Rock star, mode d’emploi
Cendrillon est éternelle. Dans Teen Spirit, premier long métrage réalisé par l’acteur Max Minghella, elle a les traits d’Elle Fanning. Lookée Adidas, l’actrice joue une Polonaise échouée sur l’île de Wight, qui accueillit jadis le Woodstock anglais. Flanquée d’un ténor croate sur le retour, cette lycéenne souffre-douleur va tout donner pour gagner un télé-crochet à Londres. Et passer de la grisaille prolétaire aux plateaux éclairés de néons roses. Ce conte de fées teenage, traversé par Dancing On My Own, de Robyn, et Just a Girl, de No Doubt, où Elle Fanning révèle un talent inattendu pour interpréter des tubes pop, est-il trop générique ? Oui, mais à rebours du cynisme attendu, Minghella a pour lui de croire dur comme fer dans le pouvoir révélateur des télé-crochets. Il est loin d’être le seul. Rose-Lynn, quant à elle, croit en la country. Dans Wild Rose, de Tom Harper, cette ex-taularde écossaise, incarnée par la sensationnelle Jessie Buckley, n’a qu’une idée en tête : oublier Glasgow et partir à Nashville pour devenir la nouvelle Dolly Parton. Rien ne l’arrêtera : ni son bracelet électronique qui lui interdit de sortir de la ville, ni ses deux enfants qui auraient bien besoin d’elle... Si vous devinez la suite de cette fable amu- sante sur la volonté de s’extirper de son milieu, vous vous trompez. En revanche, soyez certains d’entendre les tubes country d’Emmylou Harris et Patsy Cline à propos des coups durs de la vie et l’espoir d’une rédemption chèrement gagnée.
En vouloir à mort
Quand on touche le fond, on ne peut que remonter. Voilà où en est Becky (Elisabeth Moss) dans Her Smell, punkette junkie et bipolaire leader du trio riot grrrl Something She, aux côtés des infortunées Marielle (interprétée par l’ex-mannequin Agyness Deyn) et Ali (Gayle Rankin). Les disques d’or et les couvertures des magazines sont loin et un autre trio féminin, plus jeune et consensuel, est déjà en place pour prendre le relais : The Aker-girls, jouées par Ashley Benson, Dylan Gelula et Cara Delevingne. Ce n’est pourtant pas suffisant pour que Becky mette un terme à son autodestruction, sa jalousie envers une rivale plus chanceuse qui a les traits d’Amber Heard, et son ego trip inversement proportionnel à la taille des salles où elle joue maintenant. De toute cette bile noire post-grunge naîtra la lumière, symbolisée par la chanson Heaven, de Bryan Adams, jouée par Becky au piano. Il fallait oser. D’ailleurs, Alex Ross Perry ose tout en réalisant Her Smell (on ne sait pas s’il s’agit de l’odeur de vodka, de cigarettes, de transpiration ou de vomi qu’exhale la monstrueuse Becky). Éclairée par une lumière guère flatteuse, Elisabeth Moss ressemble à Heath Ledger en Joker. Quant à Perry, toujours snob, il refuse de citer Courtney Love comme influence pourtant évidente. Il n’en réussit pas moins ce film viscéral sur la seconde chance.
Flirter avec le côté obscur
Dans Vox Lux, de Brady Corbet, la chance de Celeste (incarnée par la jeune Raffey Cassidy puis, adulte, par Natalie Portman), c’est aussi son malheur et sa croix. Rescapée d’une tuerie dans son lycée, elle en a fait une chanson, devenue un hit avec l’aide de sa sœur plus douée qu’elle mais moins arriviste (Stacy Martin) et de son manager (Jude Law). À l’aube du XXIe siècle, elle devient une icône de l’après 11-Septembre, un symbole de la perte d’innocence de toute une nation, qu’elle incarnera plus que de raison : vingt ans plus tard, elle est devenue une diva odieuse, calculatrice et alcoolique. De la chair à tabloïds. Un retour en grâce ne se refuse donc pas, à l’occasion de son nouvel album, baptisé Vox Lux. Mais tout n’est pas si simple, sous la direction de l’acteur/réalisateur Brady Corbet, aperçu de l’autre côté de la caméra chez les tordus géniaux Lars von Trier et Michael Haneke. Tout se mélange dans son film, ambitieux et déroutant, entre la musique de l’Australienne Sia, compositrice pour Beyoncé et Rihanna, et les cordes dissonantes de feu Scott Walker (lui-même ex-idole des jeunes ayant délibérément fait dérailler sa carrière, du moins commercialement). Pour Celeste, si le retour est réussi, la victoire sera amère.
En appeler à Dieu
Hallelujah ! En 1972, Aretha Franklin, déjà une superstar, entre définitivement dans la légende en publiant Amazing Grace, un album live qui deviendra le disque de gospel le plus populaire au monde. L’enregistrement s’est déroulé dans une modeste église baptiste du quartier de Watts à Los Angeles, et il a été filmé par Sydney Pollack. Pour des raisons techniques, légales et personnelles, le film, lui aussi baptisé Amazing Grace, n’est visible qu’aujourd’hui. Qu’importe, on assiste ici à un concert littéralement incandescent. Un miracle se produit et Mick Jagger, caché parmi les fidèles de l’église, en a l’air béat d’admiration. C’est aussi une intervention quasi divine qui frappe un jeune loser (Himesh Patel) dans Yesterday, de Danny Boyle. Miraculeu- sement rescapé d’un accident, il revient dans un monde où les Beatles n’ont jamais existé. Il est le seul à connaître leur répertoire, qu’il va s’approprier sans vergogne pour devenir la plus grosse star mondiale. En parlant d’appropriation, ce scénario de Richard Curtis (Love Actually et Coup de foudre à Notting Hill), rappelle salement Yesterday, la BD éponyme des Français David Blot et Jérémie Royer (2011) où, victime d’une faille temporelle, un Frenchie né en 1980, le jour de l’assassinat de John Lennon, se retrouve en 1962, avant la formation des Beatles. Une situa- tion dont il va lui aussi tirer profit. Vivre ce succès que l’on a tant désiré, se voir plus beau que l’on est : qu’en pense Dieu ?
Imprimer la légende
La réplique sort d’un western mythique (L’homme qui tua Liberty Valance, de John Ford) : “On est dans l’Ouest, ici. Quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende.” C’est valable pour le groupe de métal glam californien des eighties, Mötley Crüe. Pour ce quatuor accro au spray coiffant, le rêve américain ressemble à une blonde vulgaire qui vous fait une fellation sous une table dans un bar. Et la gloire à une bacchanale d’empereurs romains. Ça tombe bien, leur biopic, The Dirt (le titre est ce qu’il y a de plus clean dans le film) est réalisé par le cartoonesque Jeff Tremaine, auteur de la série Jackass. C’est aussi la légende qui prévaut dans Madonna & the Breakfast Club, un docufiction sur les années de formation de la Ciccone. Entre les interviews de ceux qui ont partagé sa période bohème et une recréation du New York de 1979 avec l’actrice Jamie Auld, copie conforme de Madonna à 20 ans, on sent bien que tout est réécrit pour alimenter le mythe. A-t-elle vraiment dit à l’époque : “Les crucifix sont sexy parce qu’il y a un homme nu dessus”? Qu’importe, puisque c’est Madonna.