Joaillerie

Francesca Amfitheatrof : "l’aspect émotionnel est très important à mes yeux"

Directrice artistique de la joaillerie et de l’horlogerie Louis Vuitton, Francesca Amfitheatrof a conçu et présenté à Paris une collection inédite, baptisée LV Volt, qui pose les fondations d’un style fluide et énergique en phase avec l’essence de la maison.
person human pendant

Dans une salle spécialement aménagée, des baffles spectaculaires servent de support à des présentoirs sombres et brillants. Dehors, un soleil d’hiver fait miroiter les pierres de Paris qui illuminent la place Vendôme. Nous sommes confortablement installés dans un étage supérieur de la Maison Vendôme Louis Vuitton. Francesca Amfitheatrof présente ici ce qu’elle considère comme sa véritable première collection de joaillerie imaginée pour la maison de luxe française. Difficile de ne pas penser à Audrey Hepburn : même regard enjoué, même maintien olympien. Même amour du style qui se manifestait chez l’une par une élégance Givenchy, chez l’autre par une silhouette Ghesquière. La créatrice a pris la tête du département joaillerie de la grande maison de luxe française en 2018. Une arrivée somme toute plutôt discrète. Sans doute le temps nécessaire à la directrice artistique de prendre ses marques et d’affiner sa signature personnelle sur les collections.

Francesca est anglaise et elle est née au Japon. Son père était reporter de guerre pour le Times. Comme il couvrait les zones de conflit, la jeune fille a très tôt dans sa vie fait du voyage une composante essentielle de l’existence. “Quand je suis à Londres, les gens pensent que je suis italienne, quand je suis en Italie, on dit que je suis anglaise, j’imagine que je suis un mix. Je m’adapte facilement en tout cas, je peux observer les mentalités locales et les comparer sans me sentir déphasée. J’étudie plus que je ne me fonds dans un nouvel ensemble. J’ai aussi ce qu’on appelle en anglais le streetwise, c’est-à-dire cette faculté de me sortir d’une situation inconnue, hasardeuse ou difficile dans des grandes villes ; le fait de voyager sans cesse m’a permis de développer cette capacité d’être en connexion, d’être aware.”

 

Un vaste champ d’expression

Sa carrière impressionne par sa diversité. Dans le design de bijoux, dans l’art de vivre, et même dans le parfum. Diplômée de l’école Central Saint Martins, Francesca a reçu son Master’s Degree du Royal College of Art de Londres en 1993 avant de prodiguer ses talents dans un vaste champ d’expression, au point même de devenir incollable sur les pratiques de fusion et de forgeage des métaux. Sa grande aptitude au travail, sa curiosité universelle et son extrême méticulosité lui ont valu de travailler main dans la main avec Karl Lagerfeld, notamment, à la fois pour Fendi et Chanel. Puis il y eut Marni, Asprey, Wedgwood en passant par Alessi et Muriel Brandolini. Sans parler de ses activités de consultante renommée, de curatrice de musées majeurs, comme le musée Gucci à Florence aux côtés de François Pinault. Son dernier coup d’éclat, ce fut chez Tiffany & Co., en tant que Design Director. On lui doit notamment la superbe collection T qui a fait entrer le joaillier new-yorkais dans le xxie siècle.

Comme Lagerfeld justement, Francesca semble insatiable. Comme Lagerfeld, elle réfute aussi le statut d’artiste pour préférer celui de designer. “Par exemple, quand Armani m’a demandé si je voulais faire des lunettes, j’ai dit oui bien sûr, pourquoi je ne le ferais pas ? Et pourtant, je ne savais absolument pas comment se font les lunettes. Mais parfois, ne pas savoir, c’est mieux. Vous suivez votre instinct et vous faites des choses que les autres ne font pas. Ceux qui en savent trop n’arrivent plus à être créatifs. Il faut avoir confiance en soi. Moi, j’y vais avec mes tripes et mon instinct. Je ne dis pas que je n’ai pas de doutes, mais j’ai, malgré tout, cette confiance qui me permet d’aimer les travaux que je réalise. Je suis capable de dire : ce que j’ai fait est bien, c’est abouti, je peux passer à autre chose.”

 

Rythme, cadence, musique

Les baffles – quasiment des enceintes de concert – autour desquels se développent les propositions créatives inédites de Francesca ont une signification évidente. Cette nouvelle collection s’appelle LV Volt. Elle s’articule autour du L et du V majuscule. V comme vibration, L comme Lumière peut-être. Ou comme Voyage et Légende ? Tout semble possible. Ce qui est certain, c’est que la collection, en questionnant le sens de l’initiale, met en relief la genèse de la création originelle, la nature fondamentale de la forme et la racine profonde de l’impression. “Tout part d’une émotion, d’une intuition. Je pense que dans la société actuelle, il est indispensable d’être touché, de ressentir les choses. Sinon, elles se perdent. L’aspect émotionnel est très important à mes yeux. Ici, je voulais avant tout créer une collection au caractère affirmé, des bijoux puissants et impertinents.”

Les arêtes franches du L et du V s’enchevêtrent sur des bagues, des boucles d’oreilles, des bracelets, des boutons de manchette ou des pendentifs qui s’articulent en quatre chapitres différents. Ces arêtes composent des figures prismatiques, s’affirment en structures tubulaires, se transforment en maillons de chaîne d’une grande diversité de reliefs, de volumes et de dimensions, s’écoulent en broderie pour fournir la trame précieuse et souple d’un bandana. “Le bandana est une véritable prouesse artisanale. Il a été entièrement réalisé à la main selon un procédé exclusif. Chaque élément, chaque maillon a été assemblé un à un puis habilement dissimulé. Le résultat est d’une telle délicatesse que le bijou procure une exceptionnelle sensation de fluidité. Nous avons d’abord songé à employer des techniques modernes, mais nous n’avons finalement eu d’autre choix que de recourir aux méthodes artisanales pour atteindre cette maîtrise d’exécution.”

Parfois les lignes s’émancipent de l’abstraction et s’incarnent en griffes prêtes à multiplier leurs diagonales incisives sur le doigt. Parfois, elles se rejoignent pour former des coins aigus qui reproduisent le graphe d’une fréquence : comme une évocation matérielle, forgée dans l’or et le diamant, du tempo et de la pulsation. Cette allégorie de l’impulsion constitue précisément la grande force de cette collection : “Pour LV Volt, je me suis inspirée de l’idée du rythme, de la cadence, de la musique. J’ai beaucoup pensé à Brancusi en la créant. Lorsque je pense à Vuitton, j’imagine toujours des hommes et des femmes parcourant le monde avec énergie, évoluant d’un pas décidé. Infatigables, impertinents, déterminés mais exhalant une certaine sensualité.” Incontestablement Vuitton, LV Volt est aussi terriblement Francesca : une métaphore du mouvement, une apologie de l’élan vital. Petite précision qui a son importance, toutes les pièces de cette collection sont unisexes : “C’est un point auquel je tenais beaucoup. Nous ne devrions pas faire de distinctions, mais adopter au contraire une approche totalement inclusive et laisser à tous une totale liberté.”

Recommandé pour vous