Isabel Marant : "S’il y a une révolution, elle est écologique"
Où étiez-vous durant la “nuit des barricades”, du 10 au 11 mai 1968 ?
En 1968, j’avais 1 an. Je devais me faire baptiser, mais mes parents n’ont jamais pu rejoindre la petite église de campagne. Je peux dire que je suis athée grâce à Mai 68 ! Sinon, j’aurais aimé être avec tous les étudiants des BeauxArts qui fabriquaient les affiches contestataires avec ces slogans toujours aussi judicieux.
Avez-vous vécu une révolution ?
Oui ! Et même deux : la chute du mur de Berlin et celle des époux Ceausescu. Ce sont les deux événements qui m’ont marquée. Sinon, je n’ai personnellement pas connu de révolution. Je suis très linéaire… Ou, peut-être, m’être mariée avec Jérôme Dreyfuss après vingt ans de concubinage.
Quel slogan révolutionnaire vous parle ?
Au-delà des incontournables “Sous les pavés, la plage !”, “Métro, boulot, dodo”, “Faites l’amour, pas la guerre”, j’aime particulièrement “L’imagination au pouvoir”, toujours d’actualité. On manque cruellement de personnes dotées d’une vision politique globale pour un futur proche. Cela peut sans doute s’expliquer par un manque d’imagination. Ce qui n’a pas l’air d’être le cas de notre président.
Pour vous, que désigne le terme “révolution” aujourd’hui ?
Dans “révolution”, il y a violence, force et autorité, cela me gêne. Si on ne se fait plus entendre, il faut taper du poing sur la table. Par exemple, à la place des Américains, je ferais une révolution anti-Trump. Nous n’en sommes pas là ! Je suis plutôt quelqu’une qui fait les choses dans le réformisme, qui me semble plus démocratique. Mais s’il y a une révolution, elle est écologique ! Je viens de terminer Homo Deus, de Yuval Noah Harari, c’est alarmant. Si on reste dans cet immobilisme, il sera bientôt trop tard. Il y a urgence à changer nos modes de vie, de consommation. Nous avons ce pouvoir et c’est réconfortant de le savoir. Mais il faut se réveiller.
Que pensez-vous des combats qui animent les femmes en ce moment ?
Malheureusement, ce combat n’est pas nouveau, mais les mouvements actuels permettent de mettre noir sur blanc l’état de notre monde, de faire un bilan. Mon combat est celui des inégalités. Je trouve consternant et même moyenâgeux que, par exemple, dans le cinéma, pour un rôle identique, la comédienne soit moins payée que le comédien. J’ai monté une boîte de femmes, avec des femmes, jamais je ne me suis posé ce genre de questions sur les salaires. Naïvement, je pensais que tout cela était terminé depuis longtemps.
Quelles figures révolutionnaires vous inspirent ?
Le seul remède à l’obscurantisme, c’est la culture ! Quand je lis Salman Rushdie, quand je pense à Simone Veil ou à Agnès Varda, voilà des empêcheurs de tourner en rond. Tout comme l’humour un peu rentre-dedans de Charlie Hebdo. Ou celui, à l’époque, des Nuls. Aujourd’hui, on ne se permet plus cette liberté de parole sous peine de scandale. La culture, le rire, l’humour permettent de dédramatiser certaines situations. De ne pas oublier !
Photographie par Vincent Dessailly
Coiffure et maquillage Céline Cheval, Blandine Desgraz, Louise Garnier, Christelle Minbourg