Johnny Coca : "À Londres, les gens ne jugent pas."
Quelle est l’histoire de ce nouveau sac, le Amberley ?
Johnny Coca : J’avais envie d’un trotteur simple et casual, qui soit intimement lié à notre savoir-faire. Je suis parti, comme souvent, de l’idée de fonction, puis j’ai réfléchi à la manière dont je voulais rendre ce produit différent et spécial. Tout est imbriqué dans la conception d’un sac : la matière est un élément qui va définir la construction, et vice versa. Pour la serrure, j’ai repris l’intérieur de la serrure du “Bayswater”, j’ai redéfini son contour, et j’ai ainsi créé une nouvelle histoire, inspirée de l’univers équestre.
Vous êtes un créateur-architecte, en somme…
J’ai fait mes études à l’École Boulle puis à l’université Paris-Seine, en design nautique et automobile. Dans l’ingénierie, tout est lié à la technique et à la construction. Un immeuble ou une chaise ont une construction particulière, inhérente à la matière, à la fonction, au poids. Un sac, c’est la même chose. Vous devez définir comment le sac va tenir et à quoi il va servir. En matière de dessin, le trait est identique. Si vous êtes bon en perspective, vous pouvez tout dessiner.
On parle beaucoup d’accessoires, mais le coeur du sujet, depuis votre arrivée chez Mulberry, est aussi le prêt-à-porter.
Dès mes débuts, je me suis demandé qui pouvait bien être la fille Mulberry, en réfléchissant à l’attitude et aux codes anglais. C’est aussi important vis-à-vis de la concurrence : l’Angleterre fascine tout le monde. On aime tous les Dr. Martens, les kilts, les fleurs, le rock, le pop, le punk… Mais nous, en tant que marque anglaise, nous avons la “légitimité” de ce british spirit. Cette culture regorge d’ingrédients créatifs. Chez Mulberry, je joue avec cet imaginaire, je crée des histoires qui reflètent une femme d’aujourd’hui. Elle aime être belle, sophistiquée, mais elle pique la veste de son grand-père car elle n’a pas envie d’être coincée dans ses vêtements…
Vous aussi, vous piquez les vêtements de vos aïeuls ?
Enfant, j’étais très curieux. J’allais dans les caves, les greniers et je déballais les vieux cartons. Je trouvais toujours des trésors… comme ces bijoux cassés dont plus personne ne veut, mais que l’on garde car il y a un lien affectif. Je récupérais tout et je faisais du bricolage.
Vous étiez déjà attiré par la mode ?
Complètement. À Séville, mes deux soeurs exigeaient que je fabrique les tenues de leurs Barbie ! (Rires.) Alors je leur faisais plaisir, je tricotais des robes en crochet… j’en tricote toujours d’ailleurs, mais pour de vraies femmes ! J’aimais ces week-ends passés en famille où il fallait trouver de quoi s’occuper. Quand j’ai commencé à vouloir en faire mon métier, j’ai eu l’impression d’une montagne à gravir. La mode est un secteur compliqué : quand on est jeune, on a du mal à imaginer qu’on puisse intégrer le milieu sans réseau. Finalement, ce sont les “accidents” qui font avancer : quand j’étais dans l’architecture, j’ai fait des vitrines pour Louis Vuitton ; quand j’ai dessiné des accessoires pour les vitrines Louis Vuitton, j’ai commencé à dessiner de vrais sacs…
Et puis il y a eu l’aventure Céline. Comment passe-t-on d’une maison française à une institution de la mode anglaise comme Mulberry ?
Naturellement. Quand je travaillais avec Phoebe Philo, je dessinais ce que je croyais juste, ce qui correspondait à son univers et au mien. Un designer doit comprendre pourquoi les gens aiment une marque, et quel sens son nom véhicule. L’important, c’est de respecter l’univers d’une maison : si elle est là, c’est qu’il y a une clientèle derrière.
Aujourd’hui, chez Mulberry, vous collaborez avec une autre femme, Lotta Volkova. Qu’est-ce qui vous rassemble ?
L’exigence dans la manière d’aborder le style et le produit. Nous nous voyons essentiellement pendant les périodes de styling, et je la rencontre ponctuellement pendant la saison, pour qu’elle comprenne l’esprit de la collection. Elle voit les choses d’un point de vue féminin, ce qui est capital. Et puis, c’est une fille directe et honnête : j’aime travailler avec des gens qui savent ce qu’ils veulent.
Votre défilé automne-hiver 2017/18 est un succès. Comment appréhendez-vous les mois, les années à venir ?
J’aimerais que Mulberry acquière plus de légitimité et de puissance sur le plan international. Nous développons notre marché en Asie, puis nous nous intéresserons aux États-Unis. Aujourd’hui, plus de 50 % de notre chiffre d’affaires est fait en Angleterre. Du nord au sud, Mulberry fait partie de la culture. Les Belges ont Delvaux, les Anglais ont Mulberry.
Vous parliez du rayonnement du “british spirit”. Comment expliquez-vous cette fascination ?
Quand on arrive à King’s Cross, on voit des punks, des aristos en all over Laura Ashley, des étudiants du Central Saint Martins… C’est ce mélange qui fascine. Il y a aussi la culture de la reine : the Queen, c’est THE Queen, avec tous les principes qu’elle véhicule. L’Angleterre, c’est le classique excentrique : les gens ne jugent pas. À Paris, tout est différent, la vie s’organise plutôt par quartiers. Dans notre deuxième usine, The Willows, que nous avons rachetée à Clarks, la diversité est incroyable. Personne ne se ressemble.
Après cela, difficile de ne pas évoquer le Brexit… Quel sera son impact sur la mode anglaise ?
Comme je le disais, notre réseau de distribution est très anglais. Le problème, c’est le coût croissant des matières premières. Pour les marques ou usines qui se fournissent uniquement à l’étranger, le Brexit va compliquer les choses. Il va falloir repositionner les prix. La mode s’adaptera, il le faut…
www.mulberry.com