L'Officiel Art

Cos X Arthur Mamou-Mani: l'architecture éco-responsable

Engagée depuis plusieurs années dans le soutien à l’art contemporain et au design, la maison Cos – fondée à Londres en 2007 – est présente au Salone del Mobile depuis 2012. Pour sa huitième participation, elle a convié l’architecte Arthur Mamou-Mani (spécialiste de la conception et fabrication numériques) à réaliser une carte blanche faisant usage de plastique compostable. L’installation sera ensuite visible de mai à juin dans la boutique Cos de Coal Drop Yards, à Londres. Rencontre avec Arthur Mamou-Mani et Karin Gustafsson, directrice artistique de Cos.
water fountain

 

L’OFFICIEL ART : Comment votre projet de structure architecturale, en plastique (composé d’amidon de maïs, vinaigre et glycérine) entièrement compostable, est-il né ? Comment en décririez-vous la nature ?

ARTHUR MAMOU-MANI : Je précise que ce plastique possède les mêmes propriétés que le plastique conventionnel, mais il est beaucoup moins toxique et, surtout, génère 68% de moins d’empreinte carbone. Alors que nous nous trouvions dans le désert de Black Rock, Nevada, lors du festival Burning Man, nous avons reçu un appel de Cos. Nous étions alors en pleine réflexion sur le “temple”, une structure à forte charge émotionnelle, dont l’une des caractéristiques est de ne laisser aucune trace, en respect de l’environnement. Dans ce contexte, et avec les images du Palais Isimbardi de Milan que Cos nous avaient envoyées – en contraste total d’ailleurs avec le paysage aride dans lequel nous nous trouvions : notre intérêt a été piqué. D’autant plus que Cos nous a fait part des valeurs de l’entreprise, évoquant, notamment, l’intemporalité. Le palais en lui-même présentait également des éléments très intéressants à nos yeux. Il est extrêmement symétrique et linéaire, alors que notre travail est très courbe et doux : je voyais là un contraste intéressant. Nous avons donc rencontré les équipes de Cos, munis d’une sorte de grille tridimensionnelle, et l’on a travaillé à dissoudre la grille afin de mettre en relief le contraste avec le palais. S’ajoute à cela le jardin du palais qui présente un contraste naturel avec la structure plus humaine. Le lien entre la nature et l’humain, et l’usage d’une technologie très avancée qui, du fait des matériaux, nous renvoie à la dimension naturelle ont constitué le terreau initial sur lequel se sont développées nos idées.

Sur quel calendrier et comment se sont déroulés vos échanges avec les équipes de Cos ?

Nous avons commencé à travailler début septembre, mais nos premières réunions avaient principalement pour objectif d’apprendre à se connaître mutuellement. Mon souhait était d’aller au fond des choses, et que l’impact aille au-delà de l’œuvre elle-même. Mon objectif est que l’œuvre permette d’enseigner d’autres concepts, ou d’évoquer des questions qui me semblent primordiales, à savoir le futur de la planète, comment mettre en œuvre un développement durable, de quelle manière les architectes peuvent utiliser des matériaux plus responsables. Parce qu’avec l’usage du béton et de l’acier, les constructions sont responsables de la plus grande empreinte carbone ; le béton représentant à lui seul 8%. Une donnée que les architectes ne connaissent pas forcément. J’ai donc évoqué très clairement ces différents aspects avec les équipes de Cos, qui ont été très attentives et réceptives. Ce terrain d’entente a constitué une base essentielle à cette collaboration : Cos souhaitait évoquer le bio plastique, la technologie, l’artisanat digital, autant de paramètres primordiaux à mes yeux. Les principes et l’objectif final du projet étaient clairs et partagés. 

 

Quelles interactions ont été générées avec les équipes de Wasp, un groupe de scientifiques italiens, créateurs de l’imprimante 3D utilisée dans la réalisation des bio-bricks? 

Wasp est la clef qui a permis la mise en œuvre de ce projet. Lorsque j’ai débuté en architecture, les imprimantes 3D étaient de taille modeste et ne permettaient de réaliser que de petits objets, j’étais persuadé que cela allait évoluer pour s’inscrire dans le champ de l’architecture, mais ce n’était pas un lien évident à l’époque. Avec l’un de mes amis, nous avons donc créé un logiciel qui lie notre modèle numérique à l’imprimante 3D, sans passer par un intermédiaire. Lorsqu’il est devenu open source, Wasp l’a téléchargé, expérimenté et nous a contactés pour nous faire part des résultats obtenus. Je suis allé les voir en Italie, ils m’ont emmené dans la montagne, on s’est assis en cercle et ils m’ont annoncé qu’ils avaient créé “Shambala”, le village idéal : il vient de la terre, et retourne à la terre. Les membres de Wasp sont tous bouddhistes et croient fermement à l’architecture naturelle. J’ai été très séduit par ce concept, de même que par la personnalité des membres de Wasp. Nos échanges se sont donc poursuivis, ils m’ont envoyé le matériel, nous avons commencé à expérimenter, et nous avons créé le network qui nous a permis de réaliser ce qui est aujourd’hui la plus grande structure imprimée en 3D au monde, entièrement conçue en bio plastique. La structure est composée de 700 briques, la réalisation d’une brique nécessite quatre heures et demie, nous disposions de deux mois pour finaliser la structure, le défi était considérable et passionnant. 

Quelles variations (formes, teintes, structures) les matériaux utilisés et concept autorisent-ils ?

La machine dispose d’un cône dans lequel on peut introduire divers éléments (graines, algues séchées…). Cependant, chaque matériau à ses propres règles qu’il est nécessaire d’adapter, mais cela permet d’obtenir une diversité subtile entre les différents matériaux et les différentes techniques.

 

Comment les règles de calcul en architecture, notamment au regard de l’optimisation des forces et poids, s’appliquent-elles à votre installation ?

De façon cruciale. Nous avons ainsi travaillé étroitement avec les ingénieurs : démontrant d’ailleurs que la limite entre l’ingénierie et l’architecture est poreuse lorsqu’il s’agit de l’architecture numérique et paramétrique. On observe également ce phénomène dans le domaine de la fabrication où les frontières sont floutées. Si bien que cela nous permet d’expérimenter tous ensemble. En ce qui concerne l’optimisation de structure de la direction des diagonales, nous avons travaillé à optimiser pour que cela soit tout en tension et non en compression : la structure comporte deux millions de ces éléments, dont l’ordinateur peut nous indiquer la direction optimale. L’ordinateur devient ainsi une sorte de “collègue” de travail, qui identifie les endroits nécessitant une consolidation. Ceci nous permet de créer une structure très légère pour ce qu’elle soutient, de faire usage d’éléments très fins et de ce fait d’utiliser moins de matériau. 

 

Comment avez-vous procédé en termes de fabrication ? 

Nous avons des laboratoires de fabrication à Milan, Venise, dans les montagnes de Macerata, et à Londres. Nous avons distribué la production dans des petits laboratoires tout autour de Milan, faisant appel à la distributed manufacturing. Ce qui permet de fournir du travail localement et de partager un peu les valeurs… En outre, nous avons pu continuer à faire évoluer le projet, puisque nous avions tous accès à la même machine, si bien que l’on pouvait tester le code, faire des mises à jour…

 

Comment ce matériau évolue-t-il, aussi bien au plan esthétique qu’en termes solidité ? 

L’avantage de ce matériau est qu’il ne se biodégrade pas spontanément, pour cela, il faut le mettre dans les conditions du compost, à savoir bactéries, humidité à 100%, température de 60°C. En outre, à l’inverse du bois, le plastique ne pourrit pas. Le vieillissement va plutôt intervenir sur la teinte qui jaunit avec les ultraviolets. Mais il est possible d’ajouter des additifs naturels qui permettent de l’éviter. 

 

A terme, un tel projet – avec les applications qu’il laisse entrevoir dans une société plus attentive aux notions d’écologie – est-il envisageable dans des domaines tels que la création d’habitat à faible coût pour les personnes déplacées, à l’instar des projets de Yona Friedman ? 

Absolument, d’ailleurs, nos étudiants à Westminster travaillent sur le sujet des communautés déplacées en utilisant cette technologie. Comment réaliser une structure qui peut s’assembler, se désassembler assez rapidement, et qui utilise des matériaux inscrits dans un cycle global, c’est-à-dire culture des matériaux (maïs) et utilisation. Nous étudions donc ces écosystèmes dans le cadre d’un usage local, ceci afin d’éviter les trajets des matériaux qu’il faut se procurer. La continuité logique de ce processus serait ainsi de créer des communautés. 

Karin Gustafsson et Arthur Mamou-Mani devant l'installation “Conifera”.

 

L’OFFICIEL ART : 2019 marque votre huitième participation au Salone del Mobile : qu’est-ce qui motive cette assiduité ?

KARIN GUSTAFSSON : Je pense qu’au fil du temps, l’accueil très favorable des visiteurs nous a largement confortés. Cette année, l’opportunité de travailler avec un architecte doté d’une vision qui nous correspond et nous inspire a été dynamisante. Le projet “Conifera”, pensons-nous, fera la différence à l’avenir. Pour nous, tout commence toujours par l’inspiration, et notre inspiration trouve sa source dans la recherche. Cette saison, en particulier, nous avons observé un mouvement dirigé vers les designers à la fois artistes et architectes, tournés vers le futur. Chaque année est bien évidemment différente, c’est la raison pour laquelle c’est toujours aussi passionnant. C’est comme un voyage perpétuel.


Cette année, vous collaborez avec l’architecte français Arthur Mamou-Mani, qu’est-ce qui a guidé votre choix ?

Le point de départ à été l’une des pièces qu’il créées pour Burning Man, qui a particulièrement attiré notre attention. Nous aimions beaucoup son approche, sa manière d’envisager l’architecture : pensée véritabelement pour le futur.

 

Après sa présentation lors du Salone del Mobile, l’installation sera visible dans la boutique Cos de Coal Drop Yards à Londres : comment ce lieu (en termes de dimensions et aménagement) entend-il mettre en espace la pièce ?

Cette boutique est très vaste, elle répond à un nouveau concept où nous proposons à la vente des œuvres d’art et de design. Actuellement, nous présentons des pièces de designers anglais, notamment Paul Cockedge. Nous allons conserver le principe de structure de ce qui a été réalisé pour le Salone, mais aussi l’ensemble de la réflexion qui sous-tend ce travail, l’usage qu’Arthur Mamou-Mani fait de la technologie et des matériaux eco-responsables. La présentation sera d’ailleurs accessible lors de la Art Night London (Nuit blanche) qui cette année se tient le 22 juin. Ce qui est intéressant avec ce type d’installation, c’est qu’il est possible de disposer des eco-bricks dans la boutique de façon à les inscrire en dialogue avec l’environnement. Cette architecture est flexible, elle permet de penser de nouvelles solutions pour le futur, ce qui nous séduit énormément. Cette faculté de construire, déconstruire puis reconstruire d’une manière différente est très intéressante. 

 

Cette boutique est effectivement très atypique dans la mesure où c’est le seul espace de vente Cos qui propose à la vente des tableaux, (de même qu’un choix de produits de beauté). Pourquoi cette orientation de Cos, qui fait ici office de galeriste ? Comment les choix d’œuvres sont ils opérés ? La dimension lifestyle, via les produits de soins proposés, va-t-elle s’étendre à d’autres boutiques dans le monde ?  

J’ai débuté avec cette scène de designers, d’artistes, d’architectes, et c’est via ces impulsions que réflexion et création sont activées. J’ai été très influencée par cet univers. Au fil des années, nous avons observé combien nos clients partagent cet intérêt pour la création contemporaine, aussi, nous voulions créer une boutique où il serait possible de prendre connaissance de l’histoire qui suscite le produit. Nous avons ainsi réuni un comité d’art, rassemblant des expertises internationales. Nous nous rassemblons une fois par mois et discutons de nos collaborations, des personnes en qui nous croyons, qu’il pourrait être intéressant d’exposer à Coal Drop Yards. C’est un travail collaboratif entre différentes équipes de Cos. Nous travaillons à étendre cela dans d’autres lieux spécifiques. C’est une évolution en laquelle nous croyons. 

 

Comment les clients de la boutique ont-ils accueilli cette initiative ? 

Ils ont manifesté un vif intérêt, car il ne s’agit pas uniquement d’accrocher des œuvres dans une boutique de prêt-à-porter, c’est une expérience, et le personnel de la boutique est là aussi pour partager avec les clients ses connaissances sur les pièces. Nous avons également engagé à temps partiel des étudiants de Central Saint Martins qui participent à la médiation avec notre clientèle. Nous avons ainsi réuni une équipe dévouée et passionnée. Nous avons aussi décidé de mettre en scène la collection de prêt-à-porter différemment, suivant les thèmes auxquels nous croyons, et nous présentons les vêtements en accord aves les inspirations. Dans cette boutique, les collections femme et homme sont ainsi par thèmes, et non par sexe. Les thèmes tels que légèreté, confort... accueillent les vêtements qui sont distingués par des cintres de couleur différente suivant qu’ils s’adressent aux hommes ou aux femmes.

 

Via vos collaborations et projets avec les Serpentine Galleries, le Guggenheim Museum à New York, les foires Frieze à Londres et New York et le salon Design Miami, vous poursuivez votre soutien au domaine de l’art. Rétrospectivement, qu’est-ce que cet engagement au fil des années à apporté à la maison COS, à différents égards (image, sources d’inspiration…). 

Cette inclination a grandi en nous, dans l’entreprise, et nous apprécions le mélange des disciplines. Nous croyons fermement en la bonne intelligence générée par les collaborations, chacune d’elles a apporté sa pierre à l’édifice. Notre soutien part du postulat d’un créateur (artiste, designer, architecte) qui nous paraît pertinent et visionnaire. Notre ambition est alors de la partager avec le public et, d’une certaine manière, de faire en sorte qu’il se sente concerné par le propos.

 

• “Conifera”, COS X Arthur Mamou-Mani”, du 9 au 14 avril au Palazzo Isimbardi,
Corso Monforte, 35, 20122 Milan, Salone del Mobile.

• Cos, Coal Drop Yards, de mai à juin. Stable St, Kings Cross, London N1C 4DQ.

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