Olivier Audemars : "Préparer l’entreprise à un monde en évolution”
L’OFFICIEL ART : Le projet “Halo”, réalisé par le duo britannique Semiconductor après une résidence au CERN de Genève, marque un jalon dans le vocabulaire esthétique, artistique de la maison qui, bien que campée sur ses racines horlogères, explore plus avant le monde de l’art contemporain…
OLIVIER AUDEMARS : Nous sommes particulièrement intéressés par les notions de précision, de complexité et, bien entendu, les questions autour du temps. Le CERN abrite le plus grand instrument scientifique jamais fabriqué par l’Homme, dans lequel des particules sont accélérées à de très grandes vitesses jusqu’à provoquer des collisions, enregistrées au regard de divers paramètres. En multipliant les instruments de calcul et recueil de données, cela permet différentes perspectives sur les caractéristiques de la particule. Nous autres, horlogers, travaillons également sur une entité immatérielle : le temps. Une montre est un mécanisme qui permet de visualiser un intervalle entre deux évènements, mais aussi un instant donné par rapport à une référence, formalisés par la position de deux aiguilles. Ou encore, via une répétition-minute, deux petits marteaux qui frappent sur des gonds pour compter les heures, les quarts d’heure et les minutes, ce qui délivre une autre information. Il s’agit là de façons différentes de tenter de saisir cette notion de temps, elles se complètent mais ne sont pas exclusives l’une par rapport à l’autre. Dans l’œuvre HaloRuth Jarman et Joe Gerhardt, duo composant de Semiconductor, ont tenté de représenter ces particules évanescentes en utilisant deux de leurs caractéristiques : corpusculaires et ondulatoires. On visualise ainsi leur trajectoire et on accède via la dimension sonore à leur nature ondulatoire. Les horlogers de notre Maison ont toujours été obsédés par l’idée de perfection et de beauté de chacun des composants fabriqués. En d’autres termes, le propos est de comprendre ce qui peut rendre beau le son du carillon. Halo adopte une démarche similaire. En effet, en cherchant à représenter ces particules élémentaires, Semiconductor a visé la mise en évidence de leur beauté et pas uniquement leur nature. C’est une œuvre qui pour nous nous parle énormément.
Votre vision de l’art semble se fortifier et s’inscrire de plus en plus au sein de la Maison Audemars Piguet – riche de toutes ses spécificités, notamment familiales –, allant jusqu’à imprégner l’organisation…
Effectivement, nous tentons de faire en sorte que cette implication dans l’art contemporain modifie notre perception. On ne veut pas collectionner de l’art, on veut être transformés par l’émotion générée par l’art contemporain. Evidemment, cela génère de la communication et procure un moyen de positionner la marque… C’est important, mais ce n’est pas le plus fondamental. A nos yeux, la dimension essentielle est de tenter de préparer l’entreprise à un monde qui est en perpétuelle évolution et, pour cela, collaborer avec des artistes qui ont cette capacité à saisir les signaux de notre environnement et à les représenter dans leur travail. A partir de là, c’est un peu comme si nous leur empruntions leur vision spéciale, car en observant leurs œuvres on peut saisir leur ressenti, et ainsi être amenés à modifier nos propres comportements.
Ce modus operandi rejoint celui développé au sein de la Fondation Audemars Piguet. Même s’il s’agit d’une entité distincte, elle dénote une vision globale, une volonté de s’inscrire dans une forme de préservation de la nature.
Cette convergence est également liée au fait que dans le cas des membres de notre conseil consultatif, nous travaillons ensemble depuis de nombreuses années. Les projets qu’ils nous proposent sont de plus en plus en adéquation avec cette meilleure compréhension de ce que nous sommes et aspirons à être. Cette sensibilité à l’environnement est attisée par le fait que l’entreprise est installée dans une région – la Vallée de Joux – à la fois rude et vulnérable. Nos forêts, l’un des éléments fondateurs de la région, ont plusieurs fois été menacées de disparition, notamment du fait des activités des horlogers. Il a fallu réfléchir à une association intelligente entre la nature et l’activité humaine – ainsi, depuis 2008, la plupart de nos bâtiments fonctionnent à l’énergie écologique. L’an dernier à Art Basel Miami Beach, nous avons présenté le travail de Lars Jan qui traite d’une problématique proche de celle du réchauffement climatique qui nous affecte actuellement : Slow-Moving Luminaries. La curatrice a fait ce choix sachant qu’il y avait, bien évidemment, de fortes chances qu’il retienne notre attention... Il y a convergence d’éléments rattachés à la marque tous inscrits dans la même direction.
Audemars Piguet à Art Basel Miami Beach, 6-9 décembre 2018,
Audemars Piguet à Art Basel Hong Kong, 29-31 mars 2019.