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Jean Patou reprend vie avec la nomination de Guillaume Henry

Jean Patou reprend vie avec la nomination du designer Guillaume Henry en tant que directeur artistique sous l’impulsion de LVMH. Avec lui, la marque devient Patou, une façon de ne garder que l’essentiel, à l’image de ce que l’époque nous impose. Rencontre avec un créatif pragmatique.
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Votre première rencontre avec Jean Patou ?
C’est une maison dont j’ai entendu parler très jeune puisqu’elle a été l’une de mes premières révélations mode, dans le milieu des années 80, lorsque j’étais un tout petit garçon qui s’intéressait à la mode. Christian Lacroix était alors son directeur artistique et son travail m’a ému à tel point que j’ai eu envie d’en faire mon métier.

Que connaissiez-vous du fondateur et de son histoire ?
Je ne connaissais pas vraiment son histoire. Mais comme toute personne passionnée, j’avais quelques connaissances et des images en tête, notamment son travail avec ce côté Biarritz, Deauville, son utilisation du tricot jersey mais aussi cette dimension couture, les années 20 et Joséphine Baker. Cela évoque également tout un héritage autour de la marque avec des noms comme Karl Lagerfeld (1959) ou Christian Lacroix (1981) qui en ont repris la direction artistique. Comment ce projet avec la marque est-il venu à vous? Ce projet est presque un peu mystique. Après avoir quitté Nina Ricci, en mars 2018, j’ai connu une période très sereine. J’avais l’impression de prendre de longues vacances que je méritais. Après quelques mois, j’étais prêt à redémarrer une nouvelle aventure, mais pas à n’importe quel prix. J’ai donc commencé à rencontrer des gens, être attentif à des propositions, mais rien ne justifiait que je m’y remette complètement. Je cherchais un projet capital, et il y a eu ce rendez-vous avec Sidney Toledano (PDG de LVMH Fashion Group, ndlr) au salon de thé Carette, place du Trocadéro. On commence à parler et je lui raconte qu’une semaine auparavant je me suis promené non loin d’ici et que je me suis arrêté au cimetière de la rue de Passy où je suis tombé sur la tombe de Jean Patou. À ce moment-là, il me dit “Mais pourquoi me parlez-vous de Jean Patou ?” Je lui réponds : “Parce que c’est un nom magnifique, sublime et enthousiasmant et quand j’entends Patou, je pense à la spontanéité, à une exclamation, et j’adore ce nom. Il me répond : “Vous savez que l’on vient de prendre la majorité de la marque ?” Moi, je n’en savais rien du tout. Il me demande si cela m’intéresserait et je lui réponds : “Complètement, j’adorerais.”

Qu’est-ce que cette aventure a changé dans votre vie ?
Elle m’a permis de repenser mon métier avec la notion de produit, de client, de timing, de budget, de choses un peu plus raisonnables, et surtout l’envie d’habiller des gens, ce qui était la philosophie de Jean Patou. D’ailleurs, la première femme qui l’a inspiré était sa sœur. En regardant dans les archives, j’ai réalisé que sa première motivation n’était pas d’être un designer conceptuel ou extravagant mais un designer de son époque pour les femmes qui l’entouraient. Avec Patou, ce très joli nom, j’ai donc envie d’habiller les gens que j’aime.

Les premières photos de votre collection qui ont été dévoilées dans la presse révèlent justement de très belles femmes, réelles pas seulement des top modèles...
Sur ces images, il y a en effet des mannequins, comme Suzie avec qui je travaille depuis dix ans, ou Anna de Rijk que j’ai beaucoup fait défiler et avec qui je suis ami. Mais je voulais également mettre en lumière des gens avec lesquels je travaille au quotidien, des consommatrices potentielles qui aiment le vêtement. On a donc réalisé une galerie de portraits avec une qualité photographique presque académique. Ces images parlent à tout le monde.

Ces femmes “réelles” vont amener votre travail à être vu dans la rue et sur les réseaux sociaux, et on sait qu’une marque s’établit aussi grâce à cette forme de communication.
Oui c’est comme cela que les marques se font mais c’est aussi grâce à la rencontre avec une consommatrice. Et plutôt que de prendre mille virages pour atteindre cette consommatrice, je préfère lui parler directement. C’est ce dialogue que j’ai voulu établir avec ces premières photos en faisant devenir ces femmes les ambassadrices de la marque. La femme Patou, c’est donc une collègue, une amie, une complice qui porte le vêtement, mais c’est aussi la personne qui fait le vêtement. N’oublions pas qu’on est dans un domaine artistique où l’on parle de couleurs et de volumes. On est dans le vocabulaire de l’artisanat.

Parlez-nous de votre notion d’atelier...
On est dans une maison de couture qui fonctionne comme à l’ancienne, tout est fait ici dans nos ateliers. Ce n’est pas un hasard si dans notre logo, le o, cette lettre ronde, est plus grosse que les autres. On est dans l’union, le groupe, l’équipe, la générosité. Cette notion d’atelier n’est en rien excluante, bien au contraire. Ici, l’atelier n’est pas dans les combles, c’est la première pièce que l’on traverse. Il donne sur une rue passante de l’île de la Cité. Ni rive gauche, ni rive droite. Patou n’est ni bourgeois, ni strictement urbain, on veut proposer une vraie mixité. Notre artisanat n’est ni prétentieux ni inabordable. On veut proposer une expérience qui n’impose pas de sacrifice.

Qui sera votre cliente ?
Une personne qui n’a pas toujours les moyens du luxe mais qui a le goût des belles choses.

Elle n’a pas d’âge ?
Elle est jeune d’esprit.

Le sportswear passera-t-il par vous ?
On vient de traverser un grand tunnel de sportswear qui est très bien mais nous n’avons pas envie de rentrer dedans. On veut proposer une offre un peu différente. Nous savons bien que Jean Patou est un nom du passé, cela fait trente ans que cette maison n’a pas proposé de collection, toute une génération n’a pas connu cette marque. Il ne faut pas que Patou devienne une maison où l’héritage prendrait le dessus. Nous voulons l’envisager comme une marque nouvelle.

Peut-on parler de prêt-à-porter ?
J’adore cette notion de prêt-à-porter. On a donc décidé de livrer en boutiques de l’hiver en hiver et de l’été en été, car rares sont celles qui achètent encore l’hiver en été. On l’a donc évoqué avec Sophie Brocart, la directrice générale de la marque, et on va se diriger vers une actualité du vêtement, du vrai prêt-à-porter.

Étant donné les changements climatiques qui s’imposent à nous, c’est bien de vouloir faire évoluer les choses...
Personne n’attend vraiment le renouveau de Jean Patou puisque c’est une marque presque oubliée, donc en la relançant il fallait proposer un nouveau scénario, en phase avec ce qui passe aujourd’hui. Nous sommes une maison “consciente”, on est très soucieux de ne pas participer à un grand gâchis collectif.

Allez-vous inscrire Patou dans le “see now buy now” ?
Non, plutôt dans le “need now, buy now”. 

Vous allez très prochainement présenter votre première collection, pouvez-vous nous en parler ?
Plus qu’un scénario décliné jusqu’à l’usure comme ce fut longtemps le cas, on proposera un vestiaire composé d’une variété de produits avec un même ADN. Quand un vêtement est bon, il n’a pas besoin d’être cannibalisé par un autre qui lui ressemble. Ce vestiaire sera donc à l’image de celui de vos amies, un mélange. Évidemment, il y a une dimension créative puisqu’il s’agit de mode, mais j’adore la notion de créativité et de pragmatisme.

Cette présentation se fera-t-elle sous forme de défilé ?
On a repensé tous les schémas pratiques : comment vend-on ?, à quel prix ?, mais aussi comment présente-t-on ? Et cela ne se fera pas avec des filles boudeuses qui marchent les unes dernières les autres, parce que ce n’est pas Patou. Cette maison, au contraire, c'est la gaité, la générosité, la légèreté. Parce qu’ici on travaille avec le sourire.

Preview de la collection Jean Patou

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