Pop Culture

Malcolm McLaren, l'empereur du punk

Avec une nouvelle biographie au rythme picaresque, le mystère sur l’iconoclaste Malcolm McLaren est presque levé. Inventeur du punk, lanceur de modes, artiste, pygmalion de Vivienne Westwood, manager, anarchiste ou escroc génial : McLaren était tout cela et bien plus encore.
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Le titre évoque en vrac les westerns, les épopées de bandits ou d’aventuriers partis à la conquête de l’Ouest. Finalement, la réalité n’est pas très loin de cela. The Life and Times of Malcolm McLaren de Paul Gorman, qu’on pourrait traduire par “La Légende de Malcolm McLaren” reprend par le début et en détails, sur plus de 800 pages absolument jamais ennuyeuses (exploit !), l’odyssée de McLaren, un des plus grands provocateurs du xxe siècle. Artiste volatile, manager, réalisateur, curateur, magicien des tendances, premier slasheur/influenceur, designer, arnaqueur ou pape de la pop culture : le fantôme de McLaren, mort il y a dix ans, bouge encore trop vite pour qu’on puisse l’attraper. Gorman y arrive presque avec ce travail d’enquête dantesque sur la vie de cet électron libre, qui se transforme peu à peu en une peinture étonnante d’une Angleterre disparue. Malcolm McLaren naît en 1946 et commence sa vie dans une ambiance délétère façon Dickens, abandonné à la fois par un père démissionnaire et une mère absente aux mœurs très légères. L’enfant, très fermé sur lui-même, est élevé par sa grand- mère complètement excentrique, Rose Corré Isaacs, qui le cloître et lui donne à lire Shakespeare au lieu de l’envoyer à l’école. Étudiant dans les 60s, il louvoie entre des dizaines d’écoles d’art, idolâtre Warhol et les situationnistes français et parfait un art de la pose, du style, inspiré des Teddy Boys, qui restera sans égal. Ce quasi-autodidacte, bourré de paradoxes et délinquant dans l’âme, se forge un sentiment d’appartenance à travers les vêtements. Il se fait un devoir absolu de déranger, de ne jamais être où on l’attend. Il va croiser et recroiser Vivienne Westwood, la sœur d’un ami qui l’héberge ; ils deviennent colocataires puis amants, vivant une histoire d’amour forcément compliquée, qui aboutira à la naissance d’un garçon (Joseph Corré, le futur fondateur d’Agent Provocateur) et à la création d’une boutique concept culte en 1971, au 430 King’s Road. L’endroit s’appelle successivement Let It Rock (avec une mode Teddy Boys) puis Too Fast to Live, Too Young to Die en 1973 (avec des cuirs inspirés d’Elvis et de Marlon Brando) puis Sex en 1974 (déclinant une mode punk SM) puis Seditionaries en 1976 (avec une mode punk déconstruite expérimentale qui marque les débuts de créatrice de Vivienne Westwood), et enfin World’s End dans les années quatre-vingt (sur le thème xviiie siècle et pirate). Malcolm a les idées, Vivienne Westwood les réalise. Leur boutique devient l’épicentre de l’avant-garde londonienne, une Factory destroy qui semble obéir à ces notes écrites par McLaren en 1970 : “Soyez enfantin. Soyez irresponsable. Soyez irrespectueux. Soyez tout ce que cette société déteste.” Après avoir brièvement été le manager des The New York Dolls, McLaren trouve en 1975 son Velvet Underground à lui, les Sex Pistols, groupe fondateur du punk, séminal et incontrôlable, dont il essaie d’être le metteur en scène, le théoricien, l’orchestrateur. Dans la cocotte-minute, il mélange notamment Johnny “Rotten” Lydon l’ultra-rebelle et le fan transi qui tournera monstre camé John Simon Ritchie, alias Sid Vicious. L’histoire devient légende noire quand Sid est soupçonné de l’assassinat de sa compagne Nancy Spungen dans une chambre du Chelsea Hotel à New York en octobre 1978, avant de mourir lui-même d’une overdose en 1979.

Le No Future n’a jamais été aussi noir, ni aussi rentable, et Johnny Lydon accuse alors McLaren d’être “l’homme le plus maléfique au monde”. De fait, une page se tourne dans les années quatre-vingt, et McLaren devient une sorte de lanceur de tendances avec plus ou moins de bonheur : le post-punk, les Néo- Romantiques, la world music, le hip-hop jusqu’à la culture ballroom gender fluid avec le Voguing et Willi Ninja qu’il essaiera de promouvoir en Angleterre. Dans les années 90, il prophétise le téléchargement libre de la musique, les cross-over entre les arts, puis dans les années 2000 tente de se présenter comme maire de Londres. Plus philosophe avec l’âge et toujours aussi brillant, il symbolise malgré lui l’artiste iconoclaste et l’esprit british jusqu’à sa mort en avril 2010. Sur sa tombe, on lit son énième et dernier slogan “Mieux vaut un échec spectaculaire qu’un succès anodin.” Le livre épique de Gorman sur sa vie met cela en lumière et bien plus encore, le suivant sur sa route flamboyante pas à pas. Comme le dit bien cette phrase de McLaren se souvenant de son épiphanie artistique d’étudiant aux Beaux-Arts : “J’avais une autre raison d’être dans la vie. Pas une carrière, mais une aventure.”

 

The Life and Times of Malcolm McLaren:
The Biography, de Paul Gorman (Little, Brown)

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