Pop Culture

Teki Latex: "J'essaye de provoquer des émotions, de la nostalgie au vertige de l'inconnu"

A quelques heures du lancement du clip de son morceau enregistré en duo avec Chilly Gonzalez, l'ex leader charismatique de TTC se confie sur sa passion pour l'outerwear et sa transition réussie du rap au DJing.

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©Loic Ougier

Vous avez participé à un ouvrage consacré à la culture streetwear (Street Style by Tonton Gibs sorti chez Larousse), et vous documentez largement cette passion et vos connaissances en la matière sur vos réseaux sociaux. Qu'est-ce qui vous plaît particulièrement dans cette niche mode et quelles sont vos marques fétiches ?

Ma préférence penche plus spécifiquement vers l'outerwear, les vêtements d'extérieur et de randonnée, même si c'est l'objet en lui-même qui m'intéresse bien plus que le sport dont il est issu. Cette obsession d'avoir des vêtements et des chaussures tous-terrains à l'image de la gamme ACG de Nike ("All Conditions Gear")  c'est un truc que je traîne depuis ma fascination pour les figurines et robots de mon enfance avec leurs équipements tactiques futuristes multicolores, puis un peu plus tard pour les outfits hip hop des années 90 et les codes des clips de rap, c'est à dire les chaussures de running et de trail, les coupe-vents, les vestes en Gore-tex, les doudounes. 
Je suis également très influencé par une certaine mode Japonaise qui puise son inspiration dans le vêtement d'extérieur. C'est aussi mon envie de pouvoir adapter ma tenue à toutes les situations et voyager léger sans me soucier des intempéries. J'aime cette esthétique outdoor, les matières, les coupes et les couleurs de ce style vestimentaire parce que c'est très ludique, ça permet de jouer avec les couches et d'assembler des looks comme on joue aux Legos. Et cet aspect "jeu de construction" on le retrouve dans tout ce que je fais, notamment dans la musique lorsque j'assemble des morceaux pendant mes DJ sets. 
 

Vos derniers coups de cœur mode? 

Depuis le début de l'année j'achète moins de choses, je me suis un peu calmé et je me retourne plutôt vers des pièces d'archive un peu oubliées et délaissées issues de ma propre garde-robe qui est déjà suffisamment conséquente. En plus de ça, c'est très compliqué pour moi de trouver des vêtements à ma taille -qui dépasse souvent le XXL- chez certaines marques. En ce moment je vois des nouvelles choses fascinantes chez And Wander, Meanswhile, Rowa, Comfy Outdoor Garments ou Hamcus dans la plupart desquelles je ne peux malheureusement pas rentrer pour des questions de sizing. 

Vous semblez témoigner d'une vraie sensibilité à la mode, et on vous a notamment vu mixer au mariage du créateur Simon Porte Jacquemus. Aimeriez vous à l avenir investir ce champ de façon plus pérenne, et développer par exemple des collaborations avec certains designers ou marques ?

J'ai eu la chance de mixer pour Simon lors de son mariage avec Marco mais aussi lors de l'aftershow du cultissime défilé Jacquemus "Le coup de Soleil" au milieu des champs de lavande, ainsi que l'aftershow de la collection "L'année 97" à Paris. C'est toujours un bon moment et on s'entend bien musicalement grâce à cet amour commun que l'on porte à l'Italo Disco. 
Pour ce qui est de mes interactions avec le reste du monde du vêtement, il ne faut pas oublier qu'avec mon groupe de rap TTC nous étions parmi les premiers rappeurs français à avoir notre collaboration avec une marque de sneakers, sur le modèle MC Rap de la marque de chaussures de skate Etnies en 2003. Aujourd'hui de Asap Rocky à Travis Scott tout le monde se réapproprie la chaussure de skate mais ce sont des silhouettes qu'on portait il y a vingt ans mes amis et moi! 
J'ai participé à plusieurs livres sur la mode urbaine et la basket à l'heure où ce sont des sujets qui nourrissent les grandes maison de mode.
J'ai mixé pour Nike, pour Adidas, pour The North Face, pour Polo Ralph Lauren, Diesel ou Off-White à Berlin, à Londres, à Paris et à Tokyo depuis plus de quinze ans, j'ai collaboré avec la marque japonaise Phenomenon au moment de l'explosion du streetwear à Tokyo. Je ne ressens pas l'envie de créer ma marque parce que ce n'est pas mon métier mais m'impliquer dans une collaboration pour revisiter un modèle d'archive dont je suis fan, ce serait une opportunité formidable pour moi. 
 

Vous êtes constamment en voyage pour vos DJ sets. Est ce qu'on est parfois tenté de sacrifier le style sur l'autel du confort quand on prend l'avion si souvent ?

En voyage je privilégie à chaque fois le confort et l'aspect pratique, mais j'ai assez de pièces stylées dans ma garde robe pour que mes tenues demeurent toujours cohérentes même en choisissant l'option la plus confortable.
J'ai pris l'habitude de porter des vestes utilitaires, en gros des vestes "de pêche" avec plein de poches qui restent légères et qui me simplifient la vie à la fois dans le club lorsque je dois mixer, et à l'aéroport ou dans le train. J'en ai tout un éventail dans des marques, coupes, matières et couleurs différentes, et grâce à ces vestes j'ai mes clefs USB, mon casque audio, mon chargeur de téléphone, mon passeport, n'importe quel gadget utile à portée de main à chaque instant sans avoir besoin de trimballer un sac. 
J'essaye de voyager léger au maximum, en n'emportant que des vêtements "packable" pour prendre le moins de place possible dans mes bagages comme si je partais en randonnée. J'ai parfois besoin de me produire à Barcelone un jour et en Norvège le lendemain, il me faut donc une sélection d'habits adaptables, superposables et versatiles pour avoir ni trop froid ni trop chaud. Enfin même si je collectionne les sneakers, je ne sors la plupart de mes paires rares que pour de grandes occasions ou des séances photo, mais lorsque je pars en tournée, je me retrouve toujours à porter une même rotation réduite de paires ultra confortables. 

On assiste depuis quelques temps à une sorte de revival du début des années 2000, et du mouvement bloghouse notamment. Étant donné que c'est la période où vous avez connu le succès avec votre groupe TTC, quel regard portez vous sur ce phénomène ?

La musique électronique est faite de cycles et de revivals. En fait cette période turbine/fluo/blog house c'est une période comme une autre parmi de nombreux cycles qui ont traversé la "timeline". Je suis dans la musique depuis le milieu des années 90 je peux vous dire que j'en ai vécu des périodes! Et par rapport à mes souvenirs et ma nostalgie à moi, même si ce n'est pas aussi visible d'un point de vue de français, je pense que ce que je fais aujourd'hui a plus de retentissement à l'international que ce que je faisais il y a quinze ans, et je me sens bien mieux dans ma musique aujourd'hui qu'en 2006. Je n'ai pas spécialement de nostalgie pour le début/milieu des années 2000, en tout cas pas plus que pour l'aventure Sound Pellegrino dans les années 2010 ou l'époque où je programmais Boiler Room en 2015 ou de la période "rap indé" de 99-2003. La période blog house avait ses problèmes et ses bons moments, comme toutes les autres périodes. Ce qui est certain c'est que je suis content de faire encore partie du paysage alors que beaucoup de DJs de ma génération soit sont restés coincés artistiquement dans cette période, soit n'y ont carrément pas survécu. 


Vous avez eu à cœur de mettre en avant nombre de jeunes talents ces dernières années. Quels sont vos derniers coups de cœur, et les artistes les plus prometteurs actuellement selon vous ?

Mes sets ont une couleur de plus en plus technoïde et je me retrouve pas mal dans un courant techno assez rapide et percussif qui groove à fond,  dont certains jeunes acteurs comme X Club et Alarico sont remplis de potentiel. J'ai toujours adoré et beaucoup joué de grime, ce style musical anglais entre rap et UK garage. Aujourd'hui en Angleterre je remarque qu'il y a une nouvelle génération de DJs qui mélangent le Grime avec ce style de techno groovy dont je viens de parler. La mixture des deux est vraiment intéressante et dynamique. A la pointe de cette hybridation on peut citer DJ Oblig et le prodige Neffa T. 
Parmi les français les plus prometteurs je citerai Saku Sahara de Lyon dans le style happy hardcore et drum & bass, Etienne4U qui injecte beaucoup d'humour dans ses sets, Koboyo un DJ techno qui m'a beaucoup impressionné, et Otto Diva le duo new-new-wave
A part ça j'ai un petit faible pour la rave/pop tiktok-approved jouée par l'ultra charismatique future superstar DJ Sim0ne en provenance du Royaume Uni. 
 

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©Loic Ougier

Vous êtes cette année revenu au rap avec votre morceau "J'en sais rien", produit en collaboration avec Jeremy Châtelain. Quelle a été la genèse de ce morceau, et qu'est ce qui vous a séduit dans l'idée de rapper à nouveau ?

Même si je suis ultra fier de ce que l'on a sorti, je ne sais pas si on peut vraiment dire que je suis "revenu au rap". J'en ai refait juste pour me prouver que je savais encore le faire! C'était comme des petites vacances pour moi et un beau cadeau pour les gens qui attendaient ça depuis que j'avais arrêté de rapper en 2009. Et puis c'était aussi l'occasion de collaborer avec mon vieil ami Jérémy Châtelain, à mon sens un producteur de talent qui sait tout faire.
J'ai pivoté d'une carrière de rappeur à une carrière de DJ il y a maintenant quatorze ans, ce qui veut dire qu'au cours de ma vie, j'ai été plus longtemps DJ que je n'ai été rappeur. Et puis retourner en studio c'est une chose, mais je n'ai aucune intention de monter sur scène pour rapper, je m'en sens incapable et ça ne m'interesse pas, je ne me considère plus dans le game du rap. Par contre, je suis plus que jamais dans le game des DJs!
C'est vraiment le DJing en tant qu'expression artistique qui me motive.  Comment sélectionner et assembler les meilleurs morceaux, retourner un dancefloor, faire découvrir de la musique au public et marquer les gens pour qu'ils passent une soirée inoubliable en leur proposant un DJ set qu'aucun autre DJ que moi n'aurait pu faire, voilà les questions que je me pose. 

Vous évoquez cette transition entre rap et DJing Dans l'excellent morceau Nos meilleures vies en duo avec Chilly Gonzales dont le clip sort aujourd'hui. Pouvez vous nous en dire davantage sur ce que vous souhaitiez véhiculer à travers cette ode à la maturité?

C'est vraiment Nos meilleures vies qui m'a redonné envie de rapper. C'est un morceau de bons vieux copains, Chilly Gonzales et moi on se connait depuis 23 ans, on a maintes fois collaboré de manière discrète mais c'est la première fois qu'on pose chacun un couplet de rap sur un morceau, comme un vrai duo. 
Au fil des années on a pris l'habitude de se rejoindre au restaurant à chaque fois qu'il passe à Paris. On s'adore, on se vanne, on se connait par coeur, et plus on prend de l'âge plus on est en paix avec nous-mêmes. Paradoxalement j'y rappe le fait que je ne suis plus rappeur (rires). J'avais envie de faire passer le message qu'arrivé à un certain âge, on est apaisés, on a plus besoin de prouver qu'on est "dans le coup" puisqu'on a assez apporté de choses intemporelles à la musique, on peut se retrouver entre vieux amis sûrs de nous et bien dans nos baskets. C'est ce que raconte ce morceau et son clip qui sort aujourd'hui. Moi j'ai l'impression qu'on forme un duo à la Larry David et Richard Lewis dans la série Curb Your Enthusiasm. 

A quoi doit-on s'attendre en allant voir un DJ set de Teki Latex?

A une multitude de morceaux issus de périodes et de styles musicaux différents mélangés à travers le prisme de la techno. Je parle de techno plus comme d'une façon de mixer les morceaux plutôt que du genre musical à part entière, c'est à dire que la plupart du temps ce ne sont pas des enchaînements très rapides. Les morceaux sont tissés entre eux, je leur laisse du temps pour embarquer le public, je les superpose pendant longtemps et une fois que j'ai installé une ambiance je vais surprendre les gens avec un morceau qu'ils n'attendaient pas. En même temps je vais probablement glisser des gros tubes que tu peux entendre au mariage de ta cousine entre deux morceaux plus underground. Et je garde toujours un aspect ludique dans mes mixes, comme un jeu de construction.
J'essaye de provoquer des émotions et de tirer les bonnes ficelles, du réconfort de la nostalgie jusqu'au vertige de l'inconnu, selon la façon dont le public en face de moi réagit. Je veux que les gens se prennent dans les bras en pleurant sur le dancefloor quand je mixe! Comme quand j'ai joué Mujer Contra Mujer, la version espagnole de "Une femme avec une femme" de Mecano, entre un morceau de grime et un morceau de techno, au festival Primavera à Barcelone. Je n'ai pas vraiment de limite dans mes sélections, mon public le sait et vient me voir pour ça.  

https://www.instagram.com/tekilatex

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