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Focus sur la biennale des photographes du monde arabe contemporain

La Biennale des photographes du monde arabe contemporain, forte d’une première édition particulièrement suivie, rassemble cette année une cinquantaine d’artistes réunis dans huit lieux parisiens, dont l’IMA. Un travail de fond et une amplitude d’approche menés sous le commissariat général de Gabriel Bauret permet, notamment, de porter un regard spécifique sur l’Algérie et la Tunisie. Rencontre.
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Propos recueillis par Yamina Benaï

 

L’OFFICIEL ART : En votre qualité de commissaire général de la Biennale des photographes du monde arabe contemporain, quels territoires géographiques avez-vous considérés, quel a été votre modus operandi pour couvrir cet ambitieux projet ?
GABRIEL BAURET :
Cette année, à la différence de la première édition qui n’avait pas privilégié un pays en particulier mais portait un regard sur l’ensemble du monde arabe, la Biennale a choisi de consacrer une partie de son programme à deux pays du Maghreb : l’Algérie et la Tunisie. A l’IMA, l’exposition s’ouvre sur un ensemble de travaux de six artistes tunisiens, certains vivant et travaillant dans leur pays (Héla Ammar, Zied Ben Romdhane, Jellel Gasteli et Souad Mani), d’autres en résidence à Paris (Douraïd Souissi) ou installé en France (Mouna Karray). Ce qui ne les empêche pas de “parler” avec conviction de la Tunisie, même s’ils vivent ailleurs. Et un peu comme dans le reste de la programmation, ils utilisent la photographie de façons très diverses : dans le sillage de la photographie documentaire (Zied Ben Romdhane) ou en ayant recours à une pratique très contemporaine de la photographie à l’aide d’un téléphone portable (Souad Mani). A la Cité Internationale des Arts, Bruno Boudjelal est commissaire d’une exposition de vingt jeunes photographes algériens qu’il a connus à travers des stages qu’il a animés dans le pays. Hommes et femmes photographes témoignent à travers des images extrêmement personnelles du climat qui règne dans le pays, sans que cela participe explicitement d’un projet critique.

 

Quels enseignements avez-vous tirés de la première édition, qui éclairent et modifient cette deuxième occurrence ?
La première édition – malgré les tragiques événements de novembre 2015 qui ont presque immédiatement suivi l’ouverture des expositions – a reçu un très bon accueil du public et de la presse. L’idée de raconter le monde arabe contemporain à travers la photographie semblait très opportun pour, entre autres, démonter les clichés qui encombrent souvent l’approche que l’on peut avoir de ces territoires. L’idée de mêler le regard des photographes arabes avec des travaux produits par des “étrangers” se devait d’être prolongée, développée. Pour constater qu’en fait il y a peu de différences dans la façon de traiter la forme photographique entre les premiers et les seconds, mais qu’en revanche les approches du monde arabe et les inspirations s’avèrent très complémentaires. D’autre part, il semblait intéressant de solliciter à l’occasion de cette seconde édition la collaboration d’une personne basée dans le monde arabe, afin de découvrir des travaux auxquels, depuis la France, on n’aurait peut-être pas eu accès. C’est ce qui a été décidé à l’IMA qui a fait appel à Olfa Feki, une commissaire indépendante installée à Tunis, mais sillonnant régulièrement le monde arabe.

“Les travaux des photographes algériens (âgés de 20 à 30 ans) témoignent souvent, mais de façon assez diffuse, du malaise de la société, du mal-être, notamment au sein de la jeunesse. A travers leurs images, ils disent l’attente, l’ennui, l’oisiveté, et le dénuement associé à ce sentiment qui imprègne cette Algérie, qui ne semble pas avoir de projet tangible.”
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Abdelhamid Rahiche, Série Alger Climat de France.
Abdelhamid Rahiche, Série Alger, Climat de France.
Abdo Shanan, Série From Diary Exile Sans titre
Abdo Shanan, Série_From Diary, Exile.
Ahmed Badreddine Debba, Série L'histoire de l'homme à la djellaba.
Ahmed Badreddine Debba, Série L'histoire de l'homme à la djellaba.
Atef Berredjem, Série To Here from Here.
Atef Berredjem, Série To Here from Here.
Hakim Rezaoui, Série A way of life.
Karim Tidafi, Série Aperto Libro.
Karim Tidafi, Série Aperto Libro.
Liasmine Fodil, A la recherche dune âme perdue.
Liasmine Fodil, A la recherche dune âme perdue.
Lola Khalfa, Série, Dégoûtage.
Lola Khalfa, Série, Dégoûtaage.
Mehdi Boubekeur, Série Tags ala tags.
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Nassim Rouchiche, Série Ca va waka.
Nassim Rouchiche, Série Ca va waka.
Oussama Tabti, Série Fake.
Oussama Tabti, Série Fake.
Ramzy Bensaadi, Célébrations rurales en Algérie.
Ramzy Zahoual, Série Handpicked Wrecks.
Ramzy Zahoual, Série Handpicked Wrecks.
Sihem Salhi, Série Lumière d'âme
Sihem Salhi, Série Lumière d'âme.
Sonia Merabet, Série Extraterrestre.
Sonia Merabet, Série Extraterrestre.
Yanis Kafiz, Série Nuages noirs.
Yanis Kafiz, Série Nuages noirs.
Yanis Kafiz, Série Nuages noirs.
Yassin Belahsene, Série Le Silence.
Yassin Belahsene, Série Le Silence.
Youcef Krache, 20 cents.
Youcef Krache, 20 cents.
Youcef Krache, 20 cents.

 

Quelles réalités avez-vous souhaité mettre en relief au fil des travaux de la cinquantaine d’artistes exposés ?
Sans doute pas des réalités à proprement parler, mais des écritures. Cette édition, peut-être plus que la première, met l’accent sur la diversité des formes et des intentions photographiques. Il s’agit de la vision du monde arabe contemporain, mais il s’agit aussi de la vision contemporaine du monde. Les travaux des photographes d’origine arabe sont en cela tout à fait comparables à ceux des artistes occidentaux qui exposent dans les pays européens. Et s’ils se rapprochent des pays où le marché de l’art prospère, c’est souvent parce que dans leur pays d’origine les conditions ne permettent pas de développer leur projet ni d’exister économiquement. Mais ils ne perdent pas pour autant ce qui les lie à leur culture et à leur histoire.

 

Cette année, les artistes algériens et tunisiens ont une place particulière, pourquoi ce choix et quels échanges avez-vous eus avec les acteurs institutionnels et privés de ces pays, et avec les artistes ?
Lorsque j’ai commencé à travailler sur le programme de la deuxième édition, j’ai eu connaissance d’un projet d’une exposition à Alger sur les jeunes photographes, conçue par Bruno Boudjelal. La ville de Paris soutenait ce projet et souhaitait faire venir cette exposition dans la capitale. Il était évident qu’il fallait l’intégrer à la Biennale et faire coïncider sa présentation avec les dates de notre manifestation – l’exposition sera ensuite montrée à Marseille. La Cité internationale des Arts semblait un lieu tout à fait approprié à cette monstration. A l’IMA, l’idée de proposer un focus tunisien est venue de l’intérêt que porte actuellement l’institut à ce pays et au développement de relations culturelles avec lui.

 

Comment s’est opérée la répartition des travaux de la cinquantaine d’artistes dans les huit lieux d’exposition ?
La programmation naît du dialogue avec les différents lieux. Les galeries ne disposent pas des mêmes espaces et n’ont pas les mêmes enjeux que la MEP, l’IMA, la Cité internationale des Arts ou la Mairie du 4e arrondissement. Quand je n’ai pas personnellement assuré le commissariat des expositions, j’ai proposé des artistes en prenant soin d’éviter des répétitions. Dans les galeries, ce sont en général les directeurs ou les directrices qui ont fait des propositions. Le critère essentiel, c’est le caractère contemporain du travail présenté et le fait qu’il concerne d’une manière ou d’une autre une région ou un aspect du monde arabe. Mais dans la galerie Binome, le lien avec le monde arabe ne tient qu’à l’origine des deux artistes. Si Mustapha Azeroual est franco-marocain et Sara Naim syrienne, leur travail mené à quatre mains ne porte que sur la lumière et il est très expérimental, presque abstrait ; il m’a toutefois paru intéressant de montrer des travaux qui interrogeaient, en quelque sorte, l’origine de la photographie.

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Farida Hamak, Bou Saada, Série Sur les traces, Algérie, 2014. Courtesy Galerie Regard Sud.
Farida Hamak, Bou Saada, Série Sur les traces, Algérie, 2014. Courtesy Galerie Regard Sud.
Farida Hamak, Bou Saada, Série Sur les traces, Algérie, 2014. Courtesy Galerie Regard Sud.
Hicham_Benouhoud, Série The Hole, 2016.
Xenia Nikolskaya, Radio Cinéma, Série Dust Cairo, 2010.
Xenia Nikolskaya, Sakakini Palace, Série Dust, Cairo 2007.
Xenia_Nikolskaya, Villa Casdagli, Garden City, Série Dust, Cairo, 2010.

Existe-t-il au sein de cette moisson de photographes des proximités en termes de sensibilité qui autoriseraient à parler d’écoles, de mouvements ?
Je ne pense pas. Il n’y a pas de véritable école, pas plus au sens propre d’ailleurs qu’au sens figuré, comme par exemple celle que l’on a connu en Allemagne à la fin du XXe siècle. Je pense qu’on assiste aujourd’hui à une mondialisation ou globalisation de la photographie. Appuyée par un marché de l’art qui n’a pas de frontières. Cela dit, il y a sans doute des préoccupations communes parmi les photographes arabes, concernant le paysage, ses transformations, les traces d’un passé plus ou moins éloigné. Des travaux portés par des réflexions sur l’identité, sur la masculinité (je pense aux photographies de Scarlett Coten), sur les conditions de vie de la société arabe actuelle ; sur les conséquences de nombreux conflits qui hantent certaines régions, sur le destin de certaines communautés (voir l’exposition que Michel Slomka montre à la Mairie du 4e, portant sur les Yézidis martyrisés par l’Etat islamique).

 

La vingtaine de photographes algériens, tous nés en Algérie, ont entre 20 et 30 ans, quels imaginaire, préocupations sociales et politiques traduisent-ils à travers leurs images ?
Les travaux exposés témoignent souvent, mais de façon assez diffuse, du malaise de la société, du mal-être, notamment au sein de la jeunesse. Les photographes disent à travers leurs images l’attente, l’ennui, l’oisiveté, et le dénuement associé à ce sentiment qui imprègne cette Algérie, qui ne semble pas avoir de projet tangible. Les photographes ne l’expriment pas littéralement, ils le font seulement sentir. L’ensemble de leurs images adhère à ce que l’on peut désormais comprendre de ce qui se passe dans ce pays.

 

Biennale des photographes du monde arabe contemporain
du 13 septembre au 12 novembre

INSTITUT DU MONDE ARABE,
1, rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris,
T  01 40 51 38 38.

MAISON EUROPÉENNE DE LA PHOTOGRAPHIE,
5/7, rue de Fourcy, 75004 Paris, T 01 44 78 75 00.

CITÉ INTERNATIONALE DES ARTS,
18, rue de l'Hôtel de ville, 75004 Paris, T 01 42 78 71 72.

MAIRIE DU  4e ARRONDISSEMENT DE PARIS,
2, place Baudoyer, 75004 Paris, T 01 44 54 75 04.

•GALERIE BINOME,  19, rue Charlemagne, 75004 Paris,
T 01 42 74 27 25.

GALERIE CLÉMENTINE DE LA FÉRONNIÈRE,
51, rue Saint-Louis en l'Île, 75004 Paris, T 06 50 06 98 68.

GALERIE PHOTO12,  14, rue des Jardins Saint-Paul,
75004 Paris, T 01 42 78 24 21.

GALERIE THIERRY MARLAT, 2, rue de Jarente, 75004 Paris,
T 01 44 61 79 79.

WWW.BIENNALEPHOTOMONDEARABE.COM

 

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Ahmad El-Abi_, Powered Up, Série Arabic Alphabet, 2016.
Ahmad El-Abi, The Balloons Shooter, Série Arabic Alphabet, 2016.
Ahmad El-Abi, The Bubbly Eyes, Série Arabic Alphabet, 2016.
Ahmad El-Abi, The Canned Duckie, Série Arabic Alphabet, 2016.
Bruno Hadjih, Nous n'irons pas nous promener.
Bruno Hadjih, Nous n'irons pas nous promener.
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Zied ben Romdhane, West of life, Série West of life, 2013-2016.

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