PHILANTHROPIE

Comment les GAFA investissent le champ de la philanthropie

Les GAFA (Google Apple Facebook Amazon), après avoir conquis le monde, vont-ils investir le champ de la philanthropie avec le même appétit ? Pas si sûr.
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En 2015, l’annonce provoquait un petit séisme sur la planète 2.0: dans un communiqué, Mark Zuckerberg, tout juste papa, faisait part de son intention de vendre 99% de ses actions Facebook – soit 45 milliards de dollars – à la Chan Zuckerberg Initiative, la fondation créée avec sa femme pédiatre. Tout affolée, la Toile bruissait de folles rumeurs. À commencer par celle-ci: grisé par le succès, le milliardaire s’apprêterait à vendre Facebook, dont le chiffre d’affaires, en hausse de 54%, frôlait les 28 milliards de dollars... Il n’en était rien. Comme d’autres avant lui, il plaçait ses dividendes dans un tout autre business: la philanthropie, nouvelle lubie des jeunes entrepreneurs. Les big boss en fin de carrière, qui jadis injectaient dans de bonnes œuvres le capital lié à la vente de leur entreprise, sont désormais talonnés par leurs rejetons! En 2014, les trois plus importants donateurs américains n’étaient autres que... des trentenaires. Self-made-men, ils ont fait fortune du côté de la Silicon Valley, dans l’internet et les nouvelles technologies, et sont de plus en plus riches. C’est de là que provenait, en 2014, la moitié des 10 milliards de dollars versés par les 50 grands philanthropes américains. Et si de Jeff Bezos (Amazon) à Sergey Brin et Larry Page (Google), ils s’y sont tous mis, c’est parce qu’aux États-Unis, la culture du “give back” est avant tout une histoire d’éducation. Et de tradition : “Le capitalisme philanthropique découle de l’église calviniste qui voit dans la richesse obtenue par l’entrepreneur un signe de prédestination divine, explique Antoine Vaccaro, président du Centre d’étude et de recherche sur la philanthropie. En mettant une partie de leur réussite au profit de causes charitables, ils rendent ainsi à la société ce  qu’elle a pu leur donner.” Cette tradition remonte au xixe siècle, avec l’émergence des grandes fortunes liées aux révolutions industrielles, de Rockefeller à Vanderbilt en passant par Carnegie, qui édictait ses règles dans un “Évangile de la richesse”.“Refusant de donner aux pauvres, il orientait ses dons vers des lieux, comme les universités, qui permettaient de s’élever”, poursuit-t-il.

 

Altruisme intéressé

 

Sauf qu’avec la crise de 1929 et la Seconde Guerre mondiale, le mécanisme s’est grippé. Et lorsque Roosevelt a adopté un texte, imposant à 85% les revenus des grandes fortunes, c’en était fini. Jusqu’à ce que, en 1984, Ronald Reagan le remette en cause. Résultat, “entre 2000 et 2010, on assistait à un nouveau ruissellement de la richesse, avec 24 milliards de dollars versés par des fondations anglo-américaines, dont 11 milliards par Bill Gates”. Le patron de Microsoft relançait la mode, consacrant 95% de sa fortune à sa Bill & Melinda Gates Foundation, mieux dotée que l’Organisation Mondiale de la Santé. Et lorsque, en 2010, il a lancé The Giving Pledge (avec son acolyte Warren Buffet qui léguait à la Fondation Gates 80% de sa fortune, soit 31 milliards de dollars), invitant les milliardaires à y consacrer la moitié de leur argent, il a été rejoint par 400 fortunés dans le monde. Parmi eux, le cofondateur d’Intel, Gordon Moore, ou le fondateur français d’eBay, Pierre Omidyar. Reste qu’avec ces actes d’altruisme intéressé, qui assurent d’importantes déductions d’impôts et la reconnaissance sociale, l’idée que le secteur privé peut prendre le relais de l’État agite désormais les esprits. Pour sauver le monde, chacun s’est entiché d’un  sujet d’intérêt général. La priorité pour Bill Gates? C’est la santé. Et ce fléau qu’il tente d’éradiquer : la rougeole. Après sa campagne de vaccination, financée par sa fondation, l’épidémie qui tuait 2 millions d’enfants dans le monde, est “tombée” à 200 000 morts par an. Si Elon Musk (Space X) rêve d’inscrire son nom dans l’histoire de la conquête spatiale, à coup de prouesses que seule la Nasa réalisait jusqu’ici, Mark Zuckerberg, lui, ne jure que par l’éducation, secteur le plus efficace, selon lui, pour sortir l’humanité de la misère. “Lorsque ces capitalistes philanthropes s’attaquent aux fléaux mondiaux, à partir de profits réalisés par leurs activités misanthropiques, cela pose question, estime Antoine Vaccaro. Surtout quand ils ont contribué aux ravages d’un capitalisme débridé, faisant fi des réglementations anti monopole.”On taxe les autres de pingrerie? C’est vrai qu’avec son Grand Livre de la philanthropie selon Steve Jobs, composé de 50 pages... blanches, le créateur d’Apple a défrayé la chronique. Son successeur Tim Cook compte bien redorer son blason, investissant à tout-va dans les fonds de lutte contre le sida ou d’aide aux migrants. On reproche  à Jeff Bezos son absence du Pledge? Il dit rechercher l’efficacité du côté des modèles à but lucratif. Cette génération aime gérer ses fondations comme une entreprise et ses activités charitables comme ses affaires, appliquant les mêmes méthodes. Leurs mots d’ordre? Les résultats et le retour sur investissement. Dans le caritatif lucratif, Google aurait trouvé la formule avec google.org, une division philanthropique qui finance des start-up à coups de 100 millions de dollars par an et qu’elle équipe en produits. “Business is business”, même chez ces bons Samaritains.

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