Le Palais de Tokyo ou l’art de la perturbation
Propos recueillis par Yamina Benaï
L’OFFICIEL : Cette 4e édition de “Do Disturb”, festival consacré à la performance, revisite un médium qui a connu un âge d’or dans les années 1960-70, et qui depuis quelques années rencontre un regain d’intérêt auprès de la jeune génération d’artistes. Pourquoi vous être concentrée sur ce mode d’expression ?
VITTORIA MATARRESE : Depuis quatre ans, nous nous attachons effectivement à tenter de comprendre ce que signifie la performance aujourd’hui. Cette notion – et sa pratique – est aujourd’hui très différente de ce qui était produit il y a une cinquantaine d’années, lorsqu’elle est née comme un acte artistique très personnel. Parfois même les artistes réalisaient des performances dont le public n’avait pas connaissance... Aujourd’hui, je pense que la performance a beaucoup évolué. En premier lieu, il s’agit d’un mot-valise, qui nous amène à tenter de définir ce qui est performance et ce qui ne l’est pas.
Dès lors, quelle est votre définition de la performance ?
La performance aujourd’hui – et c’est bien là ce qui nous intéresse – est une forme d’extrême hybridation entre plusieurs disciplines et moyens de réalisation qui a atteint un tel degré de sophistication et d’imprégnation des territoires créatifs qu’on ne distingue plus la pratique d’origine de l’artiste. C’est ainsi que l’on peut voir des performances de danse contemporaine réalisées par des plasticiens, des performances de musique conçues par des vidéastes... La grande liberté qu’adoptent les artistes aujourd’hui dans leur manière de s’exprimer donne lieu à un nouveau vocabulaire issu du théâtre, de la danse, de la musique, des arts plastiques. En outre, la performance est aujourd’hui nettement plus participative qu’autrefois, elle s’approche davantage du spectacle vivant sans en avoir nécessairement la théâtralité. Mais en étant pensée avec et pour un public. Il me semble que pour toute une génération d’artistes, il est utile de s’exprimer via la performance, notamment au regard de la difficulté rencontrée dans la production des œuvres, le montage d’expositions : projets bien souvent longs et coûteux. La performance autorise donc une expression immédiate et plus simple, surtout quand l’artiste est lui-même le performeur.
De plus, la performance, si elle est collectionnée au même titre qu’une toile ou une sculpture, est par définition volatile, ne laissant pas de trace tangible, si ce n’est mentale...
Il y a effectivement des collectionneurs et des collections de performances, comme au Cnap ou au Frac Lorraine, qui en recueillent les protocoles. Toutefois, lorsque l’on vit la performance, la saisie de l’instant présent dépend d’une série de facteurs qui vont bien au-delà de ces protocoles.
Les précédentes éditions de “Do Disturb” ont rencontré un vif succès, quel est l’objectif visé à travers ce festival reposant sur l’idée de procurer de l’intangible en jouant sur la sensation fugitive ?
Je suis beaucoup plus proche du spectacle vivant que des arts plastiques, à mes yeux, il existe peu de différences entre performance et spectacle vivant, si ce n’est le format et la durée. Dès lors que l’on ouvre les codes de présentation d’un travail, on investit la sphère du spectacle vivant. La durée d’un festival comme “Do Disturb” peut être aussi bien compressée que dilatée. De plus, on élargit la position de la scène, très rarement fixée en situation frontale par rapport aux visiteurs, qui peuvent circuler à leur guise autour des projets... Ce que l’on propose en plus de ce dispositif, c’est la synchronicité des projets, en effet, au sein des espaces du Palais de Tokyo, de nombreux événements ont lieu de façon concomitante. Notre idée étant de mettre au point un joyeux chaos maîtrisé. Cela signifie que l’on propose au spectateur la possibilité de naviguer – suivant ses centres d’intérêt –au gré d’une grande variété de projets, du plus exigeant au plus simple d’accès. Chacun peut ainsi trouver un projet qui l’émeut, le captive. A cet effet, nous avons déployé une large palette : des projets politiques, engagés, denses à des projets plus drôles, légers. L’ambiance générale de “Do Disturb” est de ce fait chaleureuse, conviviale.
Comment mettez-vous au point votre programmation – très dense –, quels sont vos critères de sélection ?
C’est un travail construit tout au long de l’année. Je visite de nombreux festivals, expositions, foires, qui sont l’occasion d’identifier des projets. J’ai également des relais – amis, collègues... – qui attirent mon attention sur des artistes. C’est un travail collectif constant, et dans ce vaste ensemble d’informations se trouvent des thématiques récurrentes liées, par exemple, à l’engagement politique et social. C’est alors très intéressant et significatif d’observer le traitement qui en est fait par différents artistes suivant le pays et la culture dont ils sont issus. Très souvent, je suis attirée par des projets hybrides, associant plusieurs principes et domaines. Je recherche des formats que l’on ne connaît pas encore, qui relèvent parfois de l’expérimental.
A chaque édition, “Do Disturb” invite des partenaires à participer, pourquoi votre choix de l’Afrique du Sud cette année ?
Nous souhaitions créer une nouvelle géographie. Nous voulions explorer les lieux où la performance a toujours été prépondérante, comme Londres ou São Paulo, et les nouvelles institutions et manifestations où cette scène se développe, à l’image de Los Angeles ou de plusieurs pays d’Afrique, comme l’Afrique du Sud, sans pour autant y bénéficier de lieux dédiés. Le A for Art Foundation au Cap a consacré un focus à la performance, nouant, entre autres, un partenariat avec Performa, où furent présentés des artistes très intéressants et assez méconnus. Nous sommes donc heureux de contribuer à les faire connaître en Europe, via un projet sur le post-apartheid et la société très complexe qui en a découlé. Le travail de Gabrielle Goliath est l’un des plus durs, magnifiques et poétiques à ce sujet : elle appelle des femmes à venir chanter leur désarroi, leur expérience post-traumatique face à leurs expériences aux heures terribles de l’apartheid.
Los Angeles figure également au cœur de cette 4e édition.
Nous avons examiné le travail passionnant réalisé par Human Resources, petit centre d’art géré par des bénévoles. Ce lieu accueille des projets singuliers construits sur une vraie densité de contenu. J’y ai découvert F.L.O.W. (Future Ladies Of Wrestling) un groupe de treize artistes qui chacune s’est attribué un personnage de catcheuse et met en scène une critique de la société américaine standard, défendant des principes tels le désarmement, l’égalité des sexes... Chaque combat est dédié à une cause, avec distance et humour.
Observe-t-on des spécificités culturelles suivant les zones géographique ?
Je dirais que l’on retrouve des similitudes non pas dans le mode d’expression mais plutôt dans le contenu évoqué : des problématiques communes à explorer. Ainsi, le projet de Fatima Al-Banawi, artiste saoudienne, a du sens car elle vit à Jeddah : ce projet n’aurait évidemment pas la même intensité s’il venait d’un artiste établi à Berlin. Al-Banawi y étire des récits à travers une sorte de collection de vies minuscules, sur laquelle elle porte un regard spécifique. On prend ainsi la mesure de l’écart existant entre nos existences et ces parcours qui nous sont racontés. Les projets de Marcelo Cidade et Guilherme Peters, artistes de São Paulo, sont également très politiques et s’inscrivent dans le prolongement de la démission forcée de la présidente du Brésil, Dilma Rousseff. Ils sont donc très contextuels. D’autres projets répondent à des questionnements d’ordre universel, comme le projet de Florence Peake relatif à la sculpture, ou ce que propose l’Institut d’Esthétique sur la beauté, le désir impérieux de jeunesse et leurs diktats.
Quelles pistes d’orientation donneriez-vous à un visiteur qui disposerait d’un temps limité pour découvrir le festival ?
En dehors des artistes évoqués, j’attirerais l’attention sur les belles découvertes de cette année : Zadie Xa, Nils Bech et Ida Ekblad... De même que sur l’œuvre de Jamila Johnson-Small : elle travaille le corps en tant que danseuse, mais aussi l’explore et l’interroge au titre de corps noir, activant le détail, le micro-mouvement et la lumière : c’est passionnant. Je citerai également les chants de Nils Bech, immense star en Scandinavie, avec Ida Ekblad qui réalise des sculptures. Ainsi que la nouvelle interprétation du Sacre du Printemps par Florence Peake : le mouvement y est resculpté en permanence dans de l’argile humidifiée, un moment très physique et impressionnant. Et le 7 avril il ne faudrait pas manquer de passer la nuit avec Cecilia Bengolea. Cette artiste accorde énormément d’importance aux danses traditionnelles qu’elle collecte dans le monde entier. Elle s’intéresse au dancehall et convie des danseurs de Jamaïque, deux DJ et une danseuse japonaise, ceci avec l’aide de la Vinyl Factory qui a permis la construction de ce projet nocturne. “Do Disturb” est une expérience humaine très forte, j’espère que le public le vivra de la même manière.
“Do Disturb”, festival du 6 au 8 avril au Palais de Tokyo
13, avenue du Président Wilson, 75016 Paris
T. 01 81 97 35 88
www.palaisdetokyo.com
Vendredi 6 avril, de 18h à minuit,
samedi 7 avril, de 14h à minuit,
dimanche 8 avril, de 12h à 18h,
la nuit du 7 avril, de 23h à 5h au Yoyo.
TARIFS
PASS 3 JOURS
Plein tarif : 15 € (sur place/en ligne)
Tarif réduit* : 12 € (sur place/en ligne)
LA NUIT AU YOYO : 20 € (en ligne/digitick)
PASS 3 JOURS + NUIT : 30€ (en ligne/digitick)
*Pass enseignants, demandeurs d’emploi, bénéficiaires des minimas sociaux, guides-conférenciers, bénéficiaires du minimum vieillesse et moins de 26 ans, Tokyopass.
Ces tarifs incluent l’accès au festival et aux expositions en cours :
• Neil Beloufa, “L’Ennemi de mon ennemi”
• Kader Attia & Jean-Jacques Lebel, “L’un et l’Autre”
• George Henry Longly, “Daimyo - Seigneurs de la guerre au Japon”
• Anita Molinero, “Bouche-moi ce trou”
• Nina Chanel Abney, “Hot to Trot. Not”
• Massinissa Selmani, “Ce qui coule n’a pas de fin”
• Daiga Grantina, “Toll”
• Marianne Mispelaëre, “On vit qu’il n’y avait plus rien à voir”
POINTS DE VENTE
• billetterie du Palais de Tokyo
• site du Palais de Tokyo (rubrique Infos Pratiques > acheter un billet)
• sur le réseau www.digitick. com (rubrique Musée/Expo et Concerts/ Clubbing)