Charles Carmignac : “La Fondation est une matrice engagée”
L’OFFICIEL ART : De nombreux paramètres ont constitué la trame de réflexion pour l’aménagement du bâtiment inscrit sur une île, dans un environnement naturel protégé. Imaginaire insulaire, accès peu aisé, jeu de montré-caché…
CHARLES CARMIGNAC : Mon père voulait que le lieu où il partagerait sa collection ne puisse être considéré comme une marchandise, qu’il s’agisse d’un lieu à part, dans lequel on puisse y aller pour apaiser son esprit, laisser la puissance de l’œuvre vous pénétrer. Le fait de se rendre sur une île implique cette mise en condition. Lors de l’éloignement, du déplacement, du transport dans tous les sens du terme, il se produit un double voyage physique et mental. Un phénomène s’opère quand on largue les amarres, que l’on quitte l’environnement familier pour se diriger vers une île, un ailleurs où tout est possible. C’était important de créer les conditions propices à ce que le contact avec ces œuvres-là puisse générer des expériences intimes. Mais ce qui est intéressant c’est que ce n’est pas non plus une bulle à l’écart. A Porquerolles, on s’éloigne du monde pour mieux s’y plonger parce qu’on est confronté ici à des questions essentielles. Il s’agit d’un parc national donc la question de la présence de l’Homme au monde, son impact sur ce qui l’entoure est quotidiennement posée. C’est à la fois un lieu de préservation, de protection de la faune et de la flore, mais également un lieu de forte affluence touristique où l’Homme est une menace possible.
Le rite de passage de différents territoires pour gagner la Fondation implique une forme de prise de risque, nécessite un engagement du corps et de l’esprit que vous mettez en scène, notamment, en réclamant du visiteur qu’il se déchausse pour être en prise avec le lieu.
Après la traversée en bateau, il faut marcher 680 pas. Puis, sur place, il y a une déambulation et quelque chose qui se produit dans la marche, dans l’engagement du corps. Le visiteur est son propre initiateur. Quant au récit que nous proposons, il est exempt de contenu narratif, ce sont les œuvres et les lieux qui parlent d’eux-mêmes. L’exposition est construite par chapitres dictés par les lieux. Il y a un bâtiment, un jardin de sculptures et la forêt : la progression du corps à travers ces espaces s’opère spontanément. Le parc extérieur est organisé autour d’une lente disparition de l’Homme dans les espaces naturels, une dissolution. On part d’un bâti au fort impact humain, pour rejoindre les jardins très travaillés de Louis Benech tout en laissant s’exprimer ce qui pousse spontanément sur l’île.. Puis l’impact, la main du jardinier disparaît progressivement. On arrive à la forêt qui est l’endroit le moins touché par la civilisation où l’Homme peut se fondre dans ce qui l’entoure. L’île entière est un trésor de vie, elle est dotée d’un conservatoire botanique et d’une bibliothèque de graines.
Les œuvres de la collection sont constituées d’acquisitions – Lichtenstein, Warhol, Basquiat mais aussi Theaster Gates... – de même que des commandes, telle la pièce de Barcelo.
Il s’agit de l’interprétation du dragon légendaire de Porquerolles : l’Alycastre, gardien posté à l’entrée du musée. La Fondation est une matrice assez engagée. Outre la collection d’œuvres, nous avons créé le Prix Carmignac de photojournalisme (2009), consacré cette année à l’Arctique avec, notamment, la problématique de la fonte des glaces. Notre engagement s’inscrit donc dans ce Prix tout comme dans le choix des artistes réunis : la collection traduit ainsi des regards libres, indépendants, incisifs sur le monde.
“Sea of Desire”, jusqu'au 4 novembre, Fondation Carmignac, 83400 Île de Porquerolles, Hyères.