Qui sont les nouveaux tueurs de l'IA à la solde du luxe ? Part 2.
Loïc Winckelmans, CEO de Retviews
On n'est jamais mieux servis que par soi-même. Ce jeune Bruxellois a monté sa start-up à l'âge de 26 ans, et sa première tentative fut la bonne. Féru d'intelligence artificielle, il ambitionne aujourd'hui de devenir le leader européen en benchmarking automatisé. Explications.
Vous avez fondé Retviews à deux en 2016. C’était lors de votre sortie d’école ?
Loïc Winckelmans : Presque ! Lorenzo Pellizzari, cofondateur, et moi-même étions fraîchement diplômés de Solvay (la faculté d’économie bruxelloise) et en premier poste dans une start-up en tant que data scientists, quand nous avons décidé de nous lancer. Nous étions accros aux nouvelles technologies, plus surtout au traitement de volumes massifs de données et à l’élaboration de réseaux de neurones artificiels permettant d’automatiser tout ça.
Pourquoi avoir choisi le secteur de la mode pour y faire vos preuves ?
C’était un secteur où tout restait encore à faire en matière de technologie, notamment dans le domaine des lectures de marchés, qui n’avaient pas vraiment évolué. Il y avait aussi un vrai challenge à la clé, car c’est une industrie où tout s’est accéléré du jour au lendemain et où savoir ce que fait la concurrence devient une gageure. On y lançait une étude de marché, et au moment où on la lisait, elle était déjà obsolète. Quand les Google, eBay,Amazon… ont commencé à créer ce qu’on appelle le WorldWide Web 2.0, avec une nécessité d’interaction permanente avec des millions de personnes, ils se sont retrouvés limités par la configuration des bases de données alors en vigueur. Et si l’intelligence artificielle existe depuis très longtemps (les premiers réseaux de neurones datent des années 50), elle n’a été que récemment galvanisée.
En quoi consiste le service que vous proposez chez Retviews ?
Nous travaillons sur l’automatisation de ces tâches répétitives et rébarbatives d’acquisition d’informations tirées des bases de données. Retviews est une plate-forme de service de veille automatisée des sites de e-commerce partout dans le monde, qui collecte, indexe et analyse en temps réel un maximum de leurs données, je préfère dire “assortiments”. Dans le domaine du big data, on arrive à un stade où la donnée devient une évidence, mais ce qui a vraiment de la valeur, ce sont les “insights”, les déductions que l’on arrive à tirer de ces analyses. En revanche, nous vendons le software, c’est tout. C’est là-dedans que nous sommes bons. On laisse la partie interprétation des données aux clients, aux bureaux de tendances.
Comment cela marche-t-il, concrètement ?
En pratique, nous traitons environ 90 millions de données par jour! Mais il est rare que nous mettions cet argument en avant devant un client. Il préfère qu’on lui parle de “benchmark automatisé”, c’est plus parlant. Pour traiter ces données, nous avons mis en place trois étapes, avec trois technologies distinctes: la première consiste à acquérir les données (visuelles et écrites), la deuxième à les reconnaître, et la troisième à les mettre à la disposition de nos clients.
Par quels moyens ?
Grâce à une plate-forme “user friendly”, c’est-à-dire intelligible pour eux, une interface en ligne dont ils se servent au quotidien, avec un accès illimité aux informations quasiment en temps réel. Quelque chose de très simple, intuitif, personnalisé, avec des tableaux de bord pré-remplis et une méthodologie d’accompagnement utilisateur.
Combien de clients avez-vous pour l’instant ?
Une vingtaine de clients, en Europe et en Asie. Nous devons suivre un calendrier de développement méthodique et rigoureux, dans lequel nos finances et nos stratégies sont calibrées uniquement pour le secteur mode et dans ces deux régions du monde. Mais rien ne nous empêche, bien au contraire, de réfléchir aux prochains leviers de croissance et donc aux étapes suivantes, par secteurs et par zones géographiques.
2 levées de fonds
90 millions de données traitées par jour
3 bureaux dans le monde
50 clients d'ici fin 2019
12 employés
3 technologies distinctes
Le marché mode chinois, très difficile d’approche mais dont on dit qu’il dépassera le marché américain cette année, vous concerne-t-il ?
Oui. Nous avons la chance d’avoir eu comme premier investisseur le groupe chinois Fung Investments, qui met à notre disposition son infrastructure sur place, ce qui facilite beaucoup de choses.
Si les plates-formes de e-commerce restent votre principale source d’informations, vous intéressez-vous aussi aux réseaux sociaux, poule aux œufs d’or du moment ?
Pas vraiment. Les réseaux sociaux ont des contenus qualitatifs mais trop volatils et aléatoires en termes de fiabilité d’information. D’autant que s’ajoute une contrainte légale maintenant. Je n’investirais pas trop là-dedans en ce moment. C’est ce que j’appelle un “nice-to-have”, pas un “must-have”.
Vous êtes partis de la mode dite “mass- market” puis vous êtes passés au premium, le luxe sera-t-il votre prochain client ?
Nous y sommes déjà, car il y a peu d’altération des outils technologiques dans ces secteurs. Notre service s’adapte à chacun d’eux. À nous de voir quels sont les secteurs les plus prometteurs: cosmétique, électronique, homewear, marques propres des e-commerce… Si l’idée ne fait pas l’unanimité, il y aura pour eux un besoin croissant de “clusterisation” (partitionnement, méthode d’analyse) des données.
Combien de personnes employez-vous chez Retviews ?
Douze, bientôt quatorze, réparties à Bruxelles, Hong-Kong et Bucarest, en trois pôles: un pôle technique, avec des data engineers qui acquièrent les données, les traitent et les stockent sur des serveurs, des data scientists qui extraient les infos de ces bases de données, et des web developers qui gèrent l’interface. Un pôle mode avec des “client success managers”, souvent d’anciens chefs de produits e-commerce, qui assurent le contact avec nos clients et les accompagnent dans l’utilisation de l’interface. Enfin, un pôle business-development, qui soutient le projet de façon stratégique et commerciale.
Qui sont vos investisseurs ?
Nous avons débuté l’aventure en fonds propres, suivie d’une première levée de fonds auprès de Fung Investments qui a permis la création d’une “responsive supply chain”, et nous venons d’en clôturer une deuxième, européenne cette fois, avec le fonds Innoviris qui soutient des start-up dans l’accélération de leur recherche-développement.
Quelle sera votre prochaine étape ?
Devenir le leader dans l’automatisation de benchmarking en Europe, et dans une moindre mesure consolider notre présence en Asie. Nous visons les 50 clients en 2019.
Considérez-vous avoir été là au bon endroit au bon moment ?
Certainement, même si ça ne m’empêche pas d’avoir un gros doute quant au fait que nous soyons très en retard en Europe dans le domaine du développement des hautes technologies. Ne sont en cause ni l’époque, ni l’excellence française en la matière parmi les jeunes générations. C’est plutôt dû au financement, au capital et à la prise de risque. Heureusement, les mentalités changent et les venture capital, dont la sensibilité au risque est assez faible, peuvent aider à rattraper ce retard. Elles investissent dans 40 boîtes en même temps pour être sûres d’en avoir au moins une qui explose à court terme. C’est d’autant plus important que l’on arrive aujourd’hui à un point d’inflexion stratégique dans le domaine de l’intelligence artificielle au service de l’économie entrepreneuriale.