Et si le retail était sauvé par le digital ? Part 1.
Ancien fondateur de la marque Vicomte A., Arthur de Soultrait n’a rien perdu de son esprit décalé. On le retrouve aujourd’hui à la tête d’un projet aussi pragmatique que malin, et au service de l’humain tient-il à préciser.
Quel est le pitch de départ de votre projet ?
Arthur de Soultrait : Il est assez simple à comprendre, car il part, hélas, d’un constat indiscutable : en France, pour ce qui concerne la mode, le retail (la vente en magasin, ndlr) perd 5 % de chiffre d’affaires par an, depuis cinq années consécutives. Tout le monde le sait, le e-commerce n’est pas étranger à ce malaise. Avec Thunderstone, j’espère relancer le commerce de centre-ville. Le projet serait en quelque sorte un anti Amazon. Let’s make retail great again!
Comment comptez-vous vous y prendre ?
L’idée est de disrupter, pour reprendre un mot en vogue, de bousculer le circuit de vente traditionnel dans la mode, en y intégrant une technologie nouvelle. On est en plein dans ce qu’on appelle le “phygital”, cette hybridation des commerces physique et digital, de l’expérience physique en boutique et de l’expérience numérique en ligne.
Et avec quels moyens ?
Il s’agit de tirer le meilleur des deux mondes : le plaisir de l’expérience boutique d’un côté, et la richesse du catalogue en ligne de l’autre. Or le nœud gordien du problème est de transformer systématiquement l’essai shopping en vente pure. Je m’explique : quand un client vient en magasin, et c’est de plus en plus rare, il est hors de question qu’il en reparte les mains vides. Chez les Anglais, on parle de momentum, cette force qui fait que l’on soutient l’action dans la durée. Si ce client ne peut pas acheter facilement un produit indisponible, il zappe, il s’en détourne, et a de fortes chances de passer à autre chose dans la seconde d’après. L’acte de consommation est devenu extrêmement volatile. Pour contrer ce risque, nous avons une solution.
Quelle est-elle ?
Thunderstone, c’est une borne installée en boutique, une station digitale qui permet au vendeur et au client d’avoir accès à notre marketplace, qui assure une gestion des stocks des marques partenaires (40 en moins de six mois) en temps réel, sur laquelle nous leur proposons d’avoir accès à un prolongement de l’offre produit boutique (autre taille, autre coloris…) et donc probablement à un achat en ligne. Le tout en trois clics seulement : scan du produit, validation du choix, puis du panier. Il ne reste plus qu’à payer directement à la borne, en Apple Pay sans contact. Dernière étape, l’enregistrement de ses coordonnées, permettant une livraison en deux à cinq jours, soit directement en magasin, soit à domicile (mise en place l’été prochain).
Si on comprend bien l’intérêt pour le client, quel est celui du magasin, s’il perd des ventes en physique ?
Il a tout à y gagner. Nous visons seulement les distributeurs multimarques indépendants, 44 000 en France, qui représentent en moyenne une quinzaine de marques chacun, mais pas plus de 5 % des collections en cours dans leur stock physique, faute de place ou de moyens financiers. Chacun d’entre eux touche en moyenne 40 % du prix de la vente en ligne, vente qu’ils auraient majoritairement perdue sans ce service d’accès au stock en temps réel.
Et quel est l’intérêt pour le vendeur, si ce n’est pas lui qui fait la vente, mais la machine ?
C’est une question d’éducation, et nous en sommes bien conscients. Les intéresser, ne serait-ce qu’à l’idée, est même une de nos priorités. Nous sommes là pour rassembler tous les acteurs du secteur, pas pour les diviser. Les temps sont difficiles, et chacun a intérêt à ce que le commerce physique perdure et retrouve de sa superbe. Nous travaillons dur à fédérer, à mobiliser et à convaincre ces équipes de ventes.
A quoi ressemble une borne Thunderstone ?
C’est un peu comme un smartphone géant, installé sur pied en magasin. La version définitive (même si elle s’améliorera encore technologiquement) vient tout juste d’être lancée et installée. J’aurais aimé que ce soit un écran plat, mais c’est impossible avec l’intégration du système de paiement et de l’écran tactile. Cela reste quand même un bel objet, discret autant qu’il interpelle. Cinq versions sont disponibles, et nous visons les 100 en boutique d’ici fin 2019.
Quelle est maintenant la prochaine étape ?
Notre première levée de fonds réalisée il y a six mois, un peu plus d’un million d’euros, nous a permis de soutenir la recherche-développement pour assurer la solution et finaliser ce qu’on appelle le Proof of Concept. Nous nous apprêtons aujourd’hui à en lancer une seconde, pour développer la commercialisation du projet et engager une équipe dédiée.
D’où viennent les investisseurs qui vous soutiennent ?
Ils sont nombreux et tous français ! Parmi eux, Jean-Philippe Cartier (fondateur du groupe hotelier H8 Collection), Marc-Antoine de Longevialle (cofondateur de LeCab), Frédéric Jousset (cofondateur de Webhelp, mécène, et propriétaire de Beaux-Arts Magazine), Rodolphe Carle (fondateur de Babiloo), Xavier Antonioz (président de 123 IM).
Qui est à vos côtés dans cette aventure ?
J’ai lancé la start-up avec mon frère Marcy (fondateur du bureau de création et de design Marcy Paris, ndlr) et Jonathan Anguelov, 30 ans, fondateur de AirCall, dont la réputation n’est plus à faire dans le domaine de la téléphonie digitale. Mais j’en suis le propriétaire, et c’est moi qui fait tourner l’affaire au quotidien.
Qu’avez-vous retenu de votre expérience précédente passée aux commandes de la marque Vicomte A. ?
Gérer depuis sa tour d’ivoire parisienne une marque au niveau national et mondial est un challenge difficile. Je l’ai appris à mes dépens quand nous avons lancé des boutiques Vicomte Arthur en nom propre en France et à l'étranger, et que nous nous sommes plantés. Mais cela m’a permis de renforcer la conviction que j’ai aujourd’hui, même si elle va à l’encontre de l’opinion générale : le rôle des commerçants indépendants de centre-ville est un maillon fondamental de la chaîne de distribution, et donc de l’industrie de la mode, et les digitaliser va leur permettre de survivre.
Et pourquoi Thunderstone ?
Pour la référence aux météorites, cette relation entre l’espace et la Terre. Ou si vous préférez entre le Cloud et le magasin !