Pourquoi il faut (re)découvrir Bernar Venet
L’OFFICIEL ART : Deux importantes expositions rendent compte de l'étendue du travail de Bernar Venet, relativement méconnu en France : à quels facteurs attribuez-vous cette amnésie de l'histoire de l'art ?
ALEXANDRE DEVALS : C’est une question que je me suis longtemps posée et à laquelle je crois avoir trouvé un élément de réponse lié à la chronologie. Tout d’abord, pour être oublié, il faut avoir été reconnu. Et il est indéniable que les œuvres produites à partir de 1966 ont trouvé un écho important dans la naissance de l’art conceptuel, particulièrement aux Etats-Unis et en Allemagne. A partir de 1968, Venet participe aux expositions “Prospect 68”, “Art by telephone”, “Conception - Konzeption”, “Information”, “Art in the mind”, “Recorded activities”, et dès 1970 il bénéficie d’une grande exposition personnelle au musée de Krefeld, dont le directeur – le Dr Paul Wember – était extrêmement prescripteur. L’année suivante, il a été le premier artiste conceptuel à présenter une rétrospective à New York (au New York Cultural Center). Or, dès 1967, il avait décidé d’interrompre son activité en 1970. A cette date, il a déjà produit plus de 300 œuvres quand Lawrence Weiner n’avait pas encore peint de statements sur les murs ! Si les années 1966 à 1970 sont des années séminales, la grande décennie conceptuelle est la suivante. Celle durant laquelle Venet ne produit plus. Il est donc moins présent au moment de l’apothéose de l’art conceptuel. Et un peu laissé pour compte. Si son retour est très bien accueilli en 1976, il est le seul Français à participer à la Documenta de 1977, ses lignes indéterminées (à partir de 1979) laissent perplexes les amateurs des géométries mathématiques. Il persévère et gagne à la fois une reconnaissance publique et une forme de dédain institutionnel.
Quels aspects de la carrière de Venet chacune des expositions déploie-t-elle ?
Les deux expositions sont profondément différentes. Celle de Lyon est une rétrospective reprenant des tableaux de jeunesse jusqu’à des œuvres de 2018 et même 2019 puisqu’une œuvre sera réalisée la dernière semaine de l’exposition, début janvier. On peut y voir ses sculptures, ses peintures, ses photographies, sa salle de miroirs noirs, certains de ses films... C’est l’exposition la plus complète, Thierry Raspail y a veillé ! Celle de Nice est une étude des années conceptuelles, des cinq années d’avant-garde durant lesquelles il produit et des cinq années suivantes durant lesquelles il théorise. Elle est passionnante car cette période reste mal connue, sa richesse et sa diversité (enregistrements, conférences de scientifiques, télégrammes, abonnements à des journaux, présentations de livres...) sont souvent éludées au profit d’images fortes comme le diagramme du Centre Pompidou.
Quelle vision la Venet Foundation que vous dirigez développe-t-elle depuis son inauguration en 2014 ?
En cinq ans, nous avons tenté de développer un spectre assez large : du minimalisme (l’accrochage d’ouverture ou Fred Sandback), à la couleur (James Turrell, Yves Klein), ou encore l’objet (les grandes machines de Tinguely). Pour le moment, ce qui fait notre spécificité est de montrer les grands gestes des artistes des années 1960 dans toute la diversité que cela suppose. La collection se concentre sur les artistes minimalistes, conceptuels, du land art, mais notre spectre s’élargit avec les expositions et nous sommes assez favorables aux projets qui nous semblent pertinents. Une fois n’est pas coutume, nous montrerons de la peinture l’été prochain. Je suis très heureux de travailler avec Claude Viallat, il est l’un des plus grands coloristes actuels et un peintre surprenant.
À VOIR
•“Bernar Venet. Rétrospective 2019-1959”, du 21 septembre 2018 au 6 janvier 2019, Musée d’Art contemporain de Lyon, Cité internationale, 81, quai Charles de Gaulle, 69006 Lyon. T. +33 (0)4 72 69 17 17, www.mac-lyon.com/
•“Bernar Venet. Les années conceptuelles 1966-1976”, du 12 octobre 2018 au 13 janvier 2019, Musée d’Art moderne et d’Art contemporain de Nice, Place Yves Klein, 06364 Nice. T. +33 (0)4 97 13 42 01, www.mamac-nice.org/
Venet Foundation, 53, chemin du Moulin des Serres, 83490 Le Muy. venetfoundation.org
•Poetic? Poétique ? Bernar Venet”, éditions Jean Boîte, 2017, www.jean-boite.fr/