Rentrée littéraire : nos coups de cœur
État de grâce
Summer est un roman écrit comme à contre-jour, dans l’éblouissement d’une silhouette manquante : celle de Summer, disparue l’été de ses 19 ans au bord du lac Léman et immortalisée au sommet de sa splendeur dans la mémoire de son petit frère Benjamin, avec ses longues jambes et son short minuscule. Après Tout cela n’a rien à voir avec moi, prix de Flore 2013, et Crans-Montana, Monica Sabolo creuse son délicat sillon d’images trop parfaites et d’érotisme amer, de jeunesse profanée et de secrets de famille. Entre fantôme et fantasme, suspense et élégie, la note est tenue jusqu’au bout.
Puissance motrice
Ne jamais croire un sujet épuisé. Avec Underground Railroad, Colson Whitehead signe un magnifique roman sur l’esclavage, qui réinvente l’Histoire et déjoue les attendus. Soit l’épopée d’une jeune esclave s’évadant d’une plantation du Sud pour découvrir que l’Amérique, c’est toujours plus loin. Jusqu’ici prisé des critiques mais ignoré du grand public, Whitehead est l’homme fort de la rentrée, couronné par le Pulitzer et le National Book Award, recommandé par Obama et Oprah, bientôt adapté par Barry Jenkins. À la fois conceptuel et poignant, postmoderne et populaire : un train à ne pas manquer.
Comme un torrent
Habitué des formes incisives, de son premier roman Rapport sur moi à Cap Canaveral en passant par L’Invité mystère, Grégoire Bouiller lâche ses chevaux dans Le Dossier M, un sensationnel roman d’amour en deux volumes de huit cents pages – dont le prochain sera publié en janvier. Avec une intensité qui vous cueille d’emblée et une hargne réjouissante contre les biopics calibrés, il tente le coup de “tout dire” sur son histoire avec “M”. Mais où commencer, où finir, jusqu’où tirer les fils ? Bouillonnant, exaspérant, mélodramatique : une nouvelle drogue au rayon autofiction.
Jeune premier
Dans la mode, il est connu sous le nom de Roman, sans “d”. Dans Mon père, ma mère et Sheila, très court récit autobiographique, le coiffeur Éric Romand livre son enfance crue, ballottée dans les rituels populaires des années 1970 et 1980, entre une mère qui se tait, un père hostile à ses manières efféminées et Sheila, dont il ignore encore qu’elle est un “chanteur à pédé”, comme ils disent. Mange-disque, camping, initiations secrètes, revanche sociale : dans la succession de vignettes claquant comme des gifles, un émouvant récit tenu par le non-dit des sentiments et une terrible guerre de la tendresse entre père et fils.
Fin(s) du monde
De source sûre, l’apocalypse est proche. Reste à savoir laquelle et les écrivains s’en donnent à cœur joie. Avec Notre vie dans les forêts, Marie Darrieussecq rêve de clones rebelles dans un conte à la malice lacanienne et aux faux airs de Truismes. L’Écossaise Jenni Fagan penche pour la glaciation mais le réchauffement des cœurs dans Les Buveurs de lumière, Thomas Flahaut cherche une sortie du nucléaire dans son premier roman, Ostwald, et Margaret Atwood dresse la satire de la crise économique dans C’est le cœur qui lâche en dernier. C’est l’horreur à la carte, une affaire de style.