Vacances romaines avec Cole Alexander
Ariana Papademetropoulos : Hi sweet baby Cole... Tu viens de terminer un disque. Que peux-tu m’en dire ?
Cole Alexander : Il est plutôt d’inspiration country, gospel. Le son de notre groupe est assez garage d’ordinaire. Il devrait sortir au plus tard en janvier. Nous avons fait pas mal de recherches pour mieux découvrir cet univers, son histoire, son esthétique, comme les chorégraphies ou les costumes très particuliers que les artistes portaient, les fameux nudie suits, des costumes brodés avec des perles.
Quelle est ta pochette préférée ?
Satan is Real, des Louvin Brothers (duo country des années 40 à 60, ndlr), une des plus belles de tous les temps. On dirait une pochette d’un album de heavy metal ! Elle représente une statue d’aspect satanique, autour de laquelle des flammes s’élèvent pour évoquer l’enfer. Le directeur artistique avait réuni de vieux pneus auxquels il avait mis le feu. Il s’est mis à pleuvoir, et comme tu sais, si tu jettes de l’eau sur un feu, sa force se décuple. Le photographe était terrorisé, lui qui s’imaginait travailler pour un gentil groupe chrétien...
Cela me fait penser à la pochette sur laquelle nous avions travaillé ensemble pour l’album Satan's Graffiti or God’s Art ?
Certes, nous avions mis le feu au décor, mais ce n’était pas grave, il ne s’agissait que de miniatures...
On a failli faire cramer ma maison ! Tu viens d’Atlanta, dans un État avec une forte tradition country, est-ce que l’on peut parler d’un retour aux sources ?
On joue ensemble depuis presque vingt ans, ce qui est dingue, dans la mesure où nous sommes tous encore assez jeunes. Il était temps de mener un projet plus conceptuel. J’ai grandi au son du punk, mais en vieillissant, je me suis de plus en plus intéressé aux racines : le punk est né du rock’n’roll, et le rock’n’roll est né de la country, du blues, du gospel.
Tu m’as montré récemment des disques de groupes de musique chrétienne, avec une esthétique pour le moins singulière. Qu’est-ce qui t’attirait ?
Nous avons recherché des disques avec un très faible tirage, parfois publié par une toute petite maison de disques, ou une église, pour le vendre à la sortie de la messe, ou encore des particuliers qui s’offraient une séance d’enregistrement, on appelait ça des “vanity records”. Comme il n’y avait pas vraiment d’ambition commerciale, il y avait une grande liberté et les pochettes exprimaient un rapport particulier à la spiritualité. Avec un résultat qui pouvait s’avérer très étrange en effet...
J’aime bien ce concept de vanity records, il me fait penser à l’art primitif ou à l’art naïf. Quand un artiste fait quelque chose seulement pour lui, le résultat a une grande pureté, rien n’affecte le geste créatif. Je sais que c’est aussi une démarche à laquelle tu es sensible.
Je trouve magnifique l’idée que l’on puisse créer uniquement pour soi. La plupart de ces artistes n’ont pas connu la gloire de leur vivant. Je suis aussi touché par leur aspect amateur, et je ressens la même émotion lorsque je suis découvre des dessins d’enfant. Personne ne leur a rien appris, leur création vient du cœur et du cerveau.
C’est là que réside la magie de l’art. Quand rien n’est venu l’altérer. On pourrait même établir un parallèle paradoxal avec la maison Gucci. C’est à la fois de l’ordre de la pop culture et du grand public, très différent de ce à quoi nous sommes habitué(e)s. Et pourtant, beaucoup d’éléments qui nous sont chers se fraient un chemin vers cet univers...
C’est très excitant, parce que je tiens absolument à ce que mon art touche le plus grand nombre possible, et l’implication de Gucci est en ce sens merveilleuse. Je n’étais pas du tout familier du monde de la mode, mais quand Gucci nous a sollicités, toi et moi, pour réaliser des flyers, cela m’a semblé tout de suite très cool. Grâce à ça, plus de gens peuvent être touchés, et peut-être qu’ils seront inspirés par un geste créatif dont ils n’avaient pas idée.
Alessandro Michele, le directeur de la création de Gucci, a le don pour découvrir des inconnus, et les présenter sous un jour qui révèle toute leur beauté. Comment décrirais-tu ta relation avec lui ?
J’ai toujours pensé que cela serait formidable de travailler avec l’univers de la mode, mais il me semblait très lointain. De plus en plus régulièrement, des amis, comme Deerhunter ou Curtis Harding, Dani des Surfbort, toi ou Zumi Rosow se sont mis à collaborer avec Alessandro. J’adore le fait qu’il aime sincèrement l’art, c’est évident par la façon dont il l’intègre à son monde. Et il est absolument adorable.
Tu as un style vestimentaire incroyable et un vestiaire très intéressant...
Ado, quand je commençais à m’intéresser à la scène punk, je traînais beaucoup dans des boutiques vintage, où je trouvais aussi bien des disques que des vêtements, de toutes les époques. J’en faisais un genre de collage.
Quelle est la pièce que tu aimes le plus?
J’adore les vêtements utilitaires, les uniformes des fonctionnaires de prison, par exemple, ou d’employés du gouvernement. Pour te répondre, je dirais une veste militaire trouvée dans une brocante, avec, cousu sur la manche, un écusson représentant un Mickey Mouse sautant en parachute. Deux types d’une vingtaine d’années la vendaient et racontaient qu’elle avait appartenu à leur grand-père qui avait fait la Seconde Guerre mondiale. Ils en voulaient 15 dollars ! Je me sentais mal de récupérer un tel témoignage historique mais ils l’auraient jetée s’ils ne l’avaient pas vendue. Je l’ai toujours. C’est elle que je porte sur la pochette d’Underneath The Rainbow, la photo a été prise par Mick Rock, un photographe légendaire qui a notamment beaucoup photographié Bowie.
T’habilles-tu pour influencer la façon dont tu te sens ? Par exemple, avant de monter sur scène ?
Tout à fait. Mettre tel ou tel vêtement donne tel ou tel pouvoir. Parfois, si je n’ai pas dormi pendant deux jours, porter un costume me donnera le sentiment d’être professionnel et en forme alors que je suis totalement en vrac.
J’imagine que si les gens vous perçoivent d’une certaine façon, vous finissez par vous sentir ainsi. C’est la magie du vêtement...
C’est fou d’être jugé sur ce critère. Même assez triste. Mais il y a une grande beauté à pouvoir se transformer ainsi.
Nous étions récemment en Italie, que t’a inspiré notre séjour ?
J’ai toujours adoré ce pays, et Rome, mais j’avais oublié à quel point son histoire est fascinante. Le défilé Croisière Gucci se déroulait dans les musées du Capitole, c’était intimidant... mais j’étais au paradis.