Huit ans après les turbines du crachotant Total, sorti en plein âge d’or du label Ed Banger, SebastiAn est enfin de retour avec Thirst, une bombe obsédante, crado, nerveuse et sensuelle. llustrateur sonore des défilés Saint Laurent par Anthony Vaccarello, dont il est très proche
et pour lequel il réalise des bandes-son exclusives depuis 2016, producteur demandé, il signe une œuvre solo, rare et essentielle. La retrouver est un bonheur.

C&rsquo;&eacute;tait en 2011. On transpirait, ivres, jeunes et insouciants sur Ross Ross Ross, Love in Motion ou C.T.F.O. Sans se douter que SebastiAn, la plus pointue et la moins m&eacute;diatis&eacute;e des recrues de Pedro Winter, allait nous faire attendre huit ans avant de livrer la suite. Le d&eacute;lai de carence est fini avec Thirst, sorti le 8 novembre. Entre-temps, on a vieilli, SebastiAn n&rsquo;a pas ch&ocirc;m&eacute;, MySpace est moribond et les r&eacute;seaux sociaux ont envahi notre quotidien. 
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L&rsquo;Officiel Hommes: Votre premier album a &eacute;t&eacute; encens&eacute; par la critique. Sortir le deuxi&egrave;me opus huit ans apr&egrave;s, &ccedil;a met la pression? 
SebastiAn: Bizarrement, pas du tout. Sur le premier album, je n&rsquo;avais pas de pression, seulement l&rsquo;id&eacute;e de faire les choses et voir ce qui se passe. J&rsquo;ai mis du temps &agrave; concevoir l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t port&eacute; &agrave; ma musique, au label. Avec Kavinsky, en soir&eacute;e, on a longtemps &eacute;t&eacute; persuad&eacute;s que les gens venaient pour le type qui jouait apr&egrave;s nous. Jusqu&rsquo;au jour o&ugrave; nous nous sommes rendu compte qu&rsquo;apr&egrave;s nous, il n&rsquo;y avait personne... Et comme je me sens d&rsquo;abord producteur, mes projets solo sont vraiment des choses qui me font plaisir. 
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Thirst est encore plus d&eacute;stabilisant que Total, on a du mal &agrave; saisir sa coh&eacute;rence: certains morceaux sont hyper sensuels, d&rsquo;autres tr&egrave;s nerveux... 
Musicalement, il n&rsquo;y a pas d&rsquo;opposition radicale entre romantisme et brutalit&eacute; pour moi. Il peut y avoir des morceaux tr&egrave;s violents qui sont tr&egrave;s romantiques par leur intensit&eacute;, comme des morceaux tr&egrave;s l&eacute;gers extr&ecirc;mement durs par leur profondeur. Ma volont&eacute; &eacute;tait moins de d&eacute;stabiliser que de ne pas me r&eacute;p&eacute;ter. &Agrave; l&rsquo;&eacute;poque de Total, ce genre de musique rentre dedans, un peu rude, s&rsquo;est beaucoup&nbsp;r&eacute;pandu. J&rsquo;ai des souvenirs qu&rsquo;au d&eacute;but, avec Justice, on vidait les salles parce qu&rsquo;on ne rentrait pas dans les standards des clubs. Tout &ccedil;a est devenu plus ou moins normatif, surtout avec l&rsquo;arriv&eacute;e de l&rsquo;EDM. &Ccedil;a ne veut pas dire que je n&rsquo;ai plus cette &eacute;nergie l&agrave;, mais revenir huit ans apr&egrave;s avec un disque exactement pareil, &ccedil;a ne m&rsquo;int&eacute;ressait pas. La coh&eacute;rence de Thirst, ce serait plut&ocirc;t mon rapport aux collaborations. Le premier disque, je l&rsquo;ai fait quasiment tout seul. Entre les deux, j&rsquo;ai collabor&eacute; avec Frank Ocean, produit Charlotte Gainsbourg, Philippe Katerine, les d&eacute;fil&eacute;s d&rsquo;Anthony Vaccarello... J&rsquo;ai fait &eacute;norm&eacute;ment de rencontres. J&rsquo;aime collaborer avec des gens et c&rsquo;est ce qu&rsquo;on retrouve le plus dans ce disque. 
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Quand avez-vous trouv&eacute; le temps de composer&nbsp;Thirst ? 
Il y a six ou sept ans, je faisais presque cinq dates par semaine. &Agrave; un moment, j&rsquo;ai dit stop, pause, je vais travailler pour moi. Sauf que je me suis mis &agrave; travailler avec Charlotte Gainsbourg, qui s&rsquo;est install&eacute;e &agrave; New York, et Frank Ocean, qui s&rsquo;&eacute;tait temporairement relocalis&eacute; &agrave; Londres. J&rsquo;ai crois&eacute; pas mal de nouvelles personnes. Je produis tous les jours, peu importe pour qui, pour quoi, m&ecirc;me si on ne me le demande pas. Je faisais des maquettes et puis je rencontrais un type, une nana, on testait un morceau... Au fur et &agrave; mesure des voyages et des rencontres, au bout de quatre-cinq morceaux, je me suis aper&ccedil;u que &ccedil;a commen&ccedil;ait &agrave; devenir un disque.&nbsp; 
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Vous avez fait un album sans le vouloir? 
Je me suis surpris &agrave; y trouver un d&eacute;but de coh&eacute;rence, d&rsquo;une certaine mani&egrave;re. Sans jouer la carte du poncif &ldquo;ce disque, c&rsquo;est un&nbsp;carnet de voyages&rdquo;... m&ecirc;me si c&rsquo;est un peu le cas. Ce sur quoi je voudrais vraiment insister, c&rsquo;est que j&rsquo;ai pass&eacute; du temps avec les gens qui figurent sur cet album. Loin de cette tendance actuelle o&ugrave; l&rsquo;on s&rsquo;&eacute;change des fichiers de loin, o&ugrave; les rencontres sont un peu trop organis&eacute;es, pas tr&egrave;s &ldquo;r&eacute;elles&rdquo;. Pour moi, c&rsquo;est important de passer du temps avec les gens, de bouffer ensemble, d&rsquo;apprendre &agrave; se conna&icirc;tre, pour que l&rsquo;envie de travailler l&rsquo;un avec l&rsquo;autre puisse &eacute;clore sainement. 
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Vos collaborations sont tr&egrave;s &eacute;clectiques, vous composez pour les d&eacute;fil&eacute;s Saint Laurent mais vous avez aussi produit l&rsquo;album Magnum, de Philippe Katerine ! 
Je me sens assez proche de Philippe Katerine dans le mode de fonctionnement, j&rsquo;aime l&rsquo;id&eacute;e de d&eacute;couvrir ce qu&rsquo;on a fait quasi en m&ecirc;me temps que les gens le d&eacute;couvrent. Pareil pour les d&eacute;fil&eacute;s Saint Laurent o&ugrave; le temps de production est extr&ecirc;mement court mais imm&eacute;diat dans sa diffusion. &Ccedil;a ne laisse pas au cerveau le temps de l&rsquo;analyse, c&rsquo;est pur. Positivement, bien s&ucirc;r. 
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Rien &agrave; voir avec Charlotte Gainsbourg... 
Avec Charlotte, c&rsquo;&eacute;tait du travail d&rsquo;orf&egrave;vre. De l&rsquo;autre c&ocirc;t&eacute;, avec Frank Ocean, tu fais un truc, il chante dessus et tout devient magique dans la seconde... C&rsquo;est &ccedil;a qui m&rsquo;int&eacute;resse dans la production. C&rsquo;est comme les rapports amoureux. Au lit, ce n&rsquo;est jamais pareil d&rsquo;une personne &agrave; l&rsquo;autre, c&rsquo;est toujours diff&eacute;rent. En amour, je suis tr&egrave;s fid&egrave;le ; en musique totalement &eacute;changiste.

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Travailleriez-vous deux fois avec la m&ecirc;me personne ? 
Si &ccedil;a marche, pourquoi pas. Tant que &ccedil;a fonctionne, &ccedil;a m&rsquo;attire. Mais j&rsquo;ai envie de tester plein de choses. Ce nouveau disque, il dit &ccedil;a aussi. Il va un peu dans tous les sens parce qu&rsquo;il dit, voil&agrave;, moi, il y a tout &ccedil;a qui m&rsquo;int&eacute;resse. 
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Pourtant, vous avez l&rsquo;air &eacute;tonn&eacute; que les gens vous appellent. Souffrez-vous du syndrome de l&rsquo;imposteur ? 
C&rsquo;est plut&ocirc;t que je suis obs&eacute;d&eacute; par une certaine forme de logique, proche de la sociologie, mais c&rsquo;est un pragmatisme un peu d&eacute;lirant que je ne prends pas vraiment au s&eacute;rieux... &Agrave; l&rsquo;&eacute;poque, &ccedil;a pouvait &ecirc;tre des choses telle que &ldquo;la dur&eacute;e de vie moyenne d&rsquo;un DJ&rdquo; ou autre. Mais j&rsquo;ai conscience de ce que peut repr&eacute;senter mon travail, donc il n&rsquo;y a pas de quoi trop la ramener non plus. 
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Quand m&ecirc;me, vous pouvez vous r&eacute;jouir d&rsquo;avoir d&eacute;j&agrave; une belle carri&egrave;re... 
Une carri&egrave;re, c&rsquo;est rarement toi qui en juge, &eacute;ventuellement quand tu arrives au bout, juste avant de dire au revoir ! La long&eacute;vit&eacute; des artistes, c&rsquo;est une question en soi. Les Sparks, par exemple, qui sont sur l&rsquo;album, ils me fascinent. C&rsquo;est la question de comment tu arrives &agrave; tenir aussi longtemps en int&eacute;ressant les gens, et que tu puisses encore rester toi m&ecirc;me en &eacute;tat d&rsquo;excitation. 
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Trouvez-vous que les artistes ont des carri&egrave;res de moins en moins longues ? 
Comme je l&rsquo;ai dit, &ldquo;on verra bien&rdquo;. Le net g&eacute;n&egrave;re autant de visibilit&eacute;s que d&rsquo;invisibilit&eacute;s. C&rsquo;est un miroir d&eacute;formant qui ne me permet pas encore de pouvoir en tirer de conclusions pr&eacute;cises sur ce qui se passe &agrave; pr&eacute;sent et se passera vraiment.

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Pensiez-vous durer aussi longtemps dans ce&nbsp;m&eacute;tier, surtout en &eacute;tant le moins expos&eacute; de l&rsquo;&eacute;curie Ed Banger ? 
Quand Pedro Winter m&rsquo;a sign&eacute;, comme &agrave; mon habitude, je pensais que &ccedil;a ne durerait qu&rsquo;un an ou deux. Mais &ccedil;a a continu&eacute;, et pour le meilleur. Je lui en suis toujours aussi reconnaissant. Donc je ne me suis pas pos&eacute; de questions. Si tu es trop dans la r&eacute;flexion &agrave; cet endroit, tes n&eacute;vroses peuvent remonter tr&egrave;s vite. 
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Vous &eacute;tiez peu m&eacute;diatis&eacute; alors ? 
&Ccedil;a marchait tout seul, surtout &ccedil;a marchait autrement, alors je ne voyais pas l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de multiplier les interviews. C&rsquo;est une abstraction totale de parler de musique pour moi par moments. De la m&ecirc;me mani&egrave;re que de trop y penser freine le travail. La musique, c&rsquo;est le moment o&ugrave; le concept se met au repos. Mais avec les m&eacute;dias, ce n&rsquo;&eacute;tait pas pr&eacute;m&eacute;dit&eacute;, du genre &ldquo;Je veux rester myst&eacute;rieux&rdquo;. Et c&rsquo;&eacute;tait alors encore possible de penser qu&rsquo;en ne disant rien, on poussait les gens &agrave; s&rsquo;int&eacute;resser davantage &agrave; la musique. Aujourd&rsquo;hui, j&rsquo;ai l&rsquo;impression que c&rsquo;est l&rsquo;inverse : l&rsquo;image semble avoir repris le dessus, les r&eacute;seaux sociaux ont pris de l&rsquo;ampleur, etc. 
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Quel est votre rapport aux r&eacute;seaux sociaux? 
C&rsquo;est une &eacute;tape que j&rsquo;ai plus ou moins involontairement &ldquo;rat&eacute;e&rdquo;, comme avec les jeux vid&eacute;o quand j&rsquo;&eacute;tais plus jeune. &Agrave; l&rsquo;&eacute;poque, j&rsquo;ai vu arriver MySpace, qui a entre autres conditionn&eacute; la pochette de Total (SebastiAn y embrasse son double, ndlr). Les r&eacute;seaux sociaux commen&ccedil;aient &agrave; envahir le r&eacute;el, l&rsquo;ego devenait hyper-pr&eacute;gnant et il fallait se montrer dans la posture la plus &eacute;gocentrique possible. Donc cette deuxi&egrave;me pochette (o&ugrave; SebastiAn frappe son double, ndlr), c&rsquo;est une r&eacute;ponse logique &agrave; la premi&egrave;re. 
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Un retour de b&acirc;ton ? 
Exactement. Tout cet ego a g&eacute;n&eacute;r&eacute; une tension, une obsession. Il faut &ecirc;tre surpr&eacute;sent, visible m&ecirc;me quand on n&rsquo;a pas d&rsquo;actu... Cette obsession du constant est incompatible avec le temps n&eacute;cessaire pour s&rsquo;int&eacute;resser aux choses pleinement, pour penser, pour vivre. Ce que je dis l&agrave; n&rsquo;est pas moral, Paul Virilio parlait tr&egrave;s bien de l&rsquo;acc&eacute;l&eacute;ration g&eacute;n&eacute;rale li&eacute;e au progr&egrave;s. 
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Les artistes n&rsquo;y ont pas &eacute;chapp&eacute;... 
L&rsquo;omnipr&eacute;sence m&eacute;diatique a entra&icirc;n&eacute; une suppression du mythe chez certains. Moi, j&rsquo;adorais &ecirc;tre fascin&eacute; par Prince ou Aphex Twin, par le fait de ne pas savoir qui ils &eacute;taient vraiment.&nbsp; 
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Prince, c&rsquo;est votre premier amour musical, c&rsquo;est un g&eacute;nie ? 
Total. Au lieu d&rsquo;embrasser une carri&egrave;re int&eacute;gralement commerciale, il a jou&eacute; l&rsquo;ambigu&iuml;t&eacute; &agrave; une &eacute;poque o&ugrave; c&rsquo;&eacute;tait compliqu&eacute;, et ne s&rsquo;est jamais content&eacute; de faire des chefs-d&rsquo;&oelig;uvre pop, comme Kiss. Il a toujours continu&eacute; &agrave; chercher, &agrave; tenter des choses pointues... 
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Vous avez aussi une image pointue et exigeante. La cultivez-vous, par exemple en collaborant avec des artistes m&eacute;connus ? 
Tout &ccedil;a n&rsquo;est pas purement conscient. Allan Kingdom, j&rsquo;adorais sa voix ; Loota, je l&rsquo;ai rencontr&eacute; au Japon et j&rsquo;ai retrouv&eacute; cette sensation, quand tu es jeune et que tu &eacute;coutes des morceaux am&eacute;ricains dont tu ne comprends pas les paroles, mais que c&rsquo;est plaisant &agrave; l&rsquo;oreille. Mais cette fois en japonais ! Je suis all&eacute; voir des gens avec qui &ccedil;a fonctionnait humainement surtout. Cet album est fait de rencontres heureuses.

Meet SebastiAn - L'OFFICIEL x Saint Laurent

Album Thirst (Ed Banger Records/Because)

SebastiAn : “La musique, c’est le repos du concept”

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