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A quoi ressemble l’odeur du bitume aspergé par la pluie après une journée de soleil ?

De passage à Paris, Eddie Roschi, cofondateur du Labo avec Fabrice Penot, se confie à L’Officiel. L’occasion de parler de Baie 19, la nouvelle fragrance de la maison, et du succès grandissant de cette griffe olfactive.
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Aujourd’hui on se voit pour Baie 19… 

Eddie Roschi : Oui, on se voit pour ça, mais on peut parler de plein de choses… L’idée du Baie 19, c’était de capter l’odeur du bitume aspergé par la pluie après une journée de soleil. Le résultat est quelque chose de très aérien, de très sous-bois, patchouli. Avec un côté aussi un peu marin. Une fragrance très tendue pour finir. On retrouve quand même l’idée de départ : une petite route de campagne, il fait très chaud, puis il y a un orage, une odeur de bitume mêlée à celle de la terre...

Comment continuer à trouver des odeurs après 17 parfums ? La vie qui s’enrichit, qui évolue, ça alimente votre éventail d’odeurs ?  

Absolument. Nous avons la chance avec le Labo de le faire de façon complètement autonome. On ne demande l’avis de personne, personne ne nous donne d’ordre. C’est un privilège. Même en étant dans le groupe Estée Lauder, et avec toute une équipe de parfumeurs compétents et créatifs, in fine c’est nous, je veux dire Fabrice et moi, qui tranchons. Un parfum est quelque chose de très personnel, il raconte une histoire, exprime un rêve ou un fantasme. Il ne s’agit pas de tendance. On y met toute notre sensibilité, ce que nous sommes.  

Et à deux, comment faites-vous pour accorder vos sensibilités? 

En réalité, nous travaillons chacun sur un parfum. Chacun à notre tour de créer. On fait confiance au goût de l’autre. On n’est pas toujours d’accord. On discute. Mais au final, celui qui est à l’initiative du projet a le dernier mot.  

Ce n’est pas frustrant? 

Non. Pour moi on développe encore trop de parfums. Il faudrait plus de temps, que cela soit moins rapide. 

Comment sait-on quand le parfum est prêt? 

Je dois émotionnellement être convaincu. 

Et après? 

Après je le porte, j’attends des remarques… 

Cela vous est-il arrivé que des remarque soient mauvaises? 

Ça m’est arrivé l’année dernière, je n’ai pas réussi, avec mon parfumeur, à mettre en volume mon idée. C’était un problème technique. J’ai dû abandonner…Nous n’arrivions pas à garder l’odeur sur la peau !

Y a-t-il une odeur derrière laquelle vous courez ?  

Pas vraiment. Je ne suis pas dans le mode Le Parfum, de Süskind, cette odeur impossible à transformer. 

Et une odeur favorite ? Qui vous fait chavirer? 

Les odeurs qui me font chavirer sont liées aux souvenirs… elles restent dans le domaine de l’amour évidemment. Ces sont des odeurs qui me renvoient à des moments où j’étais très amoureux. 

Et vos enfants, quelles odeurs ont-ils? 

L’odeur de la chambre de ma fille est unique. C’est l’odeur d’elle dans des draps, petite odeur d’existence dans un endroit confiné. Pareil pour le garçon, avec une petite touche caca, car il a sa poubelle à couches ! Quand je vais rentrer chez moi, j’irai sentir les chambres de mes enfants.  

La compagne? Ou le compagnon? 

Et bien l’identité de l’autre, c’est quand on sent les tempes. Quand votre nez se pose sur la tempe de la personne dont vous êtes amoureux. Là, vous découvrez la véritable signature olfactive de la personne. C’est animal. On se renifle. 

Une odeur qui vous met mal à l’aise? 

Pas réellement, à part peut- être celle des duty free d’aéroports, qui sentent toujours la même chose. 

Vous vivez avec les odeurs, c’est un monde que vous avez choisi? 

Oui, j’adore. L’autre fois, j’ai déposé ma fille à l’école, il y  avait un papa devant moi qui portait Santal 33, un de mes parfums !

Vous êtes allé le voir? 

Ah non ! Surtout pas ! Mais j’étais heureux. J’adore sentir les bonnes odeurs dans le sillage des gens. On s’imagine l’histoire de la personne, pourquoi elle a choisi ce parfum. Mais je vis aussi sans odeur. Je suis souvent en développement donc je note, je teste. 

Et là, vous avez quelle odeur? 

Ce matin, j’ai mis Thé noir. 

C’est votre préféré? 

Non. J’aime Rose, Another, Thé Noir et Oud, cet espèce de monstre que personne ne porte. C’est tellement animal et sale, il faut oser. Ce parfum n’existe que quand il est porté. Il doit être incarné charnellement

Vous allez loin, vous êtes assez radical. 

Avec celui là, oui. Il est fumé, ça sent le caoutchouc brûlé, le jambon… 

Y a-t-il des gens derrière ces parfums? 

Peut être, mais pour l’essentiel ils sont imaginaires. Ce ne sont pas des comédiens ou des chanteurs. Maintenant, si vous voulez, ça pourrait être Joaquin Phoenix dans un rôle bien hard. 

Vous parleriez de vocation? 

Non. En fait, si on remonte un peu dans mon passé… j’ai étudié la chimie pour faire plaisir à mes parents, et en terminant mon diplôme de chimiste, j’ai eu mon premier boulot dans un groupe de parfums en Suisse. Puis de fil en aiguille, j’ai découvert ce monde. 

Vous auriez pu choisir d’être nez? 

Non, parce que je ne suis pas capable, c’est monomaniaque. C’est comme un cuisinier, il doit cuisiner, se mettre aux fourneaux, inventer des recettes. Non stop. J’aime diriger créativement un projet et me frotter à plusieurs facettes. 

Vous vous définissez comment? 

Créateur de parfum, je pense. C’est une couverture qui va jusqu’à la poitrine. 

Aujourd’hui, après New York, vous avez choisi de vivre au Portugal. Pourquoi? 

Pour me rapprocher de la mer. Etre dans une ville à taille plus humaine, ralentir nos vies. Tout en continuant à faire ce qu’on aime. 

Mais comment faites-vous? 

Je travaille avec un parfumeur, c’est du téléphone, du DHL, des Fedex. Et mon associé est en Californie. C’est comme si j’habitais dans une forêt magnifique au cœur de la France et que je travaillais a Paris. J’ai eu besoin de ralentir ma vie et d’y voir plus clair. 

Et alors, vous y voyez plus clair? 

Oui, c’est certain. Quand on ralentit, qu’on s’arrête de courir, de faire du bruit… au bout d’un temps, la poussière retombe, se dissipe, et les choses essentielles restent. On est surtout tellement plus efficace. 

Vous êtes comment vis-à-vis de la planète? 

Aujourd’hui, on se focalise sur ce que nous pourrions mieux faire. Aller vers du 100 % recyclé, et déjà du 100 % recyclable. Le Labo, avec sa double personnalité, est très attentif au monde, à son avenir. On ne teste pas sur les animaux, on est Peta aux USA, on ne fait rien en Chine. Nous devons être logiques avec nos idées, avoir le sens de l’exemple.  

On attend ça du Labo.

On ne peut pas créer de la beauté en épuisant le capital beauté, la nature, la vie, la tendresse ! 

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