Révolution moléculaire
L’OFFICIEL ART : “Crash Test” rassemble – autour du thème de l’Homme dans la biosphère – 25 artistes émergents, à peu près tous nés dans les années 1980. Pourquoi et comment avez-vous conçu cette exposition, inscrite dans le cycle inauguré en 2014 lors de la Biennale de Taipei ?
NICOLAS BOURRIAUD : La première exposition, “The Great Acceleration”, portait sur l’anthropocène, elle est issue de l’événement scientifique lui-même, à un moment où il n’était pas encore très visible chez les artistes. “Crash Test” s’inscrit donc dans une continuité de travaux, mais sa différence avec la Biennale de Taipei, très généraliste et transgénérationnelle, est que celle-ci entend examiner plus précisément le regard de cette génération d’artistes qui arrive à maturité aujourd’hui, et qui se trouve être la première formée par cette prise de conscience globale que constitue l’anthropocène. Je tente donc de spécifier la nature de l’influence de cet événement sur les pratiques artistiques. Ce qui, à mon sens, apparaît très clairement dans cette exposition est ce que l’on pourrait nommer le “regard moléculaire” : le regard de ces artistes se tourne vers l’aspect moléculaire, physico-chimique de la réalité comme étant le principal champ d’investigation de cette nouvelle génération, de la même manière que les artistes des années 1960 étaient tournés vers la publicité, la consommation de masse.
Les approches, les pratiques et les modes opératoires des artistes réunis sont extrêmement différents : à quelles formes ont-ils recouru pour répondre à la problématique ?
Plusieurs motifs apparaissent dans cette exposition. L’un d’eux me paraît particulièrement prégnant, celui d’une forme-circuit très organique, que l’on retrouve à la fois chez Daiga Grantina, Alice Channer, Johannes Bütttner ou encore Dora Budor : sorte de chaîne organique qui serait un peu la forme dominante de cette exposition – quelque chose d’assez “végétoïde”. Alors que la matrice visuelle du pop-art était la frontalité totale des grands panneaux de publicité ; la matrice visuelle de notre temps serait donc, à mes yeux, ces organismes végétaux qui ressemblent beaucoup aux circuits intégrés. Une forme que j’appelle la “forme-trajet” : qui n’est pas du tout frontale, mais rhizomatique.
Cette exposition dresse ainsi un panorama des artistes qui se sont emparés de cette thématique et ont mis au point un répertoire de formes.
L’exposition explore les familles de formes, et la matrice visuelle à laquelle s’attachent les artistes aujourd’hui. Cela est, bien entendu, inconscient, car les artistes ne se sont pas concertés pour produire, mais ce qui est passionnant est de voir comment, à l’image d’un grand mouvement d’histoire de l’art, on voit apparaître ces matrices assez identifiables en tant que telles.
Comment situeriez-vous le cœur battant de l’exposition ?
Les artistes qui constituent le noyau de l’exposition sont sans doute Alysa Baremboym, Alice Channer et Pamela Rosenkranz : j’ai tenté d’identifier le tronc commun entre leurs trois œuvres, qui me paraissaient similaires sans pour autant savoir comment le formuler. Tout le travail du commissaire d’exposition se concentre là, c’est-à-dire essayer de distinguer, qualifier, nommer un mode de pensée visuelle émergent qui n’est pas encore repéré en tant que tel. L’exposition tente de rendre compte de ces formes émergentes.
Comment envisagez-vous l’“après” de cet état des lieux ?
La suite immédiate de ce cycle sera une résidence au Mexique, dans la Casa Wabi à Puerto Escondido, dans l’Ouest du pays, qui durant deux mois va rassembler la moitié des artistes de “Crash Test” pour donner lieu à autre chose que je ne sais pas encore. C’est un “work in progress”... Il serait tout à fait envisageable d’organiser un deuxième volet d’expositions ailleurs. Le cycle n’est pas fermé, il faudrait encore approfondir certains aspects, certaines problématiques abordées par l’exposition. Chacun et chacune est plutôt dans une perspective personnelle, pour autant, il y aura des échanges entre eux, mais sans doute dans l’idée de comparer leur propre pratique. Peut-être y aura-t-il des projets en commun, on ne sait pas encore.
Dans ces échanges avec les artistes, êtes-vous un chef d’orchestre, un guide ?
Je communique avec eux à un seul niveau : théorique. On peut discuter, échanger des idées, mais n’étant pas artiste, je dirais que c’est plutôt eux qui m’apprennent des choses.
“Crash Test”
jusqu’au 6 mai à La Panacée-MoCo
14, rue de l’Ecole de Pharmacie, Montpellier
lapanacee.org