Au Festival de Cannes, la nudité bannie du tapis rouge au nom de la décence
Le Festival de Cannes impose un nouveau dress code strict pour recentrer l’attention sur le cinéma.
À Cannes, les étoiles ne scintillent pas seulement dans le ciel méditerranéen ; elles brillent sur les marches du Palais, parées de soie, de velours et parfois de provocations. Pourtant, à la veille de sa 78e édition, le Festival de Cannes choisit d’imposer une ombre discrète sur ces éclats vestimentaires. Sous le sceau de la "décence", un mot aux contours changeants selon les époques, les organisateurs ont durci le ton : la nudité est désormais proscrite sur le tapis rouge.
C’est un communiqué lapidaire, mais aux résonances profondes, qui a tiré un trait sur l’ère de la "naked dress". Adieu robes diaphanes révélant les courbes sous les projecteurs, adieu silhouettes sculptées par le tulle et les illusions d’optique. Le Festival, autrefois terrain de jeu des audaces vestimentaires, convoque désormais l’élégance classique, la retenue, et surtout une certaine idée de l’épure.
Car derrière cette décision se cache plus qu’un simple rappel au bon goût : c’est l’image même du Festival qui se redessine. Si les caméras ont longtemps hésité entre les robes et les rôles, entre la mode et le message, les organisateurs semblent vouloir recentrer le regard : que le cinéma redevienne le cœur battant de l’événement, que les stars soient d’abord des artistes, pas des apparitions.
La décision n’est pas anodine. Elle s’inscrit dans une époque où les images s’exportent en un clic, où les plateformes de streaming et les chaînes du monde entier relaient Cannes en direct, sans filtre ni flou artistique. La ligne entre glamour et controverse n’a jamais été aussi fine — et c’est peut-être cette fragilité que les nouvelles règles veulent encadrer. Dans une société où l’esthétique flirte avec le politique, où un décolleté peut devenir manifeste, la "décence" devient un mot qui divise autant qu’il rassemble.
Mais que signifie-t-elle vraiment, cette nudité désormais interdite ? Car ici, ce n’est pas la simple absence de tissu que l’on proscrit, mais tout ce qui évoque trop fortement le corps, tout ce qui joue la carte de la transparence jusqu’à effacer la frontière entre vêtement et peau. Une traîne trop longue, une fente trop haute, une absence de soutien-gorge, une couture placée au millimètre : autant de détails qui, hier encore acclamés, pourraient aujourd’hui valoir un refus d’entrée.
Et pourtant, les marches cannoises ont toujours été le théâtre de transgressions calculées. Julia Roberts ôtant ses talons pour grimper pieds nus, Bella Hadid défiant la pudeur dans une robe anatomique, ou encore Charlotte Gainsbourg en dentelle audacieusement libre… Toutes ont réécrit, à leur manière, le script d’un tapis rouge devenu performance. Que reste-t-il de cette liberté aujourd’hui ?
Il faut aussi interroger l’universalité de cette nouvelle rigueur. Car à Cannes, tous les corps ne sont pas logés à la même enseigne. Les égéries de grandes maisons, les visages familiers du glamour international, jouissent d’un halo protecteur que d’autres ne possèdent pas. L’élégance y est une question de statut autant que de style. Qui osera refouler une muse de Chanel ou de Saint Laurent ? La règle sera-t-elle plus souple à mesure que la célébrité grandit ?
Le code vestimentaire de 2025, s’il entend restaurer un certain ordre, ne pourra éteindre les feux du débat. Car à travers ces étoffes plus sages se joue une tension contemporaine : celle entre image contrôlée et liberté d’expression, entre tradition et subversion. Le tapis rouge, plus qu’un passage cérémonial, demeure une scène symbolique où les corps, les habits et les discours se répondent en silence.
Cannes durcit son règlement, mais la Croisette n’a jamais été totalement domptée. Et peut-être verra-t-on, cette année encore, des silhouettes s’avancer dans l’éclat d’un satin discret, un clin d’œil audacieux cousu dans la doublure. Car les artistes savent, mieux que quiconque, que la décence elle-même peut être performée — et que l’élégance n’est jamais là où on l’attend.