Pop Culture

Keyah Blu : "Sortir son EP au milieu d’une pandémie mondiale, c’est compliqué”

Après avoir fait ses preuves sur la scène alternative de Londres et sur Soundcloud, la rappeuse sort son premier EP, Sorry, I Forgot You Were Coming. Une œuvre hybride et introspective, bande son intimiste d’un monde en réinvention.
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À l’autre bout du fil, la connexion est difficile. Mesure de confinement oblige, l’interview en face à face se tient désormais à bout de téléphone. “Sortir son EP au milieu d’une pandémie mondiale, c’est compliqué”, admet Keyah Blu. L’artiste londonienne, à l’âge tenu secret, vient de sortir son premier EP, Sorry, I Forgot you Were Coming, six titres introspectifs à l’atmosphère lo-fi et aux rythmes intriqués. Keyah pose ses mots sur son rap hybride et susurré. Tout ou presque a été enregistré dans sa chambre. Elle et son micro, pour un son intimiste et assez sombre. “Je ne suis même pas en colère contre cette quarantaine, c’est la vibe, c’est très bedroom”, dit-elle. D’ailleurs, puisqu’il faut voir le bon côté des choses, les gens auront tout le loisir de se perdre dans les méandres du streaming.

Reste que ce jour même, Keyah aurait dû être à Austin, Texas, sur la scène de SXSW pour défendre sa première création. “Bien sûr, je suis déçue. À cette étape de ma carrière, je compte sur ces performances pour m’élever et progresser.” Comme beaucoup de ses pairs artistes – et bien d’autres autres professions – Keyah doit désormais repenser son art pour “amener sa scène à Internet”. “Il est encore très tôt. Nous ne savons pas encore comment tout cela va fonctionner. Pour l’instant, je cherche à maintenir des rentrées d’argent.” La jeune artiste prend la situation avec philosophie. “Je crois que tout ce qui arrive a une raison, répète-t-elle. C’est une époque intéressante. Nous sommes amenés à vivre un moment collectivement, en tant que population mondiale. Nous devons nous arrêter et respirer. Au-delà de la panique globale, c’est un temps beau et important. C’est plus profond que le virus, que des affaires de papier toilette ou d’achats de panique.”

Pendant des années, Keyah a sorti des morceaux solitaires sur Soundcloud, dont le très beau Paper Trip v1 où l’on découvre la douceur de sa voix, ou l’excellent Choker, sorti en 2019 et assorti d’un clip où l’on entrevoit l’étrange univers de la rappeuse. En 2020, l’artiste se lance avec œuvre construite. “Je n’ai pas commencé avec l’intention de faire un EP, raconte-t-elle. J’étais à New York et ma vie amoureuse était un bazar – elle avait été un bazar depuis un moment. J’avais besoin d’une distraction et j’ai décidé de faire quelque chose autour des amants que j’ai eus et perdus.” C’était aussi pour elle l’occasion de trouver son son. “Quand j’ai fini ce projet, j’avais dix morceaux. Nous sommes descendus à six pour avoir le temps de tous les finir pour SXSW...”, rigole-t-elle l’air résigné. Elle ne sait toujours pas à quoi ressemble le son de Keyah Blu – “je suis toujours en exploration” – mais c’est pour elle une étape importance de son évolution. “Raconter une histoire, mon histoire, est quelque chose que j’ai toujours voulu faire, mais je manquais de confiance.”

Keyah compose et produit ses morceaux mais a tout de même reçu les coups de pouces de quelques collaborateurs. Denzel Himself, rappeur bien connu de la scène alternative londonienne, qui se trouve être son frère. Ensemble, ils sont passés dans la désormais incontournable chaîne Youtube Colors. Annoncée en featuring, Keyah, habillée d’une jupette et de bottes de pluie, manie avec justesse sa douceur rebelle et vole la vedette à son frangin. Joy Orbison également, producteur électronique du sud de Londres, installé dans la scène underground internationale depuis une décennie. “Il m’a aidé à élever ce que j’avais déjà fait”, explique Keyah. Il lui donne surtout la confiance nécessaire de croire en ses beats et ses productions. “Je ne me considère pas comme une productrice, confie celle qui auto-produit pourtant ses sons depuis ses débuts. Je l’ai donc appelé pour qu’il m’aide à rendre tout ça plus abouti.” Joy Orbison lui prête des synthés, “des instruments incroyables, tout de suite ça prenait du sens”. On trouve enfin un featuring avec Lord Apex, jeune rappeur de la scène londonienne underground ultra-active et resserrée. “Faire partie de cette scène est génial. Tout le monde se connaît.” N’y a-t-il pas de compétition entre ces artistes? “Je ne ressens pas de compétition. Je me sens bénie, honorée de faire partie d’une scène aussi incroyable. Il n’y a pas de malice, de mauvais esprit.”

En cette année décidément bien particulière, Keyah s’offre ainsi un peu plus au monde, sans attente ou a priori. “Je suis entièrement ouverte à tous les chemins que ce voyage peut offrir.” À l’heure où le monde se réinvente, un lâcher prise bienvenu.

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