Pop Culture

Vous en avez marre de tout ? Rassurez-vous, c'est normal.

On dit souvent que s’énerver ne résout pas les problèmes. Vrai, mais qu’est-ce que ça fait du bien de pouvoir s’exprimer ! Un sentiment partagé par une nouvelle génération de créateurs comme Vaquera ou Gypsy Sport, d’artistes comme Cardi B et Dua Lipa, en passant par la nouvelle série de Netflix The End of the F***ing World. Attention, l’heure est au fuck-off général. 
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Le punk n’est pas mort. “I’m tired of self respect / I can’t afford a car/ I wanna be a prefab superstar /I wanna be a tool / Don’t need no soul”, (J’en ai marre du respect de soi-même / Je ne peux pas me payer une voiture / Je veux être une superstar préfabriquée / Je veux être un outil / Je n’ai pas besoin d’âme), chante Jello Biafra des Dead Kennedys dans Pull My Strings en 1980. Dans cette chanson “performée” une seule fois, le groupe s’en prend à l’industrie musicale et au corporatisme dans l’art. C’est à cet esprit révolté auquel le collectif de designers derrière le label new-yorkais Vaquera fait appel lors de son défilé automne-hiver 2018. Avec ses références à la politique américaine, mais aussi aux casinos, à la religion avec ses nonnes, ses mariées énervées et ses diables revisités, la marque connue pour son anticonformisme et sa critique de l’establishment confirme qu’il n’est pas question de subir sans colère ni résistance. “Dieu, disait le communiqué de presse, c’est moi, Vaquera, aide-moi à gagner aux tables avant que l’argent ne vienne à manquer ! Quel est mon destin ?” Une raillerie proche de celles des Dead Kennedys, sans parler du clin d’œil avec la silhouette d’une businesswoman vêtue d’une chemise blanche siglée d’un “S” et dont la cravate, repassant sur le devant, forme le signe du dollar – référence directe à la tenue que portait le groupe lors de son concert mythique. Si dans Orange mécanique, la jeunesse de Kubrick reprenait le pouvoir par la terreur et que dans les 90s la Génération X de Coupland quittait les métropoles pour le désert, aujourd’hui tout le monde pète les plombs. L’heure est au fuck-off général. 

Empowerment et authenticité.

Cette envie de tout foutre en l’air, on la retrouve également dans l’une des dernières séries de Netflix The End of the F***ing World, soit huit épisodes qui nous font suivre deux adolescents tentant de fuir le poids de leur vie familiale. Mettre une droite à son père, crasher sa voiture, tuer un agresseur sexuel, laisser un pote en plan, hurler sa frustration à pleins poumons… démontrent une intolérance au réel qui pousse à faire seulement ce dont on a envie, n’en déplaise à la société. La série, comme l’époque dans laquelle nous vivons, met ainsi en avant le concept d’empowerment. Trouver le pouvoir que l’on a en soi afin d’agir selon ce qui nous correspond. Un thème qui n’a d’ailleurs pas échappé au créateur de Gypsy Sport qui, lors de son dernier défilé, a présenté une collection qui célébrait les individualités et les différences physiques. Une célébration visuelle de ce qui rend chacun unique. Ici, la mode est un discours sur soi et sur le monde qui nous entoure. Embrasser, voire revendiquer, ce que nous sommes à travers nos vêtements est alors montré comme une arme. Un moyen de lutter contre un monde qui nous ignore ou qui a du mal à nous comprendre. “Battons-nous pour un nouveau monde, un monde décent, un monde dans lequel il y aurait de la place pour tous”, a déclaré le designer Rio Uribe avant le début du défilé. Et si derrière cette apparente apologie de la violence et ce ras-le-bol global se cachait finalement un besoin virulent d’espérer ?

Changer le monde.

Quand certains déclarent avoir des phobies administratives, il semble que l’époque nous rende allergiques à ce qui ne fonctionne plus dans le monde. Et c’est dans la pop culture qu’on trouve désormais de quoi se soulager. Il suffit de regarder les chanteuses qui caracolent en tête des charts : Cardi B, Halsey, Dua Lipa… Qu’elles disent à leurs ex de foutre le camp ou qu’elles fassent des Louboutin le signe de leur pouvoir, chacune d’entre elles s’entête à écrire des “new rules”, comme se plaît à le chanter Dua Lipa dans son titre éponyme. “Aucun artiste ne peut se passer du réel. La création est exigence d’unité et refus du monde. Mais elle refuse le monde à cause de ce qui lui manque et au nom de ce que, parfois, il est. La révolte se laisse observer ici, hors de l’histoire, à l’état pur, dans sa complication primitive”, peut-on lire dans L’Homme révolté d’Albert Camus, et c’est effectivement ce qui est intéressant dans cette envie de tout casser, car une fois les choses détruites, il sera alors temps de rebâtir. Dans le troisième défilé présenté par Raf Simons pour Calvin Klein on trouve un écho à cette volonté de voir naître un autre monde. Les premières silhouettes montrent l’attrait du créateur belge pour la protection et la sécurité, en attestent les looks évoquant les couvertures de survie et les manteaux de sapeurs-pompiers américains sans parler des cagoules qui rappellent les cottes de mailles des chevaliers médiévaux. Pourtant, il explique lui-même à la fin du défilé qu’il a voulu mettre en avant “moins d’horreur cette fois, plus d’espoir”. Un espoir qui se définit par certaines tenues légères aux couleurs douces et pastel jouant sur les transparences, les imprimés, sans oublier les sacs de pop-corn portés à la main par les mannequins. Comme pour signifier que si le monde extérieur est difficile, l’heure n’est pas au repli sur soi. Le meilleur moyen de changer le réel, c’est d’y participer pleinement.

 

Illustration Antoine Cossé

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