Fake news, les habits neufs de l’intox
Votre enfant de 8 ans refuse d’être vacciné et vient de dire à voix haute “hashtag toyporn quoi” en traversant le rayon jouets d’un supermarché ? Sa grande sœur vous swipe vers la gauche d’un index méprisant dès que vous lui parlez de son 7 en maths ? Votre cousin, ruiné, vit dans votre salon pour avoir trop cru aux bitcoins ? Votre enceinte connectée vous demande de manger vos morts quand vous articulez mal le titre du morceau demandé ? Bravo, vous pouvez être fiers, vos problèmes sont très contemporains et n’appartiennent à aucune autre époque. Ce qui n’est pas le cas des fake news. Né en 2014 dans la PQR américaine, mis en lumière par Hillary Clinton en 2016 pour démentir son implication dans un réseau pédophile, puis popularisé par Trump peu de temps après, le terme est bien entendu tout à fait récent. Mais le concept, lui, n’a pas attendu Twitter pour démolir notre rapport au réel.
Il y eut par exemple, avant elles, les “pasquinades” du polémiste italien Pierre l’Arétin – qui inventait d’immondes ragots sur les candidats à la papauté de 1522 et les collaient sur le buste romain du Pasquino pour qu’ils soient vus de tous – mais aussi les “canards” français du XVIIIe siècle, qui alimentaient le monarque bashing en publiant des craques sur Marie-Antoinette dans les pages de leurs sales petites brochures. Sans oublier, bien sûr, le grandiose Richard Adam Locke, un journaliste américain du New York Sun qui rédigea en 1835 de faux rapports d’astrologues évoquant la présence d’hommes chauves-souris géants et de chèvres bleues sur la Lune parce que les véritables résultats de l’étude menée à l’époque en Afrique du Sud tardaient à venir. Et donc à faire vendre du papier. Bref, une fake news est au principe de désinformation ce que le souping est au fait de s’envoyer un potage : un nouveau mot anglais pour une vieille chose universelle.
Évidemment, ce n’est pas la nature du problème qui a changé. C’est son ampleur. Les vilaines rumeurs autrefois bornées par les limites des PMU ou les tirages restreints des plus sombres gazettes ont trouvé avec Internet l’aqueduc idéal pour empoisser l’intégralité des cerveaux terrestres en quatre secondes. Mais vous savez déjà tout ça, et l’heure d’agir est venue. Au lieu de passer des heures à expliquer à vos enfants que non, Emmanuel Macron n’est pas un reptilien, militez donc pour l’instauration du permis de publier sur Internet. Soit un sésame que tout candidat à l’expression publique n’obtiendrait qu’après avoir réussi une centaine de tests psychologiques et présenté une note d’intention de deux cents pages minimum. Oui, même s’il s’agit d’un projet de blog sur les meilleures saucisses d’Europe.
Sinon, bien entendu, vous pouvez aussi choisir de profiter à fond de l’ère de la postvérité. Puisque vous êtes déjà, en tant qu’utilisateur Facebook ou Twitter, un média en puissance, devenez la première source d’informations calamiteuses du monde. Créez des milliers de comptes et multipliez les posts sur la volonté des dauphins de conquérir le monde ou les cancers de l’œil provoqués par la purée de céleri. Vous gagnerez des clics, des disciples, des retweets du Kremlin, et vous accèderez enfin à la gloire qu’une honnêteté maladive vous empêchait de convoiter jusqu’ici.
Et pour mieux détourner l’épidémie d’incrédulité à votre avantage, allez plus loin encore. Ne vous limitez plus à votre téléphone. Vous venez de recevoir votre avis d’imposition ? Retournez-le à l’envoyeur barré de la mention FAKE NEWS en rouge. Vous avez deux heures de retard au boulot ? Déclarez que “c’est invérifiable” à votre patron. Votre conjoint(e) vient de vous surprendre dans une autre personne ? Donnez-lui un alternative fact en expliquant que vous êtes, contrairement aux apparences, à la piscine, et que vous l’aimez toujours. Puis continuez sur cette voie qui vous mènera, à n’en pas douter, jusqu’à la Maison Blanche.