L'Officiel Art

Révolution moléculaire

Perpétuel défricheur de mouvements et figures nouvelles du monde de l’art, Nicolas Bourriaud, directeur artistique de La Panacée – centre d’art ouvert en 2013 au cœur de Montpellier – a rassemblé 
un choix d’artistes autour de la thématique de révolution moléculaire.

L’OFFICIEL ART : “Crash Test” rassemble – autour du thème de l’Homme dans la biosphère – 25 artistes émergents, à peu près tous nés dans les années 1980. Pourquoi et comment avez-vous conçu cette exposition, inscrite dans le cycle inauguré en 2014 lors de la Biennale de Taipei ?

NICOLAS BOURRIAUD : La première exposition, “The Great Acceleration”, portait sur l’anthropocène, elle est issue de l’événement scientifique lui-même, à un moment où il n’était pas encore très visible chez les artistes. “Crash Test” s’inscrit donc dans une continuité de travaux, mais sa différence avec la Biennale de Taipei, très généraliste et transgénérationnelle, est que celle-ci entend examiner plus précisément le regard de cette génération d’artistes qui arrive à maturité aujourd’hui, et qui se trouve être la première formée par cette prise de conscience globale que constitue l’anthropocène. Je tente donc de spécifier la nature de l’influence de cet événement sur les pratiques artistiques. Ce qui, à mon sens, apparaît très clairement dans cette exposition est ce que l’on pourrait nommer le “regard moléculaire” : le regard de ces artistes se tourne vers l’aspect moléculaire, physico-chimique de la réalité comme étant le principal champ d’investigation de cette nouvelle génération, de la même manière que les artistes des années 1960 étaient tournés vers la publicité, la consommation de masse.

 

Les approches, les pratiques et les modes opératoires des artistes réunis sont extrêmement différents : à quelles formes ont-ils recouru pour répondre à la problématique ?

Plusieurs motifs apparaissent dans cette exposition. L’un d’eux me paraît particulièrement prégnant, celui d’une forme-circuit très organique, que l’on retrouve à la fois chez Daiga Grantina, Alice Channer, Johannes Bütttner ou encore Dora Budor : sorte de chaîne organique qui serait un peu la forme dominante de cette exposition – quelque chose d’assez “végétoïde”. Alors que la matrice visuelle du pop-art était la frontalité totale des grands panneaux de publicité ; la matrice visuelle de notre temps serait donc, à mes yeux, ces organismes végétaux qui ressemblent beaucoup aux circuits intégrés. Une forme que j’appelle la “forme-trajet” : qui n’est pas du tout frontale, mais rhizomatique. 

Cette exposition dresse ainsi un panorama des 
artistes qui se sont emparés de cette thématique et ont mis au point un répertoire de formes.

L’exposition explore les familles de formes, et la matrice visuelle à laquelle s’attachent les artistes aujourd’hui. Cela est, bien entendu, inconscient, car les artistes ne se sont pas concertés pour produire, mais ce qui est passionnant est de voir comment, à l’image d’un grand mouvement d’histoire de l’art, on voit apparaître ces matrices assez identifiables en tant que telles.

 

Comment situeriez-vous le cœur battant de l’exposition ?

Les artistes qui constituent le noyau de l’exposition sont sans doute Alysa Baremboym, Alice Channer et Pamela Rosenkranz : j’ai tenté d’identifier le tronc commun entre leurs trois œuvres, qui me paraissaient similaires sans pour autant savoir comment le formuler. Tout le travail du commissaire d’exposition se concentre là, c’est-à-dire essayer de distinguer, qualifier, nommer un mode de pensée visuelle émergent qui n’est pas encore repéré en tant que tel. L’exposition tente de rendre compte de ces formes émergentes.


 

Comment envisagez-vous l’“après” de cet état des lieux ?

La suite immédiate de ce cycle sera une résidence au Mexique, dans la Casa Wabi à Puerto Escondido, dans l’Ouest du pays, qui durant deux mois va rassembler la moitié des artistes de “Crash Test” pour donner lieu à autre chose que je ne sais pas encore. C’est un “work in progress”... Il serait tout à fait envisageable d’organiser un deuxième volet d’expositions ailleurs. Le cycle n’est pas fermé, il faudrait encore approfondir certains aspects, certaines problématiques abordées par l’exposition. Chacun et chacune est plutôt dans une perspective personnelle, pour autant, il y aura des échanges entre eux, mais sans doute dans l’idée de comparer leur propre pratique. Peut-être y aura-t-il des projets en commun, on ne sait pas encore. 

 

Dans ces échanges avec les artistes, êtes-vous un chef d’orchestre, un guide ?

Je communique avec eux à un seul niveau : théorique. On peut discuter, échanger des idées, mais n’étant pas artiste, je dirais que c’est plutôt eux qui m’apprennent des choses. 

 

 

Crash Test”
 jusqu’au 6 mai à La Panacée-MoCo
14, rue de l’Ecole de Pharmacie, Montpellier

lapanacee.org

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AGNIESZKA KURANT, “A.A.I 1-6”, 2014, termitières faites de sable coloré, d'or, de paillettes et de cristaux ; 64,8 x 40,6 x 33 cm (“A.A.I 1” (grand bleu), “A.A.I 2” (petit rouge), “A.A.I 3” (grand noir), “A.A.I 4” (grand bleu), “A.A.I 5” (petit vert), “A.A.I 6” (noir moyen)). Collaboration avec l'entomologiste, Dr. Paul Bardunias, SUNY-ESF avec l'Université de Floride et Dr. Leah Kelly, Université Rockefeller.
ALICE CHANNER, “Burial”, 2016, bronze aluminium moulé, béton moulé, acier Corten moulé, billes de PEHD ; dimensions variables. Prêt de l’artiste et de la Galerie Konrad Fischer, Allemagne.
ALISA BAREMBOYM, “Adaptic Systems”, 2013, acier crénelé, pigments d’encre permanente sur soie, céramique, élastique plat, vinyle teinté, tamis à siphon, aimants et quincaillerie ; 120 x 76 x 41 cm.
AUDE PARISET, “Production en cours” (détail), vers et plastique.
BIANCA BONDI, “Mer”, 2017, tubes en verre, glycérine, sel, techniques mixtes.
BIANCA BONDI, “Smash and Grab”, 2016.
CAROLINE CORBASSON, “Poussière”, 2017, installation vidéo, poussières du désert d’Atacama au Chili, observées avec un microscope électronique du Musée national d’Histoire naturelle.
CAROLINE CORBASSON, “Poussière”, 2017, installation vidéo, poussières du désert d’Atacama au Chili, observées avec un microscope électronique du Musée national d’Histoire naturelle.
DORA BUDOR, “Une femme passant dans la rue a dit, “un décongestionnant, un antihistaminique, un antitussif, un analgésique.”, 2016, verre trempé, acier, mousse de polystyrène, résine aqua, pierres, terre, sable, résine époxy, polymère acrylique avec suspension pigmentaire, réplique de “Instruments pour opérer sur les femmes mutantes” de “Dead Ringers” (1988), fils médicaux de suture chirurgicale sur la main gauche de l'artiste ; 166 x 132 x 51 cm.
ESTRID LUTZ / EMILE MOLD, “An Urban Murder”, 2017, résine traitée aux UV, feuille adhésive, impression sur papier photographique, aluminium, nid d'abeilles, résine époxy, fibre de verre ; 180 x 120 x 3 cm. Collection privée.
IVANA BASIC, “Il y a mille ans 10 secondes de souffle étaient 40 grammes de poussière # 1”, “# 2”, 2017, acier inoxydable, force, albâtre rose, temps, soie, amortissement, poussière, actionneurs linéaires électromagnétiques, microcontrôleur.
JULIETTE BONNEVIOT, “Minimal Jeune Fille”, 2013, déchets plastiques de Juliette, résine bio, flacon en verre, tissu microfibre, feuille plastique ; 125 x 100 x 30 cm.
MARLIE MUL, “Puddle (Faint Green)”, 2014, résine, sable ; 4 x 104 x 67 cm. Prêt de l’artiste et de Croy Nielsen, Vienne.
MARLIE MUL, “Puddle (String)”, 2014, sable, pierres, résine, cordon, cigarette ; 130 x 100 cm. Prêt de l’artiste et de Croy Nielsen, Vienne.
MARLIE MUL, “Puddle (Black Market)”, 2013. Prêt de Croy Nielsen, Berlin.
PAMELA ROSENKRANZ, “Sexual Power (Viagra painting 9)” (détail), 2014. 210 x 150 cm. Prêt de l’artiste.
PHILLIP ZACH, “Attention liquid”, 2013.
PHILLIP ZACH, “Seeing red” (détail).
VIRGINIA LEE MONTGOMERY, “Deep See”, 2017, HD video, 01:57 min. Prêt de l’artiste.
VIRGINIA LEE MONTGOMERY, “Deep See”, 2017, HD video, 01:57 min. Prêt de l’artiste.

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