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Découvrez GoldenEye, l'hôtel de légende en Jamaïque

Résidence édifiée par le créateur de James Bond, désormais propriété du producteur qui a lancé Bob Marley, l’hôtel GoldenEye, en Jamaïque, accumule les légendes, bordé par les teintes turquoise de la mer des Caraïbes.
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Au bout de la route qui longe la mer des Caraïbes, dans la baie bananière d’Oracabessa, une allée bordée de plantes tropicales mène au paradis de l’hôtel GoldenEye : une succession de cabanons en bois plantés entre les arbres et l’océan. Au-delà de la crique privée et de son sable blanc, le Bizot bar (ainsi baptisé en l’honneur du fondateur de Radio Nova Jean-François Bizot, jadis un régulier) accueille depuis les années 1950 les beautiful people de la mode et de la musique, Jimmy Cliff, les Marley, Naomi Campbell, Kate Moss et tant d’autres. Chris Blackwell, le maître des lieux, apparaît. Grand, mince, élégant, il est habillé en T-shirt, jean et casquette. Il s’installe devant un plat de crevettes sauvages pêchées le matin même non loin de sa ferme biologique, Pantrepant, et cuisinées dans une sauce pimentée à la jamaïcaine.

Les légendes du reggae

L’homme qui a lancé les carrières internationales de Bob Marley, Grace Jones et U2, produit les films cultes The Harder They Come (1972) et Countryman (1982) et donné les plus belles fêtes reste timide, réservé. Né dans une famille de Britanniques installés sur l’île depuis le xviie siècle, il y revient après ses études, alors que la Jamaïque se libère de la colonisation. Les jeunes hipsters blancs des plantations découvrent l’extraordinaire musique des street dances et des sound systems des ghettos de downtown Kingston. Les sons rocksteady, ska et reggae, qui reflètent une nouvelle identité culturelle, libre, engagée, festive, le séduisent. Après avoir vécu de petits boulots et donné des cours de jet-ski, il tombe dans le monde de la musique. Son label, Island Records, né en 1959 avec un investissement de mille dollars, alors qu’il a 23 ans, bouleverse l’histoire. Il lance son premier hit ska-pop, My Boy Lollipop, enregistré par Millie en 1964 à l’ère de la Beatlemania, qui obtient une deuxième place dans les pop charts des États-Unis. Cette année-là, il rencontre Jimmy Cliff et l’engage sur son label. En 1971, il découvre le jeune rasta Bob Marley. Dans les années qui suivent, il lance la carrière internationale de la légende du reggae, ainsi que celle de musiciens émergents comme Grace Jones, Bono, Tom Waits, PJ Harvey et Amy Winehouse. En 2002, il est honoré par Bono au Rock and Roll Hall of Fame, qui le décrit comme “la personne responsable d’avoir fait découvrir le reggae au monde”.

Le chant des oiseaux et des insectes

Blackwell est un sentimental, un amoureux du grand bleu des Caraïbes et de ses histoires de pirates, des monts brumeux des Blue Mountains, où il possède un autre hôtel, Strawberry Hill, des chants des mille insectes et oiseaux à l’aurore. “Si la Jamaïque reste verte et belle, ce sera toujours un endroit merveilleux puisque, c’est une île bénie et riche de nombreux trésors, explique-t-il. Nous avons le meilleur café du monde, le café Blue Mountain, le meilleur cacao du monde. La nature inspire la créativité de l’île. Ian Fleming, qui a construit GoldenEye en 1946, disait qu’il n’aurait peut-être pas pu écrire la saga des James Bond s’il n’avait pas été immergé dans cette atmosphère.”

La mère de Blackwell, Blanche, héritière de la famille de cultivateurs de canne à sucre et du rhum Appleton Estate, fut l’amante de Ian Fleming jusqu’à sa mort. Dans les années 1950 et 1960, la côte nord de la Jamaïque est une destination prisée par la jet-set internationale - Errol Flynn, Elizabeth Taylor, Truman Capote ou Sophia Loren. Blackwell reprend la propriété de l’écrivain en 1976 et y invite ses amis, musiciens, artistes. Sting y écrit en 1983 Every Breath You Take. En 2010, Blackwell transforme la propriété en hôtel et il lance son groupe hôtelier Island Outpost, avec Strawberry Hill et The Caves à Negril.

Un joyeux amalgame

GoldenEye, c’est un terrain de vingt hectares parsemé de quarante-cinq villas et huttes perdues entre le lagon et les cocotiers, simplement décorées de meubles locaux, avec comme horizon la ligne séparant le ciel et la mer. La villa de Ian Fleming, nichée sous deux figuiers, a préservé ses meubles d’origine, dont le bureau de l’écrivain. Loin des propositions des all inclusive de la côte, prisées par beaucoup de touristes, l’hôtel reste fidèle à la mission de Blackwell : partager et promouvoir la culture et la nature jamaïcaines, en toute simplicité et intimité. “Chris s’est toujours dévoué au partage de la culture jamaïcaine, explique Vivien Goldman, la célèbre journaliste et musicienne, qui a brièvement travaillé pour Island Records et Bob Marley dans les années 1970. C’est un original, un non-conformiste, un passionné, ce qui explique son impact sur le monde de la culture.”

Blackwell puise son inspiration dans l’histoire complexe de son île, dont la devise est Out of Many, One People. Malgré les cicatrices de l’esclavage et des scissions sociales marquées, on y trouve un joyeux amalgame d’influences afro-caribéenne, indienne, européenne, et aussi des diasporas chinoise, arabe et juive. Son industrie musicale, née à Kingston au moment de l’indépendance, alors qu’Orange Street se transforme en Motown du reggae, reflète ces mélanges teintés de R&B, de mento (musique populaire jamaïcaine), de gospel et de jazz, tout comme ses currys et son fameux poulet “jerk” relevé au piment scotch bonnet local.

Soleil, cocktail et horizon

“La Jamaïque a toujours eu de riches investissements dans l’agriculture, la noix de coco, le sucre, les fruits, raconte Blackwell. C’était une île très prospère dès les années 1500, quand le grand port de Port-Royal était la capitale du Nouveau Monde. C’était aussi la capitale des hors-la-loi et des pirates. C’est donc une île très multiculturelle, avec une influence africaine profonde, où des gens de toutes origines et de toutes religions vivent ensemble en paix.”

L’après-midi avance. Un morceau d’Amadou et Mariam passe sur Nova ; les vacanciers somnolent au soleil. Chris se remet à son jeu de backgammon. Lorsqu’il ne travaille pas ou n’accueille pas ses invités autour d’un plat d’akée, le fruit national, il y passe toute la journée. Au coucher du soleil, il sirote un cocktail GoldenEye concocté avec son Blackwell Rum aux reflets caramel. Nous contemplons l’horizon orangé. C’est sur cette même mer, porteuse de promesses et de détresse, que le très jeune Blackwell a échoué lorsque le moteur de son bateau a subi une panne d’essence. Déshydraté, affamé, il a été sauvé, nourri et soigné par un jeune rasta qui a inspiré le troublant film Countryman. Des décennies plus tard, Blackwell suit toujours les préceptes des mystiques et leur vénération du rythme de la nature et des cultures les plus anciennes. Toujours avec l’espoir d’une rédemption, d’une libération ultime. Comme la prière de Bob Marley dans Concrete Jungle : “I said that life/ Must be somewhere to be found/ Instead of a concrete jungle/ Where the living is hardest.”

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