Pop Culture

Quand Lynne Ramsay filme la photographe Brigitte Lacombe

Pour la série de courts métrages “Miu Miu Women’s Tales”, Lynne Ramsay a réalisé “Brigitte”, sur la photographe Brigitte Lacombe. Une œuvre qui tient autant de la déclaration d’amitié que de la mise en abyme.
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Dans le décor grandiose et post-industriel d’une usine hydraulique à Londres, des rires fusent discrètement sur le plateau où est shootée une série de portraits atypiques. Au centre de l’attention officie la photographe Brigitte Lacombe portant blouse et jupe noires contrastant avec sa chevelure argentée. Pleine de douceur et de concentration, elle projette l’image d’une grande prêtresse de la photo noir et blanc, vêtue d’une tenue monastique, pour elle un “uniforme” adopté lors d’un voyage au Japon il y a longtemps. En voix off, le dialogue entre la réalisatrice, l’Écossaise Lynne Ramsay, et la photographe à l’accent français très reconnaissable. Elle manie son Hasselblad et raconte, sur fond du bruit feutré du déclencheur, son histoire, ses choix de vie et son amour pour sa sœur Marian en train de poser elle aussi devant son appareil. Brigitte Lacombe explique à ses modèles la pose presque comme un exercice de yoga ou de méditation, “un équilibre entre tension et relaxation”, avec les pieds bien ancrés dans le sol et la concentration centrée sur la respiration. Pour la photographe, ce travail n’est jamais répétitif car il est fait de rencontres. Et quelles rencontres. Elle a commencé officiellement, presque par hasard, en liant connaissance avec Dustin Hoffman et Donald Sutherland au Festival de Cannes en 1975. Elle sera donc la photographe sur le film Les Hommes du Président puis du Satyricon de Fellini et enchaîne avec Rencontres du troisième type de Spielberg. Enclenchée, sa belle carrière de photographe de plateau se poursuit avec Les Liaisons dangereuses de Stephen Frears, des films de Martin Scorsese, Sam Mendes, Quentin Tarantino ou Spike Jonze. Parallèlement elle travaille comme portraitiste en noir et blanc pour les plus grands magazines et immortalise des artistes, des acteurs ou des politiques, parmi lesquels Winona Ryder, Barack Obama, Bob Dylan, Louise Bourgeois. Elle tisse de solides liens d’amitié avec certains, notamment Meryl Streep et Miuccia Prada qu’elle a photographiée pour un magazine au moment de sa première collection. Photographe sur la plupart des courts métrages de la série Miu Miu Women’s Tales, il n’est donc que justice qu’elle devienne le sujet du 18e opus de ces “contes” féminins et féministes, filmée dans un noir et blanc somptueux qui rappelle le sien par une amie, la cinéaste Lynn Ramsay.

Le film devient d’ailleurs très vite une mise en abyme de la photographe photographiée en train de photographier mais aussi un portrait en creux de la personne derrière la caméra. Devant l’objectif se succèdent des proches de Brigitte Lacombe, ses amis, des sœurs, des amoureux, mais aussi Georgie, la petite fille de Lynne Ramsay et son compagnon biélorusse, Sasha, immortalisés tous deux dans de magnifiques portraits. Un casting éclectique, brut, avec des habits intemporels et luxueux, “à la Derek Jarman” comme le remarque, amusée, Lynne Ramsay. Récompensée en 2017 au Festival de Cannes par le prix du meilleur scénario pour You Were Never Really Here, avec Joaquin Phoenix (lui-même prix d’interprétation masculine cette année-là), elle a à son actif une poignée de films admirés, sans concessions, aussi radicaux qu’elle, parmi lesquels le bouleversant We Need to Talk About Kevin, avec Tilda Swinton en mère dépassée par son fils psychopathe (Ezra Miller). Là dans un exercice inédit pour elle, elle filme une amie au travail, dans un face-à-face intense, aussi profond qu’unique.

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