Bouffée d’air fun dans la haute parfumerie masculine
En juin dernier, Parco Palladiano XIV Melagrana, création de la marque italienne Bottega Veneta, remportait le Fifi Award (Fragrance Foundation) du meilleur parfum dans une “collection de grandes marques”. Sidonie Lancesseur, la parfumeure à qui on le doit, montait sur scène pour récupérer son prix. Une vraie reconnaissance pour elle mais aussi pour cette parfumerie de série, à la fois discrète, audacieuse et bien plus figurative (donc plus lisible) que celle que l’on trouve chez Sephora. Chaque grande marque a désormais sa ligne exclusive, sorte de version off de la parfumerie maison: citons Les Exclusifs (et depuis peu les Eaux de voyage) chez Chanel, Les Hermessence et les Jardins chez Hermès, L’Art et la Matière chez Guerlain, Les Heures chez Cartier, Les Grands Crus chez Lancôme, Le Vestiaire des parfums chez YSL ou la collection des Cologne chez Mugler (qui vient s’ajouter aux fameuses Exceptions). Cette série se continue ces jours-ci avec Van Cleef & Arpels qui présente un nouvel opus baptisé Santal
Blanc dans sa Collection Extraordinaire. Et tant pis si la saturation guette : d’abord objets de curiosité pour happy few, les collections premium ont fini par donner le La de toute la parfumerie d’aujourd’hui. Le parfumeur-créateur de Dior François Demachy confesse un attrait pour cette parfumerie “laboratoire”: “Je travaille sans brief, sans deadline ni limite de budget; cette collection ‘Maison Christian Dior’ me permet de travailler de nombreuses pistes olfactives que je vais réutiliser dans d’autres parfums.”
PARFUMS D’HUMEUR ET DE LIBERTÉ
D’aucuns peuvent penser que choisir un parfum, c’est souligner un peu plus un trait de sa personnalité. Mais a-t-on vraiment envie d’être figé une fois pour toutes dans l’image du type sain et sportif qui respire le savon et la joie de vivre ou celle de l’esthète intello à la sensualité indolente ou encore celle du garçon d’honneur, chic type un peu asexué? Évidemment non. Grâce à ces parfums d’humeur, on peut être lundi le Julian Kay d’American Gigolo et le mardi une sorte d’Aaron Young à l’élégance downtown, un jour Apache des fortifs et l’autre intellectuel charmeur. Un jeu de rôles olfactif en somme. “Ces collections s’adressent à une clientèle à la recherche de jus plus bruts, moins gadgets, moins boules à facettes”, explique Pierre Aulas, directeur olfactif des marques Chloé et Bottega Veneta. Sacrifier à l’une de ces compositions premium, c’est comme pénétrer dans l’un de ces clubs d’initiés qui vous donne immédiatement le sentiment d’être le type le plus important au monde. Au fond, elles ont remplacé la parfumerie sur mesure, vieille lune pour nouveaux riches qui a vécu le temps de deux ou trois saisons. Pour continuer de filer la métaphore modeuse, on peut parler ici de demi-mesure, sorte d’extra-luxe silencieux, rempart à la “sérialisation” forcenée. On se trompe souvent sur l’identité de ces créations que l’on imagine un peu old school. Qui a déjà senti Fading Autumn, de Gucci, ou Orage, de Vuitton, sait parfaitement que ces compositions libertaires jouent tantôt l’harmonie casual tantôt une sorte de poésie déglinguée. Autre trait de caractère : elles sont précises, zooment sur une note parfaitement reconnaissable. Parfumeur prolifique, en charge de la ligne Alchimist Garden pour Gucci, Alberto Morillas voit dans ces collections une opportunité de créer autrement: “Chaque thème, proposé par Alessandro Michele (le directeur de la création, ndlr) part d’une émotion et jamais d’une matière première.” On peut piocher ici ou là dans ces collections constituées de huit, neuf, dix ou quatorze références, on est à peu près sûr de trouver son bonheur. Pour le parfumeur, la collection, c’est le meilleur moyen de faire plusieurs propositions olfactives comme autant de nuances à son propos; pour le client, c’est l’assurance de changer d’apparence et de se réinventer à chaque fois. La liberté, en somme.