Fabrizio Casiraghi : "Un projet doit se nourrir de contraintes"
Depuis qu'il a monté son studio à Paris il y a six ans, les projets s'enchaînent sans relâche. Le portfolio du Milanais Fabrizio Casiraghi dessine ce néoclassicisme aux belles manières, empreint de sobriété, nourri de culture et de voyage. Une façon bien à lui d'arbitrer les élégances, passées et présentes, qui fait également mouche hors de France.
Bien que son patronyme n’ait rien à voir avec une quelconque famille princière, Fabrizio Casiraghi sait néanmoins mettre de la noblesse à l’intérieur de chacun de ses projets. Une noblesse jamais ostentatoire, qui élève l’équilibre en valeur cardinale de son métier d’architecte, et fait préférer Verbier à Courchevel, et Ramatuelle à Saint-Tropez. Cet understatement, comme disent les Anglo-Saxons, serait chez lui une signature qui ne dirait pas son nom. Comme Achille Castiglioni ou Renzo Piano avant lui, le Milanais a étudié l’urbanisme et l’architecture à la fameuse faculté Politecnico. Jeune diplômé, il vient d’abord à Paris faire ses armes chez Dominique Perrault, l’architecte de la BNF. Aspirant à une relation plus intime avec sa pratique, il rentre chez lui et, pendant un an, intègre l’équipe de bénévoles du Fondo Ambiente Italiano (FAI), l’exemplaire fon- dation privée qui œuvre depuis 1975, sur le modèle du National Trust britannique, à la protection et à la valorisation de quelque soixante monuments et sites naturels en Italie. Parmi eux, la villa Necchi, œuvre d’art totale construite par Piero Portaluppi, au cœur de la capitale lombarde, est en passe d’ouvrir au public. Son archi- tecture rationaliste, son parc et ses décors Art déco nourris par une incroyable profusion de détails et d’ornements lui provoquent le déclic : l’architecture intérieure sera sa voie. Les architectes milanais de Dimore Studio lui mettent le pied à l’étrier en lui confiant divers chantiers internationaux qui, chemin faisant, attiseront sa soif de voyage et de culture. Mais c’est en France, en 2015, qu’il décide d’ouvrir sa propre agence, à seulement 29 ans. Appartements privés, boutiques et restaurants s’enchaînent, et Paris devient un terrain de jeu privilégié pour celui qui voit dans une “sensibilité européenne” le meilleur moyen de conquérir le monde. Le classicisme peut bien rimer avec une certaine maturité, lui puise très tôt dans ses propres racines. Le Milan moderniste bien-sûr, mais aussi le Sud-Tyrol où ses souvenirs d’enfance le renvoient à Brixen auprès de sa grand- mère, dans ce Haut-Adige italien resté très autrichien. La Séces- sion viennoise n’a donc rien d’illégitime dans ses choix intérieurs. Pour autant, les maîtres-ensembliers français des années 30-40 ont toute son attention, Jean-Michel Frank, André Arbus, Jean Royère et Jacques-Émile Ruhlmann en tête. Alors, quand ce dernier est au centre de la rénovation qu’il lui est demandée pour le restaurant Drouant, c’est tout à la fois un honneur et un challenge. Hormis l’escalier d’honneur, le reste, saccagé dans les années 80, nécessite de retrouver l’esprit Ruhlmann d’origine tout en apportant un flair contemporain, légèreté et sobriété, et sans en faire une “period room”. “Je respecte énormément le travail d’architectes comme Jacques Garcia en France ou le Studio Peregalli en Italie qui, à leur façon, organique, ont l’art de recomposer le passé, mais je préfère réinterpréter les codes his- toriques avec un regard d ’aujourd ’hui”, confesse Fabrizio Casiraghi qui a eu la bonne idée de demander à son compatriote et ami Ro- berto Ruspoli d’imaginer les fresques de deux salons de la fameuse adresse du Goncourt. Un faux air de villa Santo Sospir que n’aurait pas renié Cocteau, jadis client fidèle.
Doser les contrastes
Souvent, son instinct pousse ce fan d’Arts & Crafts à oser des combinaisons exotiques ou ethniques, le style Shaker pouvant aisément épouser la pureté d’une lampe Noguchi, ou la Grâce suédoise celle d’un fauteuil Free Edge signé Nakashima. Si se tenir loin du pas- tiche est un postulat naturel, celui de s’adapter au contexte et au client l’est tout autant. Pour preuve, ce grand appartement du quar- tier des Invalides qu’il a réalisé pour une famille où “nul n’était besoin de crier plus fort que les riches effets décoratifs, les cheminées, les dorures, d’un glamour vintage. Exit La Chunga et son décor passablement daté, place au bois verni façon Riva, banquettes terracotta, dessins de Hans Hartung et plafond de verre opalescent façon Lalique. Chez lui, dans son propre appartement, la Mitteleuropa du siècle dernier aura toutes les chances de faire dialoguer un compotier de Josef Hoffmann, une lampe de Gabriella Crespi, l’arrondi bruta- liste d’un Mario Botta et l’éloquence d’un Gio Ponti. Peut-être une babiole chinée dans les souks de Marrakech où il aura, comme de coutume, passé les fêtes de Noël en famille. Des projets pour 2022 ? À Londres, le Bellevue, son deuxième hôtel après celui réalisé à Verbier pour Expérimental Group. Aux États-Unis, un projet aux confins de Los Angeles, un autre à Miami. Dans les deux cas, des maisons familiales qui font appel à une tout autre échelle de travail, où la notion de “landscape architecture” est constante. À la différence de Paris, il lui faut penser l’intérieur dans un tout qui englobe l’extérieur, la piscine, les dépendances, le parc, parfois même le potager. L’osmose avec le cadre, comme une seconde nature.