Morgane Tschiember : "J'aime comprendre les règles pour ne plus les respecter"
“L’art est un dialogue.” Morgane Tschiember aime les rencontres non préméditées, elles l’inspirent. Inattendues, les associations de matériaux dans ses sculptures et installations – verre et béton pour Bubbles ou bois pour Honey Honey, céramique et corde pour Shibari, mousse et cire pour Monochrome – sont autant des expérimentations que des moyens d’ouvrir un nouveau champ des possibles. Dans ses pièces, elle étudie l’essence même des matières, leur densité, leur structure et défie leurs limites physiques. Pour Dust Devil, elle réalise des boules de verre soufflé mélangé à de la poussière: l’objet est au bord de la rupture. Devant cette œuvre qui faisait partie de l’exposition “Six Soleils” au Mac Val à Vitry en 2016, l’astrophysicien Daniel Kunth s’exprime: “Si j’avais une image juste de l’avant big-bang à montrer, ça ressemblerait à cette pièce.”
Morgane Tschiember aime apprendre, “comprendre les règles pour ne plus les respecter.” Quand elle rend visite à des souffleurs de verre qui lui disent que ce qu’elle demande n’est pas possible, qu’elle perd son temps, elle décide de souffler elle-même. Elle ne travaille pas seule mais c’est elle qui soude (Folded), c’est elle qui noue, c’est elle qui cuit sa céramique (Shibari) ou qui taille son marbre. “Les ratages sont très importants dans mon travail. Créer ses propres outils génère de nouveaux gestes et donc une forme de pensée qui n’est pas préétablie” explique-t-elle.
À 4 ans, elle déclare déjà vouloir devenir artiste. Sa mère lui offre des plaques de cuivre pour gravure. Et devant sa détresse de ne pas pouvoir imprimer son œuvre sur papier, son père trouve le moyen d’utiliser un vieux pressoir à pomme dans leur garage. C’est un déclic pour elle: “J’ai été fascinée. J’aime ce glissement des sens, ce glissement progressif d’une forme, d’une fonction. Utiliser un objet et changer sa fonction.” Avec sa mère, elle visite ensuite une exposition sur le Japon à Beaubourg et tombe amou- reuse des rites de ce pays. Ses parents lui offrent un kimono qu’elle voudra porter lors des repas et elle refusera d’utiliser d’autres couverts que des baguettes. Des années plus tard, une galerie nippone l’invite en résidence, elle y découvre, fascinée, le kinbaku et apprend cet art du bondage créé par les samouraïs “La plupart de mes pièces, aujourd’hui, demandent des rituels.” Quand un collectionneur fait l’acquisition d’une de ses pièces, elle lui demandede se prendre en photo avec elle in situ. Quand elle crée une pièce de marbre arrosée de vin, elle aime à penser que son acquéreur devra choisir un moment de l’année pour renouveler ce geste: pour elle, “l’objet crée le liant, il permet le dialogue”.
Voyages, dialogues et surtout rencontres importent pour elle. Morgane Tschiember a partagé son premier atelier avec Olivier Mosset et collaboré avec des artistes comme Douglas Gordon ou John M. Armleder: “Quand on rencontre une personne, on rencontre du temps, du temps empilé.” Alors qu’elle rate son avion à Venise, elle discute pour faire passer le temps avec un groupe de femmes qui lui recommandent de rencontrer le propriétaire d’une carrière de marbre. Elle se rend alors en Toscane et découvre le lieu où Michel-Ange trouvait la matière première de ses chefs-d’œuvre. Le Monte Altissimo sera le lieu de son prochain projet que l’on imagine déjà un défi aux éléments aussi puissant qu’inattendu.