Qui sont les éminences grises de la musique ?
Qu’aviez-vous à l’esprit en lançant votre structure ?
Stuart Baker (Soul Jazz Records) : Faire des disques. Ado juste après la vague punk, j’ai grandi en fan de labels comme Factory, Stiff ou Rough Trade. Vers mes 20 ans, je me suis plongé dans la musique black, telle qu’elle était produite par des maisons de disques comme Atlantic, Blue Note, Stax, Prestige... J’ai eu la chance de monter la mienne, un genre de nirvana musical personnel ! J’aimais l’idée de mélanger les attitudes et les sensibilités du punk, du jazz, de la soul.
Ken Shipley (Numero Group) : C’était très simple : je voulais que des œuvres d’art époustouflantes replacent des artistes obscurs dans le paysage contemporain.
À quelles difficultés êtes-vous le plus souvent confrontés ?
S. B. : La force d’une idée et la qualité de la musique in uencent le succès d’un projet. Toute la partie logistique, de l’obtention des droits jusqu’à la promotion, ne pose pas de problème particulier.
K. S.: Traquer les détenteurs des droits prend parfois des allures d’épreuves “sisyphiennes”. Une personne vous renvoie à une autre, etc. Même une fois le disque sorti, vous trouvez encore des gens à contacter...
Combien coûte une sortie, et combien de temps y consacrez-vous ?
S. B.: Entre 10 et 20 000 euros. Un projet prend entre quelques mois et dix ans ! Il peut s’écouler beaucoup de temps entre le moment où je pense à quelque chose et sa concrétisation, par exemple les compilations New Orleans Funk. D’autres demandent des voyages et des enregistrements inédits, dans des pays comme Haïti, Cuba, la Jamaïque, le Brésil, etc.
K. S.: Impossible de répondre précisément, il y a trop de variables, d’ambitions, d’ampleur, et parfois d’ego. Cela va de 800 à 160 000 euros. Les rééditions des disques de Hüsker Dü ont demandé sept années, même si nous ne nous y sommes pas consacrés à temps plein, alors que le projet du groupe Creation a demandé six mois. Il est rarissime que nous nous xions une date de sortie précise lorsque nous nous mettons au travail, nous laissons le disque prendre forme à son rythme.
Qui supervise la direction artistique ?
S. B. : Adrian Self et moi-même. Je crois que nous avons signé 600 sorties ! Parfois nous nous associons à un artiste, comme Paolo Parisi, installé en Italie.
K. S.: Je prends la décision nale, mais nous travaillons avec plusieurs directeurs artistiques, par exemple Tim Breen (de l’agence Field of Grass), Jaffa (the-Unknown) et Henry Owings (Chunklet Graphic Control). Je préfère trouver l’idée initiale et laisser quelqu’un d’autre concrétiser cette vision.
Êtes-vous des gardiens du bon goût ?
S. B.: Je ne défends que mon propre goût, bon ou mauvais. Ceci dit, la seule musique que j’autorise à publier est celle que je considère bonne. La notion de mauvais goût porte parfois en elle une dose de cynisme que nous sommes heureux d’éviter à tout prix.
K. S. : Les grands disques sont réalisés en laissant aux artistes l’espace nécessaire pour créer. Nous avons construit la galerie pour les exposer – et notre nom est sur la porte.
Se consacrer à des artistes “de niche”, est-ce la seule option pour développer un business rentable dans le paysage musical actuel ?
S. B.: Atlantic Records a connu une de ses années les plus rentables depuis longtemps... En partie grâce à Ed Sheeran, je pense. Donc, non, mais c’est la seule option pour moi.
K. S.: Au contraire, c’est ce qu’il y a de plus difficile. À moins que vous n’ayez un plan pour exploiter le moindre recoin de la niche... Si vous voulez réussir dans ce métier, il faut écrire, produire, et chanter des tubes.
De quelles sorties êtes-vous les plus fiers ?
S. B.: Nu Yorica!, 100 % Dynamite!, Acid, Studio One Rockers, Studio One, Mirror To The Soul, Freedom Rhythm & Sound, Dancehall, Santeria, Voodoo Drums, Boombox, Deutsche Elektronische Musik, Voguing, Punk 45, Rastafari, The Black Caribs of Belize...
K. S. : Il serait dif cile de ne pas citer Ork Records: New York, New York. Mais les goûts varient. Chaque employé ici a son propre avis sur la question.
Parmi vos homologues, qui estimez-vous le plus ?
S. B.: Les iconiques des années 60,70, 80, etc. évoqués plus haut. Et Honest Jon’s, Strut, Numero, Sundazed, Soundway, Music From Memory, Analog Africa, Finders Keepers... Et beaucoup d’autres : Brainfeeder, Warp, Stones Throw, Dark Entries, 22a...
K. S.: Music From Memory mène un superbe travail. Ace demeure une référence. Il est possible que fouiller les archives des maisons de disques soit un lon épuisé dans dix ans. Ou qu’il n’y ait plus de rééditions dans cinq ans.
Mais nous serons prêts pour affronter l’étape suivante.