Faut-il aller voir "Portrait de la jeune fille en feu", de Céline Sciamma ?
En 1770, dans la Bretagne d’avant la Révolution, les femmes n’ont pas le droit de peindre des hommes, afin de les empêcher de faire du “grand art”. Leurs opportunités se limitent au portrait féminin, par exemple celui d’une promise. Ce genre de tableau consensuel n’a pour seule ambition que de convaincre le futur époux de bien prendre la candidate pour épouse. Plus facile à dire qu’à faire en ce qui concerne la noble Héloïse (Adèle Haenel). La jeune fille vient tout juste de sortir du couvent et veut retarder au maximum un mariage d’intérêt, qu’elle pressent comme un autre enfermement. Elle refuse de poser. A charge pour une artiste locale, Marianne (Noémie Merlant), introduite en tant que dame de compagnie par la mère d’Héloïse, de gagner sa confiance puis de la peindre en secret, de mémoire. Les possibilités d’un tel suspens sont vite évacuées par Céline Sciamma, au profit d’un face-à-face plus personnel. Celui d’une aristo, certes rebelle, mais seulement pour retarder l’inéluctable (le couvent ou le mariage), et d’une artiste, certes roturière, mais qui conçoit son indépendance comme un privilège que chaque femme devrait conquérir. De dîners aux chandelles en débats sur Orphée et Eurydice, l’art, la philosophie, la sincérité, l’amour et la musique, dans une grande bâtisse déserte que l’on parcourt bougie en main, les normes et les hiérarchies sociales s’assouplissent. La romance devient même envisageable, sur le point de naître. Elle trouvera son aboutissement dans la peinture, plutôt que dans la naissance d’un couple à proprement parler.
“Portrait de la jeune fille en feu, de Céline Sciamma”, avec Noémie Merlant, Adèle Haenel, Luana Bajrami, Valeria Golino… Sortie le 18 Septembre.