, dans un pays où l’on fait d’ordinaire peu confiance aux jeunes ?
Moi, je ne le ressens pas trop puisque j’évolue dans le milieu des start-up, un secteur où les frontières n’ont pas vraiment d’importance. Souvent, les gens me regardent un peu étonnés, en se demandant pourquoi j’ai quitté San Francisco et les États-Unis, considérés comme l’endroit où il faut être. Bizarrement, depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche et celle d’Emmanuel Macron à l’Élysée, c’est un peu moins le cas, le rapport s’est presque inversé !
Qu’est-ce qui vous inspire chez Xavier Niel ?
J’adore sa façon de vouloir refaire le monde ! Il dit toujours qu’il est pirate ou hacker. Il n’a pas peur d’être ambitieux, ni de vouloir faire évoluer les grands modèles, ces grands cadres qui nous semblent immuables. Il est très modeste par rapport à ce qu’il a accompli. Et puis il a un côté “humain”, accessible. C’est très appréciable ! Au quotidien, Xavier n’a pas de rôle opérationnel dans le projet, l’équipe STATION F gère de manière indépendante. Mais il nous aide régulièrement sur les sujets stratégiques et son point de vue est fondamental pour nous.
Mille start-up sont présentes ici...
Nous avons 30 programmes pour un total de 1 000 start-up. La plupart durent entre trois et six mois. Le Founders Program, qui est géré directement par STATION F, a une durée illimitée mais nos espaces sont plutôt adaptés à de petites structures de moins de 15 salariés. Avec des exceptions de 20 salariés ou plus, répartis en plusieurs endroits.
Beaucoup de choses ont été écrites à votre sujet. Comment accueille-t-on cette médiatisation soudaine ?
Encore aujourd’hui, je refuse systématiquement les portraits. Mais cela fait partie du jeu, il faut incarner le bâtiment, le raconter, expliquer sa fonction : c’est mon rôle ! Je n’étais pas toujours très à l’aise de voir ma vie déballée dans
la presse. Et puis comme je ne suis pas française, j’ai parfois du mal à savoir comment ce que je livre sera interprété
par mon auditeur.
Votre parcours sort de l’ordinaire. Vous avez commencé par des études de littérature française à UCLA, avez enchaîné par des expériences très business avant de vous intéresser à la tech. Les profils comme le vôtre sont rares en France...
C’est amusant de voir les choses comme ça ! J’ai fait des études de littérature aux États-Unis car je voulais vraiment maîtriser le français. J’ai toujours voulu m’installer à Paris. Ensuite, le master que j’ai fait (à Sciences-Po et à la London School of Economics, ndlr) m’a permis de découvrir de nouveaux horizons. J’utilise tout cela ici. Bien sûr, je découvre certains aspects de mon travail actuel. Il y a des choses totalement inédites ici, c’est un peu l’avantage de la fonction !
Si l’on devait faire le bilan de STATION F, que pourrait-on dire ?
Énormément de choses ! Cela fait sept mois que nous sommes officiellement lancés. Je dis toujours que la première année d’activité permet de dessiner des perspectives pour l’avenir. C’est une forme de bêta-test. On observe tout, on corrige certains aspects, quelques bugs. Il y a toujours des choses à reprendre. On a ouvert très rapidement après un dégât des eaux qui a compliqué notre tâche. D’emblée, nous avons accueilli des milliers de personnes. Dès la première semaine d’activité, il y avait 1 500 personnes. C’est énorme ! Ce qui m’a surprise, c’est la bonne volonté générale qui règne ici. Parfois, on se trouve bloqués, on réfléchit ensemble, les start-up sont compréhensives. Pour revenir au bilan : des start-up sont toujours en cours d’installation. Certains éléments du projet n’ont pas encore vu le jour, notamment le co-living et le restaurant.
Pour le restaurant, vous avez une date d’ouverture ?
Fin mars-début avril. Disons au printemps (il s’agira du dernier-né de la galaxie Big Mamma, le Mamma F, aux ambitions aussi grandes que ses fameuses pizzas : 3 500 m2 d’espace et plus de 1 000 places assises. Leur objectif est de servir 5 000 clients, ndlr).
Dans l’imaginaire collectif, l’incubateur de start-up est un petit lieu qui fourmille. STATION F, par ses dimensions hors normes, casse cette image...
En réalité, il n’y a pas un mais 30 incubateurs ! Nous proposons de nombreux services pour faciliter la vie des investisseurs. L’objectif est de créer un écosystème favorable aux développements des structures. On ne voulait pas que les start-up perdent leur temps à chercher des services à droite à gauche. Ils ont tout sous la main ici : des investisseurs, des services publics, des machines pour créer leurs prototypes. Les programmes de STATION F ont chacun leurs experts. Les start-up mutualisent souvent leurs ressources internes. Certains designers présents travaillent pour plusieurs structures à la fois. Les effets d’échelle marchent bien.
Les défis pour la suite ? Avez-vous une feuille de route ?
Moi, j’ai prévu de rester là ! Pour le reste, il s’agit surtout de s’assurer que tout fonctionne bien. Le premier enjeu, c’est la fédération et l’animation de la communauté STATION F. Dans un second temps, il y a le co-living que nous évoquions plus tôt. C’est un projet de grande envergure visant à loger 600 entrepreneurs. Il y a tellement de choses à préparer. Ce sera à Ivry-sur-Seine, à quelques minutes d’ici.
Comment gère-t-on l’appétit des politiques qui viennent et se servent parfois de STATION F pour moderniser leur image ?
Pour nous, cela reste bénéfique ! Quand le président Emmanuel Macron est venu pour l’inauguration, l’effet a été excellent. C’est un univers qu’il connaît, il parle le langage start-up, il a rencontré les investisseurs. Cela nous a servis. Par la suite, différents ministres et des ambassadeurs sont venus pour évoquer divers sujets. L’innovation est partout, même dans les domaines réputés sans lien direct avec la tech. Dans la médecine, dans l’éducation, dans l’industrie, dans la sécurité... les technologies développées ici sont précieuses. Tout cela est bénéfique.
Du coup, vous travaillez pour la France ?
Oui ! D’une certaine façon, on peut dire ça. Il s’agit d’un rôle politique qui joue sur l’attractivité de la France. Ce rôle m’a toujours intéressée, depuis mon passage à Business France (Roxanne Varza conseillait alors les entreprises de la Silicon Valley désirant s’installer en France, ndlr) puis à TechCrunch.
Quand vous avez commencé à travailler dans la tech, vous racontiez avoir découvert un monde d’hommes, souvent vieux, où les femmes jouaient un rôle mineur...
Ah, ça a bien changé ! Je suis arrivée en France en 2009, l’année d’après j’ai créé Girls in Tech (aujourd’hui StartHer), un réseau de promotion de l’entrepreneuriat au féminin. L’initiative partait d’un constat : à l’époque, chez TechCrunch, les entrepreneurs que je rencontrais n’étaient que des hommes. Je tenais à faire émerger d’autres profils. On organisait donc des conférences pour rassembler des femmes et les faire parler de leurs projets. Aujourd’hui, au niveau entrepreneurial, il y en a tant que la situation a radicalement changé. Au niveau de la pure tech, en revanche, les choses n’évoluent pas ou très peu. On compte seulement 10 % de femmes ingénieures. Il faut agir pour que ça change !