Et si le retail était sauvé par le digital ? Part 2.
Thibault Geoffray, CEO de Leaf
Dans la catégorie rookie mais prometteur, Thibault Geoffray et son associé David Baussart comptent parmi les heureux élus de l’incubateur IFM de Station F, où il y développent Leaf, un service à la croisée des chemins du mobile device, de la messagerie instantanée et de l’intelligence artificielle.
Vous venez tout juste de monter votre première start-up, quel est votre parcours ?
Thibault Geoffray : Je suis diplômé d’une école d’ingénieurs, Mines Nantes, et j’ai à peu près le même parcours que celui de mon associé. Data scientists de formation, nous nous sommes rencontrés en premier poste chez un éditeur de logiciels, et l’an dernier, nous avons monté Leaf ("feuille" en anglais, pour le coté organique de l’expérience proposée) , uniquement sur notre temps libre. Développement technologique, structure légale, incubateur, partenaires, premiers clients… 2018 a été chargé !
En quoi consiste votre projet ?
L’idée de départ, qui a évolué depuis, était de développer un chatbot pour Facebook Messenger. Notre projet participe à la dynamique actuelle de ce que l’on appelle la stratégie cross-canal, faire en sorte que le service digital renforce l’expérience physique d’un client en boutique. Nous sommes partis du constat que huit personnes sur dix y sortent leur smartphone, dont une sur quatre pour photographier un produit, afin de le garder en mémoire, de le partager avec ses proches, ou de chercher à en savoir plus sur lui, bref d’interagir en direct live. Une séance shopping, c’est une expérience émotionnelle que les digital natives souhaitent rendre plus interactive.
Techniquement, comment ça marche ?
Leaf propose une technologie via Facebook Messenger au service des consommateurs et des points de vente de mode, qui permet grâce au scan d’un code produit d’aller le retrouver directement sur l’e-store de la marque, de tout savoir de lui, de partager l’information sur son réseau, de la sauvegarder dans ses wish-lists… Pour faire simple, c’est une technologie qui ressemble à celle des QR Code proposés par les marques, mais ici c’est le navigateur Leaf qui centralise tout, pas la marque. Cela évite au client d’avoir à télécharger toutes les applis de chaque marque qui l’intéresse.
Cette technologie existe-t-elle déjà ?
Pas en Europe, mais on la retrouve en Chine avec le célèbre WeChat, cette application qui orchestre absolument toutes les habitudes de consommation, toutes générations confondues, et principalement via des QR Codes. Le fait qu’elle ait, en 2018, atteint le milliard d’utilisateurs prouve bien qu’elle fait aujourd’hui partie des habitudes de consommation au quotidien.
Et pour les points de vente ? Quelle est la valeur ajoutée que Leaf leur propose ?
Il y en a trois : une amélioration du taux de conversion (taux d’achats, ndlr) que l’on estime à 25 %, un nouveau moyen d’interaction avec le client, et une analyse de données fiable assurée par l’intelligence artificielle, et c’est là le nerf de la guerre. Car jusqu’à présent, le tracking clients en point de vente se fait encore archaïquement par impulsions Wifi ! Il faut bien avoir conscience que lorsque vous entrez dans une boutique, si votre smartphone est en mode Wifi et que vous vous arrêtez devant un manteau pour passer un coup de fil, la boutique pensera que vous avez aimé ce manteau, voire que vous souhaitez l’acheter ! Avec Leaf, le consommateur redevient l’acteur principal, c’est lui qui mène le jeu et engage la démarche. Ces nouvelles fonctionnalités peuvent donner une vraie valeur ajoutée aux points de vente. Fini le bad data, bad IA.
Vos premiers résultats sont-ils encourageants ?
Nous sommes encore en phase de test, et manquons encore de volumes pour tirer un premier bilan. Mais le retour points de vente est très positif, et nous venons tout juste de signer nos deux premiers clients, les marques Noyoco et Le Mont St Michel. Notre préoccupation ? Impliquer au maximum les équipes de vente dans le projet, car nous ne sommes pas là pour ubériser le système ! Nous souhaitons aussi mobiliser en priorité les petites enseignes qui n’ont pas forcément la technologie pour avoir accès à de tels services en interne. Nous développons pour elles une plate-forme externalisée qui gérerait leur catalogue produits et génèrerait automatiquement tous les QR codes.
Vous faites partie de l’actuelle (et deuxième) promotion de Station F, comment y êtes vous entré et pourquoi ?
J’y suis entré en early stage en juin dernier grâce à un réseautage assidu qui m’a pris un bon moment ! Ayant un projet dans le secteur mode, Leaf est back-upé (soutenu) par l’incubateur de l’IFM, l’Institut français de la mode. Ici, il faut bien garder en tête que le storytelling est très beau sur le papier, mais que rien n’est jamais gagné. Sur les 1 000 start-ups de la première promo, seules huit se sont faites racheter par de gros groupes. Ça donne vite une bonne idée du niveau de galères qui vous attend ! Personne ne gagne (encore) d’argent avec son projet, nous nous sentons tout petits et l’ego en prend un coup. Mais pour le jeune entrepreneur que je suis, Station F est une opportunité qui ne se refuse pas. L’accès à son incroyable infrastructure et à cette émulation collective qui y règne vous dope. C’est toujours mieux que d’être seul chez soi.
A la vitesse où ça va, êtes-vous inquiet si votre projet n’avance pas assez vite ?
Non, chez moi, c’est plutôt le contraire ! Je redoute d’aller trop vite et d’avoir été là trop tôt.