COS ou quand la mode s’inspire de l’art
Nouvellement diplômée du Royal College of Art de Londres, Karin Gustafsson est identifiée comme fort potentiel par la direction de H&M, alors en phase de réflexion avancée sur sa future marque, Cos (pour Collection of Style). Nous sommes en 2007, Gustafsson assiste à la naissance de la griffe et, au fil des collections, l’imprègne d’une identité croisant rigueur des coupes, matières soignées et détails discrets qui marquent la différence. “À nos yeux, la forme suit la fonction, c’est ce qui définit nos lignes, toujours très pures et nettes”, indique-t-elle. Aujourd’hui, après la première inaugurée à Londres, les plus de deux cents boutiques essaimées dans une trentaine de pays scellent la pertinence de sa vision. Esthétique et attentive aux débats actuels. Ainsi, au printemps 2017, à l’occasion du dixième anniversaire de la marque, Gustafsson réalisait une collection capsule fondée sur un travail d’anticipation destiné à minimiser les chutes de tissu lors de la coupe. Observation du tombé des matières, étude des dimensions des cols et poignets, placement des poches, des coutures, recherche de volume, de mouvement : elle conçoit ses modèles à la manière d’un architecte. Ou d’un designer. Fonctionnalité est en effet le maître-mot de tout vêtement Cos. Et le tour de force est précisément de doter ce déterminant technique, par trop abrupt dans l’univers de la mode, d’un faisceau de qualités essentielles. Sobriété, élégance et, disons-le, séduction. De celles, toutefois, qui ne se lisent pas trop facilement.
Au rythme de deux collections annuelles, Cos prend le temps d’être présente là où on ne l’attend pas, et toujours en toute discrétion. En effet, quand d’aucuns se targuent, à grand renfort de communication ad hoc, d’un engagement dans l’art et d’un soutien à tel musée via le financement du cocktail d’inauguration, Cos agit en vision panoramique, pour le plus grand nombre (collaborations avec la foire Frieze à Londres et à New York, les Serpentine Galleries à Londres, le Guggenheim à New York). La sensibilité de la maison lui permet, en effet, de présenter un stand en nom propre au Salon du meuble de Milan, par exemple, où, depuis 2012, elle a confié à des plasticiens et designers l’interprétation de l’identité de l’entreprise, grâce à des installations éphémères avec, en contrepoint, quelques pièces du vestiaire maison suspendues à un stoyak.
En 2015, l’agence américaine Snarkitecture – fondée par le plasticien Daniel Arsham et l’architecte Alex Mustonen – composait ainsi une sorte de forêt de stalactites : univers poétique, limpide, néanmoins froid et inquiétant. Mais juste ce qu’il faut. C’est cet exact dosage des éléments de surprise, de réconfort et de force que diffusent les pièces Cos. Presque rien, un morceau de tissu, souvent sombre – le bleu marine est la couleur favorite de Karin Gustafsson – mais aussi blanc, gris, bleu azur ou indigo, réinvente chaque saison la chemise. A l’image du physique d’un coureur de fond, il est procédé ici par retranchement, suppression de l’inutile, ou plutôt du non-indispensable, taillé au plus près de la racine. Comme s’il fallait évacuer la tension, le malaise de l’“inapproprié”. Etre parfaitement à sa place. A l’aise dans son corps et dans sa musique intérieure.
Bien qu’elle soit ancrée dans la plus active contemporanéité, au regard, au toucher, la maison Cos et les vêtements qu’elle conçoit évoquent les atmosphères posées avec une si grande justesse par le peintre danois de la fin du XIXe siècle Vilhelm Hammershoi, peuplées de personnages aux tenues austères. Enigmatiques et porteurs d’une certaine gravité. Lors de l’édition 2017 du Salon du meuble de Milan, l’installation “New Spring”, proposée par Studio Swine à l’invitation de Cos, mettait à contribution le toucher, la transparence et les parfums. Un arbre immaculé délivrait à rythme régulier de larges bulles renfermant une senteur naturelle qui éclataient au toucher : un univers qui, une fois n’est pas coutume, allait frayer du côté du ludique, suscitait une forme de joie enfantine de la bulle qui explose alors qu’on cherche à la préserver le plus longtemps possible, dispersant d’infimes gouttelettes.
Présentée dans le cadre de Design Miami en décembre dernier, à une échelle moindre, cette installation faisait l’objet d’une médiation auprès des visiteurs, souhaitée par Cos. Eloignée de la foire mais judicieusement intégrée au parcours de visite, une autre version, de taille augmentée celle-là, était librement accessible au public dans une vaste salle au sol blanchi. Quant au volet commercial, il avait été relégué à l’étage et tenait en quelques pièces sur un portant. Nulle vision frontale, une simple proposition qui, il faut bien le reconnaître, s’harmonisait à souhait avec l’expérience de l’installation. “Nous croyons fermement en l’importance du temps, c’est pourquoi les créations – qu’il s’agisse de vêtements, d’œuvres d’art ou de bâtiments – nécessitent une certaine qualité et des lignes simples pour durer.” Cette année, dans le cadre du Salon du meuble de Milan, Cos a sollicité l’artiste américain Phillip K. Smith III. Il présentera une sculpture en plein air, dans la cour XVIe siècle et le jardin anglais du Palazzo Isimbardi. Une expérience esthétique et sensitive évoluant au gré de la lumière naturelle.
Installation de Phillip K. Smith III,
librement accessible au public
du 17 au 22 avril, au Palazzo Isimbardi,
Corso Monforte, 35, à Milan.
www.cosstores.com