Bob Dylan va s'exporter en musée
La lettre adressée à Bob Dylan au nom de la présidence de la République française, tapée à la machine, invite le chanteur à accepter la Légion d’honneur pour sa “carrière complexe et en constante évolution ainsi que [son] engagement social et culturel dans l’importance de la musique dans notre vie à tous”. Elle est signée à la main “Bien à vous, Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication” et datée du 7 juillet 2013, soit quatre mois avant que la médaille n’ait été épinglée à la veste du musicien, lors d’une cérémonie organisée à Paris. Ce message se trouve dans la boîte 42, dossier 06, l’un des ajouts les plus récents à une collection d’archives riche de plus de 6000 documents, réunis en l’espace de six décennies, et aujourd’hui abrités – si ce n’est sacralisés – au sein du Bob Dylan Archive, provisoirement hébergé dans le Helmerich Center for American Research de l’université de Tulsa (Oklahoma). À 76 ans, Dylan – écrivain, musicien, icône culturelle – a déjà atteint l’immortalité.
Même si, selon ses propres mots : “Inside the museums, in nity goes up on trial” (“Aux murs des musées, on met l’éternité en procès”* dans Visions of Johanna). Les conservateurs du lieu dédié à son culte continuent de recevoir, d’ouvrir et d’analyser des cartons expédiés depuis une ancienne de mine de calcaire en Pennsylvanie, où la société Iron Mountain s’est installée, se faisant une spécialité de préserver des fonds historiques et personnels, tels ceux de la princesse Diana, de Charles Dickens, de Frank Sinatra ou encore de l’agence Corbis.
Ces boîtes rassemblent des souvenirs réunis ou retrouvés, patiemment et en toute discrétion, par l’entourage du lauréat 2016 du prix Nobel de littérature. Manuscrits, publiés ou inédits ; carnets de notes en lambeaux, correspondances échangées avec Allen Ginsberg, Keith Richards, Bono, Michelle Obama ; films, photographies, œuvres d’art ; documents nanciers ; captations inédites de séances de studio et de concerts ; instruments ; portefeuille en cuir de 1966 contenant la carte de visite d’Otis Redding et un morceau de papier sur lequel ont été inscrites les coordonnées de Johnny Cash... Rareté parmi les raretés : un enregistrement du concert légendaire du 4 novembre 1961, au Carnegie Hall de New York, où Dylan, âgé de 20 ans, fait ses débuts, délivrant un récital de sept chansons. “Vous pouvez imaginer l’effet ressenti, raconte Larry Jenkins, l’un des consultants impliqués dans ce projet, lorsque vous ouvrez une de ces boîtes et découvrez ce qu’elle recèle. Une chair de poule inouïe !” Cet ensemble – à faire s’évanouir le plus fétichiste des obsessionnels du chanteur – a été acquis auprès du principal intéressé, en 2016, par l’université de Tulsa, associée à la George Kaiser Family Foundation, un fonds monté par George B. Kaiser.