Quand la Fondation d’entreprise Martell monte en puissance...
L’OFFICIEL ART : Quel regard portez-vous sur la Fondation, depuis l’exposition inaugurale de Vincent Lamouroux (octobre 2016), le pavillon SelgasCano (juin 2017, première architecture en France du duo espagnol), jusqu’à l’installation de compagnie Adrien M & Claire B ?
NATHALIE VIOT : La Fondation vit avant tout à travers ses projets, visibles ou de long terme. Ils font résonner le lieu d’une énergie nouvelle et ont nourri un dialogue avec la Maison Martell en apportant, tant sur le plan artistique que sur celui des techniques et des nouvelles technologies, une dimension innovante. Ils ont également permis d’ancrer la Fondation dans son territoire géographique et culturel. Ils ont montré que développer une Fondation pluridisciplinaire est possible dans une région qui a longtemps tout misé sur les maisons de négoce et qui cherche aujourd’hui d’autres centres d’activité. L’œuvre Par nature de Vincent Lamouroux appelait au voyage, à une possible exploration à travers cette page blanche qu’il nous proposait de remplir. C’était aussi une métaphore de notre arrivée, une forme d’utopie. Avec SelgasCano c’est le déplacement, la légèreté, la vague qui est au cœur du projet. Une architecture ouverte, joyeuse, joueuse qui invite à la déambulation : c’est-à-dire le lieu que nous n’avons pas eu pendant dix-huit mois puisque l’édifice est en travaux depuis février 2017. L’ouverture du bâtiment avec l’œuvre de Vincent Lamouroux a donné envie au président de la Fondation, César Giron, de ne pas arrêter l’aventure ainsi commencée et d’occuper cette grande cour extérieure. SelgasCano a relevé ce défi dans un temps record, car ce site est très inspirant et déclenche de réelles envies. Enfin, le projet de la compagnie Adrien M & Claire B raconte la puissance évocatrice de ce champignon noir qui couvre les murs de Cognac et de ses environs. Le projet de la Fondation porte ses fruits, il répond à des demandes multiples : ouvrir la maison de négoce sur la ville – geste amorcé avec le projet architectural –, apporter dans le quotidien de ses habitants un nouveau regard sur la création artistique, et, enfin, faire de Cognac une nouvelle destination culturelle.
L’ancrage local est l’une des caractéristiques de la Fondation – artisans et artisans d’art de la région ont ainsi été sollicités – mais il dialogue avec la dimension internationale : comment alliez-vous les deux paramètres ?
S’inscrire dans une région dont l’Histoire remonte au XVIe siècle, se confronter à un produit qui porte le nom de sa ville et qui est connu dans le monde entier, s’installer dans un bâtiment de 1929 ; comment ne pas penser le territoire, comment ne pas être inspiré par lui, comment faire fi de tout ce que les autres ont fait avant vous, comment enfin ne pas regarder les talents ici-même et les mettre en lumière avant d’en présenter d’autres ? Régénérer notre regard sur notre propre ancrage permet de renouveler en profondeur notre appréhension des savoir-faire en leur donnant une modernité à travers l’art, ainsi trouvent-ils une nouvelle forme d’expression plus contemporaine.
L’OFFICIEL ART : Votre duo (Adrien Mondot et Claire Bardainne) associe deux domaines d’action : l’informatique et les arts plastiques : comment faites-vous converger vos regards et expertises ?
COMPAGNIE ADRIEN M & CLAIRE B : Nous créons en binôme depuis huit ans et nous tirons une grande force de ce processus. Nous avons des compétences complémentaires et quelques terrains d’actions spécifiques (par exemple la programmation pour Adrien, le dessin pour Claire), mais les idées – qu’elles soient conceptuelles, logicielles, techniques, artistiques – vont et viennent dans un échange permanent, se mélangent et se consolident à chaque aller-retour. Sans compter que nous sommes en compagnie d’une équipe fidèle qui participe réellement à chaque processus de création, et augmente encore plus notre champ des possibles.
Le titre de votre œuvre, “L’ombre de la vapeur”, s’il se rapporte au torula (levure responsable du noircissement des parois de l’édifice), n’est pas sans évoquer “la part des anges”, cette quantité d’alcool qui disparaît par évaporation : pourquoi vous être attachés à cette entité, à la fois organique et archéologie mémorielle ?
Le génie du lieu, cet obscur champignon, nous a touché. D’abord car nous sommes sensibles au vivant sous toutes ses formes, au “spectacle de la nature”, surtout quand il s’immisce dans le quotidien urbain. Ensuite car cet organisme se nourrit d’une vapeur invisible. Et c’est pour nous toute la dimension immatérielle, impalpable, éphémère, qui est suggérée comme une nourriture essentielle à la vie.
L’OFFICIEL ART : Le lustre “Shine a Light” constitue la première parmi les commandes de mobilier d’artistes, designers et artisans : quels ont été vos axes de réflexion ?
NATHALIE TALEC : L’idée maîtresse de mon projet repose sur la production d’une œuvre lumineuse, inédite, raffinée et fantasmagorique pour l’espace d’accueil de la Fondation d’entreprise Martell. Cette sculpture lumineuse s’inspire des modèles antiques de vases à boire, objets à la fois fonctionnels, ornementaux et composites. Ces vases zoomorphes, constitués d’une vasque cylindrique et d’une extrémité en forme de tête animale ou humaine, réelle ou fantastique, témoignaient du goût des dignitaires de l’Antiquité pour les fastes et le luxe des vaisselles. Ces objets précieux avaient aussi bien une fonction utilitaire que décorative et s’élaboraient autour de techniques et supports qui se retrouvent dans ma pratique artistique : l’usage de la céramique et de ses décors, le mélange de motifs figuratifs, naïfs et chimériques. Ainsi conçu, le lustre est donc une accumulation de formes et de figures utilisant à la fois la céramique, matériau présent dans mon travail depuis plusieurs années et le verre, matériau essentiel à la fabrication des flacons de cognac. La production de cette œuvre donne des perspectives résolument nouvelles à mon intérêt pour la question décorative et l’objet d’art.
Votre réalisation se trouve placée à l’entrée de la Fondation, votre démarche a-t-elle pris en compte les créations de SelgasCano et Compagnie Adrien M & Claire B?
Depuis ses premières esquisses, Shine a light a intégré le projet inédit de la Fondation d’entreprise Martell, tant du point de vue architectural qu’artistique. L’œuvre lumineuse, son dessin, ses matériaux et sa gamme chromatique ont été choisis en étroite collaboration avec Nathalie Viot, directrice de la Fondation et les architectes Brochet-Lajus-Pueyo, cabinet BLP de Bordeaux. Cette œuvre très personnelle et contextuelle est pérenne et répond aux exigences du hall d’accueil et de l’architecture. Sa conception et sa production ont mobilisé de nombreux prestataires et artisans locaux aux métiers très variés. L’implantation de Shine a light à l’entrée du bâtiment, de son restaurant et de son bar, donne à l’œuvre le privilège de concentrer les points de vue et d’être accessible, de jour comme de nuit, à l’ensemble du public. Placée au cœur du dispositif, la sculpture lumineuse entretiendra ainsi un dialogue sans cesse renouvelé avec l’ensemble des interventions artistiques placées dans sa proximité. Cette sculpture sera le seul éclairage de l’accueil et dessinera un signal fort, visible depuis la rue.
“L’ombre de la vapeur”, par Adrien M & Claire B, jusqu'en avril 2019. Fondation d’entreprise Martell, 16, avenue Paul Firino Martell, 16100 Cognac. T. 07 85 02 32 39. Entrée libre, du jeudi au dimanche de 12h à 19h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h (ouvert le mercredi sur réservation). www.fondationdentreprisemartell.com
