Pop Culture

Le passé, c’est le futur 

Ces dernières années, les créateurs ont énormément emprunté au vestiaire vintage pour leurs collections, sous forme d’“hommages” explicites ou tus. De fait, après le succès colossal de Gucci, la donne a changé : les stratégies des marques se sont affirmées et affinées. C’est dit : le rétro est là pour durer.
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Depuis quelques saisons, la mode semble prise dans une boucle temporelle digne des films de science-fiction : une machine à remonter le temps qui projette les collections au choix dans l’avenir, dans une dystopie bizarre ou carrément dans un film d’époque. Pourquoi ? Tout d’abord, en une décennie, trouver la bonne pièce dans une friperie, signe de coolitude évident, est devenu un sport mondial dont les athlètes sont des icônes au style imbattable, comme Sofia Coppola ou Chloë Sevigny. Les expositions de mode démultipliées et enchaînant les records d’entrées dans les musées (de Dior à Alexander McQueen en passant par Margiela) ont aussi changé la donne : une robe imaginée il y a vingt ou cinquante ans devient soudainement un objet de désir pour des dizaines de milliers de visiteurs. L’ancien est devenu intemporel. Le vintage est aussi devenu un business, avec des boutiques cultes, de Brian Procell à New York à Thanx God I’m a V.I.P. à Paris, regorgeant de pièces mythiques très recherchées (Ossie Clark, Kansai Yamamoto, etc. selon les années et les hommages du moment), avec des prix en conséquence. Paradoxe et dommage collatéral : les boutiques de “neuf” regorgent donc de pièces très datées réinventées avec de petits détails modernes. Le serpent de la mode commence alors à se mordre la queue. Par exemple, l’été dernier a vu le retour en force de la robe longue façon “prairie”, à petites fleurs et col montant mormon, revue et un peu corrigée dans ses volumes par des marques de niche comme Batsheva (NY), ou La DoubleJ (Milan) pour une version plus psychédélique. Du vrai faux vintage… Moins facile à concevoir qu’il n’y paraît. 

 

Imaginaire collectif 

L’autre raison d’exploiter le vintage réside dans la globalisation de la pop culture, qui parle à tout le monde et surtout aux millennials, propagée sur la planète dans un grand flux permanent grâce au cinéma, à la télévision, à Internet (merci Blogspot puis Pinterest) et aux réseaux sociaux. Tout le monde aime les icônes Audrey Hepburn et Jane Birkin et leurs réincarnations Instagram Jeanne Damas et Alexa Chung. Grâce à cette culture partagée, le storytelling, le récit séminal est déjà là comme une petite madeleine de Proust avec un monde intégré, une atmosphère très feel-good : on aime forcément Bart Simpson chez Vuitton Hommes (printemps-été 2019), Les Dents de la mer chez Calvin Klein (printemps-été 2019), Mai 68 chez Dior (automne-hiver 2018-19), Clueless chez Versace, avec ses imprimés écossais flashy 90s (automne-hiver 2018-19), ou encore les supermodèles des 90s, Cindy, Naomi et les autres, défilant pour Versace (printemps-été 2018) en robes lamées or, en hommage à Gianni. Chaque marque choisit, le temps d’une collection, son univers et sa décennie à revisiter. Très vintage sage, Valentino sublime l’image idéale de la jet-set romaine des seventies avec des robes longues structurées à fleurs ou aux couleurs vives, qui auraient pu être portées par Marisa Berenson ou Talitha Getty. Dans la collection Marc Jacobs (automne-hiver 2018-19) ce sont les silhouettes géométriques de Mugler ou Montana des 80s qui défilent, le visage dans l’ombre : couleurs pétantes, du fuchsia au moutarde en passant par le bleu canard, chapeaux larges, lignes triangulaires, et des pantalons carotte en cuir. Pour Miu Miu (automne-hiver 2018-19), l’inspiration, c’est l’Anglaise à choucroute des sixties ou la bad girl en teddy ou gros manteau en tweed telle que photographiée par le Suisse Karlheinz Weinberger. Elles défilent, incarnant une rébellion éternelle, celle qui nourrit le cinéma anglais depuis les années 60. Et puisqu’on parle de septième art, il serait injuste de ne pas mentionner tout ce que cette mode vintage doit à Wes Anderson depuis 2001 et l’ultra stylé La Famille Tenenbaum. Alessandro Michele, depuis son arrivée chez Gucci en 2015, doit sans doute une partie de son immense succès à cette inspiration, tant dans les couleurs que dans les formes, qui mixait à l’écran avec une décadence assumée le jogging rouge 80s, le velours côtelé seventies, le vison et les boots de cow-boy. 

Deux exceptions, deux stratégies 

Première tactique pour détourner le vintage et en faire quelque chose de nouveau : combiner les époques et les styles à la puissance 100. Alessandro Michele, le créateur de Gucci, y est passé maître. Le succès de la marque est devenu le modèle de rêve de tous les autres conglomérats de luxe aujourd’hui. Les looks sur le podium hypnotisent par leur excès : c’est le syndrome “malle aux merveilles”, un mélange extrême de costumes extravagants presque comme sortis du monde de l’enfance. Ainsi pour l’automne-hiver 2018-19 se mêlent avec joie lamés, paillettes, imprimés seventies ou foulard, strass, T-shirts pop, baskets 80s, cagoules seventies et turbans satinés. Une seule règle : la surenchère totale, une accumulation du meilleur du vintage. La fripe, c’est unique, c’est rare donc désirable. Même concept avec les collections capsules (Elton John, Chateau Marmont), dont la dernière en date – toujours aussi culte – pousse même un cran plus loin avec un soupçon de subversion. Cette fois-ci, c’est le sulfureux et mythique couturier du Harlem des années quatre-vingt, Dapper Dan, qui donne sa version de la mode Gucci en s’inspirant de ses archives, lui qui a habillé le gotha des gangsters, des dandies maquereaux, des flamboyants mafieux lookés comme des Rolls-Royce, ainsi que Mike Tyson au sommet de sa gloire. Les rappeurs, comme Big Daddy Kane, ont eux aussi été relookés par Dapper Dan dans sa boutique de la 125e Rue : il les a couverts de logos copiés et réinventés, de vestes à manches ballon oversized et de grosses chaînes en or. 

Deuxième tactique : le grand détournement avec sous-texte social, voire autobiographique. Le Géorgien Demna Gvasalia décline cette stratégie chez Balenciaga (automne-hiver 2018-19) avec des doudounes parkas oversized, des vestes de chasse et des manteaux imprimés foulard et léopard sur-sur-empilés. Même vibe pour certains looks forts de sa marque, Vetements, avec cependant un côté un peu plus streetwear : hoodies, vestes de sport siglées directement inspirées des fripes 100 % acrylique des 80s. Alessandro Michele et Demna Gvasalia ont chacun à leur manière réussi un exploit : faire du spectaculairement moderne avec de l’ancien et créer deux signatures stylistiques reconnaissables entre toutes. 

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