Pop Culture

Pourquoi il faut aller voir “Once Upon a Time... in Hollywood”

Élégie fantasmée et poignante de Quentin Tarantino à la ville de son enfance, “Once Upon a Time... in Hollywood” est aussi un jeu de l’oie, où Leonardo DiCaprio, Brad Pitt et Margot Robbie se cherchent dans les lieux emblématiques de la ville du péché. Visite guidée.
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LA PLAYBOY MANSION
Bien qu’investie en 1971 seulement par Hugh Hefner et ses Playboy bunnies, la célèbre maison de style néogothique/Tudor en bordure de Beverly Hills est fantasmée par Quentin Tarantino comme lieu de bacchanales dès 1969. Dans Once Upon a Time... in Hollywood, on y croise donc Mama Cass et Steve McQueen, mais sûrement pas ses antihéros Rick et Cliff... Rick Dalton (Leonardo DiCaprio) est en effet un acteur TV dont la renommée, déjà pas fabuleuse, chancelle dangereusement vers la ringardise. Quant à son inséparable doublure, le cascadeur Cliff Booth (Brad Pitt), il ne pense même pas à se lamenter sur son sort tant qu’il peut jouer avec sa chienne adorée, Brandy, lauréate du seul prix accordé au film à Cannes cette année: la Palme Dog de la meilleure interprétation canine. Parmi les happy few du manoir, vous verrez en revanche Sharon Tate (Margot Robbie), actrice en pleine ascension et incarnation d’une jeunesse qui s’apprête à jeter le vieil Hollywood à la poubelle. Elle a bien sûr vraiment existé, contraire- ment aux deux autres qui sont vaguement inspirés de Burt Reynolds et de son meilleur ami, le cascadeur Hal Needham.

CIELO DRIVE
“Dire que je suis à une putain de fête, à une piscine près de tourner avec Roman Polanski!”, se lamente Rick Dalton, entre deux whiskys. L’acteur fané est en effet le voisin de Sharon Tate et de son époux Roman Polanski (le comédien polonais Rafal Zawierucha), alors considéré comme l’un des cinéastes les plus en vue après le triomphe de Rosemary’s Baby. Si loin, si proche: leurs parcours respectifs (les séries western moisies d’un côté, les oscars de l’autre) ne semblent jamais être appelés à se croiser, à moins que... Tout le monde garde en mémoire les assassinats du 8 août 1969, qui ont eux aussi marqué la fin d’une époque considérée comme la plus insouciante. Ils ont été commis dans la villa louée par les Polanski (aujourd’hui démolie) au 10050 Cielo Drive, une impasse d’un quartier chic peuplé de créatifs à l’ouest de L.A. Tarantino passe cependant l’essentiel de son film à imaginer une autre histoire, une contre-histoire du rêve hollywoodien: de quelle manière – et dans quel univers parallèle – nos deux figurants que sont Rick Dalton et Cliff Booth pourraient tout de même rencontrer les Polanski?

LE BRUIN
Ils auraient une chance, aux alentours du Sunset Strip. Par exemple au Bruin. Ce palais du cinéma, situé dans le quartier Westwood de Los Angeles et inauguré en 1937, est toujours en activité (aujourd’hui rebaptisé Fox Bruin Theater). Il donne lieu à l’une des scènes de recréation fétichiste les plus émouvantes d’un film qui n’en manque pas, entre pastiche de séries TV et déluge de panneaux publicitaires et d’enseignes d’époque, réelles ou factices. Sharon Tate se rend au Bruin pour s’admirer elle-même dans Matt Helm règle ses comptes, une parodie US de 007 avec Dean Mar- tin. Tandis que Margot Robbie scrute, sans dialogues superflus, les réactions des spectateurs de la salle, sur l’écran on projette “sa performance”: celle de la vraie Sharon Tate qui donne la réplique à Dino. Au-delà de l’aspect vertigineux de cette mise en abîme, la scène prouve que l’actrice pourrait donc bien croiser ce loser de Rick Dalton: après tout, avant de croiser Polanski, elle a débuté dans ce genre de divertissements surannés que Rick enchaîne de façon alimentaire.

LE DRIVE-IN VAN NUYS
Plus au nord, les chances d’une rencontre s’amenuisent; la ville y montre sa part d’ombre. C’est là qu’habite Cliff Booth, dans une caravane pourrie der- rière l’écran géant du Van Nuys Drive-In. Au temps de sa gloire, l’endroit, ouvert en 1948 sur Roscoe Boulevard, pouvait accueillir un millier de voitures. Quand il fut démoli, à la fin des années 1990, c’était le dernier drive-in de la vallée. Quant à Cliff, comme souvent, il s’en fiche. Il préfère regarder la télé, qu’il ne prend même pas la peine d’éteindre quand il s’en va: le symbole d’une industrie du divertissement qui, pour un Tarantino plus lucide que nostalgique, tourne à vide, dans un bruit assourdissement de réclames publicitaires et de tubes du moment (Simon & Garfunkel, Deep Purple...). Derrière son sourire, Cliff est aussi un peu inquiétant. Une rumeur court même sur son implication dans la mort de sa femme, une référence directe à celle de Natalie Wood et aux suspicions qui planent toujours sur son ex-époux, Robert Wagner.

LE SPAHN RANCH
Encore plus au nord, il faudrait carrément son- ger à faire demi-tour... C’est là, au Spahn Ranch à Chatsworth, un district de Los Angeles dans la vallée de San Fernando, que se trouve le repaire de la “famille”: le gourou Charles Manson (incarné par Damon Herriman) et sa secte de jeunes filles (jouées notamment par Lena Dunham et Dakota Fanning) embrigadées dans une folie meurtrière qui culminera le 8 août 1969, au 10050 Cielo Drive. Aussi appelé Spahn Movie Ranch (aujourd’hui parc naturel protégé), l’endroit a accueilli de nombreux tournages de westerns. Cliff, lorsqu’il a la mauvaise idée de ramener une Manson’s girl chez elle, connaît donc l’adresse: il y a longtemps tourné ses cascades. À défaut d’y rencontrer Sharon Tate, il va se trouver  nez à nez avec des hippies pas du tout flower power, aux ordres d’un leader, chanteur raté mais vrai proxé- nète, mû par sa haine contre le monde des nantis en général, et contre le producteur Terry Melcher (fils de Doris Day) en particulier, qui lui aurait promis un contrat discographique. À moitié en ruine, le Spahn Ranch présente naturellement une atmosphère de western: silence lourd, buissons secs balayés par le vent et une poignée d’habitants qui voient arriver d’un mauvais œil l’étranger, qui plus est s’il appartient au show-business. De quoi, pour Tarantino, réussir une magistrale scène de tension.

CINECITTÀ
Au-delà des collines de Hollywood, il y a peut-être encore un avenir pour Rick Dalton. Encore faut-il qu’il l’accepte. Car, encore davantage que les hippies, l’acteur, plutôt conservateur, a horreur des westerns spaghetti. Pourtant, selon l’agent Marvin Schwarz (un Al Pacino très goguenard), c’est pour lui la dernière chance: partir cachetonner à Rome dans les studios italiens de Cinecittà. Là, Tarantino, plus scorsesien que jamais, fait raisonner The Rolling Stones dans la B.O.: “Baby, baby, you’re out of time.” Il jongle bien sûr avec l’idée de célébrité en faisant jouer ces deux losers par deux superstars (DiCaprio et Brad Pitt) au faîte de leur gloire. En miroir de son propre film, le cinéaste, à 56 ans, se questionne lui aussi sur sa place aujourd’hui, et sur son obsolescence dans un monde qui change. L’anxiété de cet auteur qui ne  voudrait surtout pas faire le film de trop est palpable. Il parsème son nouveau et neuvième long-métrage de discussions à propos des célébrités dont le comporte- ment par le passé est désormais inacceptable, de riva- lité toujours plus sanglante entre grand et petit écran, du besoin de continuer à produire coûte que coûte des programmes de divertissement, quitte à tourner n’importe quoi, n’importe comment, ou encore de jeunes qui ne sont plus du tout en phase avec le monde de leurs parents, et inversement. Once Upon a Time... in Hollywood est grand parce qu’il parle autant de 2019 que de 1969.

 

“Once upon a time... in Hollywood”, de Quentin Tarantino, avec Leonardo Dicaprio, Brad Pitt, Margot Robbie, Al Pacino... Sortie le 14 août.

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