Quelles sont les plus belles Palmes d’or de l’histoire de Cannes ?
A l’occasion de cette soixante-seizième édition du Festival de Cannes, L’Officiel a distingué, en toute subjectivité, ses 10 Palmes d’or préférées.
Le plus connu, sans doute, de l’œuvre du grand Fellini, ayant marqué les esprits par des scènes éternelles - Anita Ekberg dans la Fontaine de Trevi, Mastroianni un peu chiffonné sur la plage, le Marcello ! qui résonne…- Une splendeur mélancolique, de ces films où l’on aurait envie de vivre.
Décidément les années 60 en Italie n’étaient pas avares en chefs d’œuvre : plastiquement somptueux au-delà du descriptible, incarné par un casting invraisemblable - Claudia Cardinale, Burt Lancaster, Alain Delon - au sommet de leur art, de leur beauté, dans cette fresque tragique, historique et romantique, renversante d’intelligence et de finesse.
Les Lennon & McCartney du cinéma, le duo Demy & Legrand a offert au monde bien des splendeurs, mais celui-ci aura toujours une place à part. Ce ciné-chanté, bouleversante histoire amoureuse sur fond de tragédie historique - la guerre d’Algérie -, est une œuvre extraordinaire d'audace.
Doublement palmé, l’immense FFC en recevra une deuxième pour Apocalypse Now en 1979, est récompensé pour un de ses plus beaux films, c’est dire si celui-ci est magnifique. Mystérieux, anxiogène, troublant, porté par un Gene Hackman fabuleux de nuances.
Une évidence, sans doute tant ce film est l’incarnation même du cinéma, enivrant, fiévreux. Robert De Niro y jette magnifiquement toutes les nouvelles bases de l’art de l’acteur, créant un nouveau modèle pour des générations à venir.
Les prix partagés laissent souvent un goût amer, d’entre-deux timoré. Mais si l’on avait dû trancher, en 1980, entre ces deux-là, eh bien, nous en aurions été bien incapables…D’un côté, un drame sublime sur les coulisses de la vie créative, et de l’autre un genre de western dans le Japon du XVIème siècle, aux accents shakespeariens. Leurs approches ne sont jumelles que dans leur ambition narrative, la complexité des protagonistes, et l’amour qu’elles témoignent pour le cinéma, ce geste précieux.
« Une bête, il faudrait être une bête pour ne pas être ému par la dernière scène de "Paris, Texas » : ainsi débutait le texte que Serge Daney consacrait au film. Difficile de faire plus concis et éloquent que cette phrase, difficile de mieux dire ce qui anime Paris, Texas, porté par une émotion sourde, pudique, tout en silences et béances. La sublime musique de Ry Cooder, le regard dévasté de Harry Dean Stanton, la grâce de Nastassja Kinski, la lumière du grand Robby Müller : ce film est assurément fondateur de la cinéphile de toute une génération, qui a su transmettre sa passion aux suivantes.
On se demandera toujours pourquoi donc le public a sifflé lors de l’annonce de la remise de la récompense suprême. On se demandera toujours aussi pourquoi le cinéma de Pialat nous bouleverse d’un bout à l’autre de sa filmographie - la trame mystique de cette œuvre nous invitant justement à nous interroger sur les ressorts de la relation que l’on entretient avec un cinéaste, au fil des années. La profondeur sans affectation de sa démarche, la puissance de son regard de cinéaste, sa capacité à percer les conventions-baudruches, son génie pour diriger des interprètes hors normes pour les pousser au-delà des limites de leurs talents : on peut imaginer que tout cela fonde notre attachement….Face aux sifflets, poing tendu, il répondit : « Je ne vais pas faillir à ma réputation : je suis surtout content ce soir pour tous les cris et les sifflets que vous m'adressez. Et si vous ne m'aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus. »
Encore une année à deux Palmes : l’autre étant remise à L’Anguille de Shōhei Imamura, excellent cinéaste par ailleurs, mais cette fois-ci, notre cœur ne balance pas : l’Iranien Abbas Kiarostami signait une de ces fables limpides dont il avait le secret. D’apparence faussement simple, son cinéma, d’une netteté extraordinaire, sensuel, aimant, cruel, portait une lui une grande humanité. Sans mièvrerie, à la façon des livres de Henri Calet, il regardait l’humanité droit dans les yeux. Ce Goût de la Cerise est un des sommets de son œuvre immense.
Comment aurait-on pu deviner qu’il s’agissait là d’un double avènement : celui d’un tandem de cinéastes, dont les films comptent toujours autant, et d’un actrice fabuleuse, Emilie Dequenne (si vous ne l’avez pas vu, il suffit de voir Pas son genre de Lucas Belvaux pour s’en convaincre tout à fait). Ce cinéma détonnait par son âpreté, son énergie abrasive, sa folle détermination à regarder son héroïne batailler, contre vents, marées, et le plus brutal déterminisme. On ne s’étonnera pas de se souvenir que le jury était alors présidé par David Cronenberg - pareillement radical. Les grands cinéastes se reconnaissent toujours…
Parmi les cinéastes compagnons d’une vie, et dont nous sommes le contemporain, Nanni Moretti occupera toujours une place particulière. De la découverte de Journal Intime jusqu’à Mia Madre (on oubliera le plus récent, Tre Piani…), son œuvre, impertinente, d’un humour délicat, à la mélancolie caressante, et à la rage - oui la rage, il suffit de (re)voir Le Caïman ou Palombella Rossa pour la ressentir de plein fouet : le cinéma de Moretti est profondément civique, au sens latin du terme - ne nous a jamais quitté. Ce film-ci, terrible étude d’un deuil impensable, celui d’un enfant, atteste du génie de cet homme.
S’il y avait un point d’aboutissement de l’idéal du cinéma, la rencontre des arts plastiques, poétiques et musicaux, il tiendrait dans cette œuvre fabuleuse, fantasmatique, dont l’existence relève du miracle. Ces 114 minutes hallucinées sont un voyage au cœur du monde, de la matière, de la vie-même.