Aéroports : le 6e continent du luxe
Ladurée, le joaillier Bulgari, le comptoir du Caviar House & Prunier… Malgré les apparences, nous ne sommes ni avenue Montaigne ni sur la Cinquième Avenue, mais bien dans l’enceinte du satellite S4 du terminal 2E de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle.
« Nous avons essayé au maximum de donner un esprit parisien à ce hall en y installant un espace shopping de 2 200 m2 inspiré par les grands magasins de centre-ville ; une place avec des bistrots et des boutiques de souvenirs, pensée comme la place de la Madeleine et aussi grande que la place Dauphine ; une avenue avec des boutiques de mode, et même un petit musée ! explique Marie Haverbeke, responsable du Pôle Offre et Développement Clientèle à la direction des Commerces d’Aéroports de Paris (ADP). Paris est la plus grande destination touristique au monde, mais certains passagers ne font que transiter par Roissy, sans entrer dans la ville. Le seul aspect de la capitale qu’ils voient est -l’aéroport ; il faut donc qu’ils puissent y trouver un condensé de la cité. »
Partout dans le monde, les aéroports sont aujourd’hui imaginés comme des vitrines de leurs villes. Le hub géré par ADP, qui comprend Orly, Roissy et Le Bourget, a accueilli près de 90 millions de passagers en 2013, dont 62 millions à Charles-de-Gaulle. La même année, les activités de commerce et de service de la société ont généré un chiffre d’affaires de 949 millions d’euros (une hausse de 5,1 % par rapport à 2012).
En quelques années, le « travel retail » (la vente aux voyageurs) s’est imposé comme un axe stratégique incontournable pour les enseignes haut de gamme. Boutiques Chanel et Rolex dans l’aéroport fraîchement inauguré de Hong Kong, magasins Gucci et Bottega Veneta dans celui de Los Angeles, cave à cigares à Roissy… ces zones sont devenues des centres névralgiques de la consommation de produits de luxe. Depuis cinq ans, le commerce mondial dans les aéroports (activités non aéronautiques) croît en moyenne de 12 % par an et la montée en gamme de l’offre est fulgurante. Le géant Louis Vuitton, historiquement opposé à la vente de ses collections dans les zones aéroportuaires, a lui aussi fini par succomber au chant des sirènes du shopping dans les aérogares en ouvrant un espace de 200 m2 dans celle de Séoul en 2011.
Les Chinois seraient en effet les plus gros consommateurs dans les aéroports et ADP l’a bien compris : « Nous avons plus de cent vendeurs bilingues mandarins. Certains d’entre eux parlent français, anglais, mandarin et cantonnais. » Jean-Luc Domenach, sinologue et politologue, considère que ce phénomène est dû à la « mondialisation » de la Chine et à d’étonnants paramètres culturels : « Un certain nombre d’hommes d’affaires chinois profitent de leurs séjours à l’étranger pour rapporter des cadeaux à leurs épouses et à leurs maîtresses. En Chine, plus on monte en grade et plus on a de maîtresses. Il n’est pas rare d’en avoir cinq ou six. »
Les cosmétiques et les parfums sont les biens les plus prisés par cette clientèle prête à décoller. C’est pourquoi la direction de L’Oréal Travel Retail analyse scrupuleusement les habitudes de consommation des passagers aériens dans le monde, afin de leur proposer les produits les plus à même de les séduire dans les hubs qu’ils fréquentent le plus. Dans un article du Monde daté du 11 avril 2013, Barbara Lavernos, directrice générale de L’Oréal Travel Retail confiait que, pour elle, les aéroports étaient devenus « le sixième continent méconnu du commerce ».
Ce n’est donc pas un hasard si, comme le rappelle Marie Haverbeke, ADP a « lancé en exclusivité le parfum “Invictus” de Paco Rabanne, ainsi que “L’Homme Idéal” de Guerlain, et propose un flacon d’eau de Cologne “l’Abeille aux Ailes Argent” de Guerlain, en cristal de Baccarat, d’une valeur de 15 300 euros ». La gastronomie, autre segment très apprécié par les voyageurs, est elle aussi particulièrement mise en valeur dans ces lieux de transfert. Après avoir accueilli le restaurant Miyou, dirigé par le chef Guy Martin, l’aéroport de Roissy a inauguré le Frenchy’s, du chef étoilé Gilles Epié. La maison Fauchon sera aussi de la partie dès le mois d’octobre avec un espace comprenant un restaurant, un salon de thé et une épicerie fine.