Comment finir carpette à Cannes ?
Il leur faut des paillettes. Même aux plus intellos, les « indés » de la bande, le cinéma inspire – ou impose – un besoin pressant de bling : un palace au lobby de marbre, plantes vertes en plastique s’il vous plaît, parfum d’ambiance sur-travaillé, soubrettes à la mode Belle Epoque, et verre de (mauvais) rosé surtaxé. C’est la rançon de la gloire, le prix du succès sur grand écran d’un film à plus ou moins petit budget : « Les paillettes ne sont qu’un adjuvant pour permettre au cinéma de rayonner dans le monde. », conceptualise la préraphaélite Alba Rohrwacher, qui nous parle en potassant Emile Ajar. Red carpet : la discipline à laquelle tous se plient – sauf les incorrigibles qu’on avait plus vus là depuis trente ans – porte la couleur du sang. Ou de la passion. Ou des roses. C’est selon. Et encore, même ceux-là, la Reine Adjani en tête, s’infligeaient au Martinez la routine du comédien en promo. Il n’y a que Godard pour dire non. On le remercie : les grands absents de ce portfolio sont ceux qui préfèrent au rouge, l’ombre. Monsieur Nouvelle Vague, donc. Stanley Kubrick, que dix nuits sous « taz » n’auront pas suffi à ressusciter. Bella Hadid ou « Madame Magnum », l’Arlésienne après laquelle on court toujours, sans vraiment savoir pourquoi. Naomi Campbell, dernier reliquat d’un monde où les caprices font les stars, et les défont. Temps d’attente estimé à 2h pour immortaliser THE supermodel des années 1990. Taux de réussite : 0. Et pendant ce temps-là, le journaliste pré-traumatique s’interroge sur sa finitude, une bière à la main : pourquoi s’affaler dans une bouée-canard à attendre qu’une diva récite face-caméra le blabla qu’un agent blasé a écrit pour elle ? Avant d’être remercié sous prétexte que « The light is gone », d’y perdre son iPhone, 50% de son potentiel cardiaque et la foi en sa propre profession de pisse-copie catégorisé « People », concept qui ne veut rien dire puisque seuls les vrais savent : les stars n’existent plus. Les branchés d’aujourd’hui sont les ploucs d’hier. On n’a pas encore vu de claquettes-chaussettes sur le tapis rouge, mais c’est tout comme : la nouvelle vague de réal’ et de comédiens s’y risque déjà à l’Eden Roc, dort en bungalow (multifonction), porte fièrement la chemise hawaïenne, pose pour la presse de mode (et l’emmerde au passage) en t-shirt Kiabi, refuse ferme, comme Houda Benyamina, de « se faire coiffer comme un caniche ». Jamais repu de cette Côte où les criques se troquent à coups de milliards, le tout Paris squatte pour le plaisir, bien après la clôture, la maison familiale nichée dans l’Esterel. Et laisse les victimes du système s’essouffler sur la Croisette, à dompter les faucons pour un fanzine de seconde zone. On peine à croire que les princesses existent encore, tant les mannequins se marginalisent à monter les marches pour mieux les redescendre avant le film, sur des talons hauts que le gotha rejette en masse – Julia Roberts, Kristen Stewart et Isabelle Adjani (encore elle), en tête. Les images Panini ne se collent plus dans des albums « Sex and the city » mais dans des cahiers au papier suffisamment rigide pour s’y siffler un rail, avant d’y noter l’adresse d’un glamping sympa dans l’arrière-pays pour une journée de repos bien mérité avant le prochain excès de bling – un défilé croisière dans un musée à ciel ouvert, puis dans un haut-lieu du paganisme. C’est bien connu, mieux vaut sentir le feu de bois que le parfum de créateur.
Vidéo par : Luka Arbay
Texte par : Mathilde Berthier