Massimo Bottura, un chef engagé contre le gaspillage alimentaire
Milan, Paris, Rio, Londres... Déjà quatre Refettorio, ces restaurants solidaires où cuisiniers-stars comme bonnes volontés anonymes viennent mitonner des produits qui partaient à la benne. Entre vertu et pédagogie, le projet de Massimo Bottura jette une lumière crue sur notre mode de consommation et propose de repenser notre rapport à l’alimentation et à la pré- paration des produits jugés périmés.
Quel était le point de départ du projet Refettorio ?
Massimo Bottura : En 2014, j’ai eu une intuition. À l’occasion de l’Exposition universelle qui s’est tenue à Milan, en 2015, j’ai voulu donner une réalité tangible à mon projet, rendre visible l’invisible en construisant un espace – le Refettorio Ambrosiano – où des personnes vulnérables socialement se sentiraient accueillies, et où l’on pourrait mettre à profit tous les rebuts alimen- taires, une ressource précieuse en général négligée. Le thème de l’Exposition était “Feeding the Planet, Energy for Life” (Nourrir la planète, de l’énergie pour la vie, ndlr). Un tiers de la production alimentaire est jeté chaque année, alors que près d’un milliard de personnes souffrent de malnutrition, notre réponse à l’enjeu de nourrir la planète a été de créer le Refettorio Ambrosiano. L’étymologie du mot refettorio – réfectoire – prend ses racines dans le latin reficere, qui signifie refaire mais aussi restaurer. Après cette expérience, ma femme Lara et moi avons décidé de continuer dans cette voie et de créer Food for Soul, une organisation à but non lucratif, ou plutôt un project culturel ainsi que j’aime à l’appeler. À travers Food for Soul, notre but est de transformer les gens, des lieux, et le rapport à la nourriture, pour aider à construire une culture valorisant le potentiel de toutes choses.
Comment choisissez-vous les lieux ?
Le critère essentiel, c’est de trouver des partenaires qui partagent notre vision et notre éthique, qui nous rejoignent parce qu’ils comprennent parfaitement notre travail et veulent apporter leur contri- bution active. Nous allons là où nous pouvons avoir un impact culturel, c’est pourquoi trouver le bon partenaire opé- rationnel est si important. Cela nous aide à trouver les bons relais locaux et à nous implanter.
Au-delà de l’établissement des réfectoires solidaires, quels sont les champs d’action de Food for Soul ?
Créer de la culture. Nous aspirons à mettre en lumière les potentiels de chacun et à mettre les individus en contact pour établir une communauté culturelle. Avec chaque Refettorio, nous plantons une graine de culture, pour que pousse un mouvement global, où les gens seraient réunis par le pouvoir de la beauté. Notre projet Learning Network s’appuie sur l’ambition de développer une communauté réunissant des partenaires opérationnels de Food for Soul, et de créer un espace pour dialoguer et échanger des informations, tester des théories. Ce programme nous permet d’avoir plus impact lorsque nous ouvrons un nouveau Refettorio, et d’améliorer ceux déjà en place.
Combien de chefs sont impliqués ?
Quand nous avons ouvert le premier Refettorio, j’ai appelé quelques amis pour leur demander d’y cuisiner. Tous se sont montrés immédiatement enthousiastes. J’ai alors compris que nous n’étions pas seuls. Beaucoup de chefs veulent s’impliquer et faire quelque chose de concret pour aider et faire la différence. Jusqu’à présent, plus de 340 chefs ont collaboré avec Food for Soul à travers le monde, et certains sont présents régulièrement.
La problématique du gaspillage alimentaire va bien au-delà du monde de la restauration, comment faire pour s’y attaquer?
Chacun peut faire quelque chose, depuis sa propre cuisine, en partageant notre démarche. L’effet d’entraînement fera le reste. Notre livre de recettes, Le pain est d’or (éd. Phaidon, 2018), donne les recettes réalisées dans le Refettorio Ambrosiano par près de 60 cuisiniers qui ont cuisiné des recettes incroyables uniquement avec des matières premières qui auraient été jetées si nous ne les avions pas récupérées. Le livre raconte également les difficultés inhérentes à cette démarche, mais aussi son potentiel incroyable. Tout le monde peut l’imiter, au quotidien, il suffit d’un peu de créativité. Le combat contre le gaspillage alimentaire commence dans nos placards.
Comment travaillez-vous sur le long terme, une fois passées les ouvertures et retombés les échos médiatiques?
Nous avons la chance d’être associés à des partenaires qui croient en ce projet depuis ses prémices. Nos associés opérationnels, techniques et financiers, nous permettent de maintenir à flot, de manière pérenne, nos restaurants solidaires. Ces espaces sont aussi mis à contribution pour accueillir des événements, des ateliers, des cours. Certains employés de ces associés sont aujourd’hui bénévoles, impliqués dans nos restaurants. Cela nous permet d’offrir une croissance organique à nos projets, de les développer, et de les inscrire dans la durée.
Et aussi...
Dans la mouvance anti-gaspillage, deux applications se distinguent: The Food Life (créée par Marc Simoncini, sous l’impulsion d’Arash Derambarsh, élu à Courbevoie et l’un des principaux responsables de la loi anti-gaspillage votée le 3 février 2016) met en relation les grandes surfaces et les associations caritatives pour prolonger la vie des invendus. On estime que 7,1 millions de tonnes de produits alimentaires sont jetées en France chaque année, dont 67 % par les particuliers, 15 % par les restaurants et 1 % par les commerces. En février 2019, The Food Life recensait 6191 supermarchés et plus de 500 associations. Lancée en 2016, l’appli- cation Too Good to Go, imaginée par la cen- tralienne Lucie Basch, venue de Nestlé, où elle vit à l’œuvre la folie de la surproduction repose sur un principe évident: que ce qui devait être jeté à la fin de la journée soit vendu à très bas prix. Quelque 3000 com- merçants associés, et un million de comptes actifs plus tard, sa start-up, présente dans huit pays, enregistre une croissance mensuelle de 45 %.