Hommes

Joshua vs. Povetkin : le retour des (gros) lourds

La tension médiatique ainsi qu’une nouvelle génération de fans et de combattants redonnent tout son lustre à cette catégorie reine de la boxe. Dernière preuve en date ? L'engouement pour le combat de samedi confrontant le britannique Anthony Joshua au russe Alexander Povetkin.
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Le jour où Mike Tyson s’est tordu le cou à Tokyo sur l’uppercut de Buster Douglas, une page de l’histoire de la boxe s’est tournée pour laisser place à une nouvelle ère... un peu terne. Ce 11 février 1990 sonnait la fin d’un demi-siècle de domination américaine sur le monde des lourds. On aurait dû sentir le coup venir à voir Tyson à quatre pattes en train de tâtonner pour retrouver son protège-dents. Buster Douglas était rentré chez lui prendre des dizaines de kilos en trop, avec le sentiment du devoir accompli. Tyson emportait dans sa chute Don King, son Méphistophélès, seul promoteur er d’être considéré comme un escroc. Finies les batailles épiques entre les héritiers d’Ali, de Frazier et de Foreman. L’ennui s’abattait sur les lourds, “la catégorie reine”.

On ne voyait plus que des Russes assommant leurs adversaires aussi robotiquement et aussi sûrement que leur public. Même si quelques événements spectaculaires venaient parfois sortir les amateurs de leur torpeur, comme le jour où Mike Tyson, encore lui, avait mordu l’oreille d’Evander Holyfield, la qualité pugilistique de la chose laissait à désirer. Et quand la catégorie des lourds éternue, la boxe s’enrhume. Les aficionados se contentent souvent d’apprécier le style inimitable d’un super-léger mexicain ou d’un poids paille panaméen qui virevolte en virtuose entre 16 cordes, mais dans l’ensemble, le public pense que tout ce qui est beau est gros et vice versa.

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Tout en humilité antibling-bling, Mike Tyson et son promoteur Don King (à gauche). C’était au siècle précédent, en 1985

Faire rêver les foules

Heureusement, le 29 avril 2017 à Wembley, un autre uppercut a laissé poindre une nouvelle aube. Anthony Joshua a mis K.-O. Wladimir Klitschko. Wembley était en folie et plein à craquer – 90 000 personnes. Il y avait longtemps qu’on n’avait pas rempli un stade de football avec un combat de boxe, on se serait cru de nouveau au temps de Dempsey et de Carpentier. D’autant que ce combat-là a tenu ses promesses : violence, knock downs, suspense... tout en nous épargnant les rodomontades habituelles de catcheurs que l’on a malheureusement vu revenir depuis : “Je vais l’écraser, je vais l’assommer, le faire saigner, etc.”

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Au sixième round, le vieux Klitschko, 41 ans, a mis Joshua à terre. On n’y croyait plus, puis Joshua revint, Klitschko resta trop près, alors qu’il lui suffisait pour gagner de boxer en reculant, de lancer son jab pour tenir le beau gosse à distance, mais peut-être que l’Ukrainien n’avait plus de jambes. Au onzième, c’était Joshua qui le mettait K.-O. Si Klitschko n’a pas su faire rêver les foules, contrairement à Superman auquel il ressemble un peu, il n’en est pas de même pour Anthony Joshua, AJ pour les intimes. Il est beau et il est bon.Comme on est à la boxe plutôt qu’au golf, il a connu de délicats petits intermèdes avec la justice au moment de l’adolescence.

Mais tout ça est oublié. Après cette victoire sur l’Ukrainien, il a fait une tournée triomphale dans huit villes de Grande-Bretagne. On le trouve humble, discipliné, travailleur et souriant. C’en est presque pénible parfois, pour ne pas dire suspect. Mais bon... Joshua sera-t-il le prochain Mike Tyson, en version propre sur lui ? Certains de ses combats précédents et le fait que Klitschko était devant à 41 ans, ont incité quelques experts à demander un véritable test. Sa victoire sur Dominic Breazeale, d’une lenteur spectaculaire et d’une puissance anodine, n’avait pas totalement convaincu. Il n’avait pour atout que son menton, sérieusement mis à l’épreuve par Joshua. Puis il y a eu Carlos Takam, boxeur franco-camerounais prévenu à la dernière minute qu’il avait un combat pour le titre mondial sur les bras parce que l’autre challenger avait dû se décommander. Douze jours pour se préparer, autant dire rien, et il tient tête au nouveau chéri de l’Angleterre. Carlos Takam est champion du monde WBF, il aime la littérature, la méditation et le yoga, et on se demande ce que le public attend pour lui accorder sa confiance tout comme le public britannique lui a accordé ses acclamations. De ce côté-ci de la Manche, on s’est passionné pour Tony Yoka, vainqueur, dans l’ordre, d’un sidérurgiste à la retraite surtatoué et motard, d’un basketteur qui lui a donné toutes les peines du monde, et un videur de boîte de nuit. Il est vrai qu’un challenger se construit prudemment... En attendant, il a été suspendu un an avec sursis pour manquement à la réglementation anti-dopage.

 

Toujours un gentil et un affreux

Puis il y a eu le petit dernier des combats de Joshua. Contre Parker. Pour la première fois, un de ses adversaires tenait la distance dans un match à l’arbitrage inepte. Joshua expliquait juste après le dernier round qu’il s’agissait là de “finesse” pugilistique. Le public et les critiques trouvaient le spectacle soporifique, et commençaient à entrevoir certaines faiblesses chez le champion. Pendant ce temps, aux États-Unis et en Angleterre, les candidats idéaux pour une confrontation se profilent à l’horizon : les méchants. Tout promoteur qui se respecte sait que les boxeurs qui s’estiment mutuellement font fuir le public et qu’il faut toujours un gentil et un affreux. D’abord Deontay Wilder. Un nom qui suffit à faire peur. Deontay Wilder, dit le Bombardier de bronze, se bat comme un moulin à vent qui se déchaîne. Malheureusement pour ses adversaires, il brasse beaucoup plus que de l’air. Son palmarès : 40 victoires, 39 par K.-O., aucune défaite. C’est pas mal. D’autant plus que Deontay n’a rien d’un styliste, sauf quand il s’agit de sa tenue vestimentaire et de sa coupe de cheveux extrêmement sophistiquée. Il a récemment ajouté un masque à cette tenue quand il arrive sur le ring, à mi-chemin de la duchesse du carnaval de Venise et du Mycénien de la grande époque façon Agamemnon, ce qui lui a valu quelques critiques. Pour ce qui est de la boxe, il met K.-O. ses adversaires en faisant tout ce qu’un entraîneur déconseille de faire à ses boxeurs. Mais ce méchant est d’autant plus intéressant qu’il ne l’est pas vraiment. Sous la brute invincible se cache un père meurtri. Il explique qu’il s’est mis à la boxe pour payer les frais de santé de sa lle qui souffre d’une terrible maladie, le spina bifida, une déformation de la colonne vertébrale qui survient avant la naissance causant la paralysie des membres inférieurs. Grâce à ses combats, Deontay a financé cinq opérations chirurgicales pour la petite Naieya. C’est à elle qu’il a promis qu’il serait un jour champion du monde des lourds. Son dernier combat contre Luis Ortiz était d’autant plus émouvant que lui aussi se bat pour la santé d’une de ses filles qui souffre d’une rare maladie de peau. Il a quitté Cuba clandestinement pour la faire soigner aux États-Unis. Après sa victoire, Wilder devait déclarer : “Nous étions deux pères qui se battaient ce soir pour leurs filles, c’était un honneur d’être avec lui sur le ring.” Là encore, le combat entre ces deux invaincus a eu sa part de suspense. On a cru Wilder perdu. Sous le regard affolé de sa fille, il a mis un genou à terre pour la première fois de sa carrière. Puis il s’est relevé, et il a battu Ortiz par K.-O. Ce dernier, qui s’identifie à King Kong, devra attendre pour sa revanche. Maintenant, Wilder veut Joshua. Il l’a d’ailleurs traité de “petite fille”.

 

Déchu pour dopage

Puis un troisième larron se dresse à l’horizon, Tyson Fury. Lui aussi veut Joshua et a déclaré: “Il travaille pour moi, il porte mes ceintures, il les nettoie, en attendant que je les récupère.” Parce que Tyson Fury a été déchu de ses titres après s’être fait prendre pour dopage. Bien qu’incapable de délivrer un coup réglementaire, Tyson Fury a remporté le titre de champion du monde grâce à son allonge de 2,16 mètres. Souvent, Fury s’épanche. Il livre des interviews dans lesquelles il explique qu’il est triste, qu’il n’a plus goût à rien et que la vie ne vaut pas d’être vécue, etc. Ou alors, il exhibe son ventre énorme en l’agitant à deux mains.

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Le Jamaïcain Dillian Whyte nargue le Suédois Robert Helenius à Cardi , le 28 octobre 2017
Cette année, le Cubain Luis Ortiz (short vert) et l’Américain Deontay Wilder lors du championnat du monde des lourds WBC à New York
Le Parisien Tony Yoka lors des championnats du monde WBA au Dôme de Paris-Palais des Sports, le 20 mai 2016
Anthony Joshua (de dos) et l’Ukrainien Wladimir Klitschko au stade Wembley de Londres, le 29 avril 2017
Le Britannique Anthony Joshua, le 31 mars 2018, à Cardi , au pays de Galles, vainqueur et détenteur des quatre ceintures

Dans un tweet, Joshua lui a d’ailleurs suggéré : “Remets-toi en forme fat f***k.” Quand il est gai en revanche, Tyson Fury n’hésite pas à pousser la chansonnette. Ainsi, après sa victoire contre Steve Cunningham, il arrache le micro d’un journaliste américain et se lance dans une interprétation de Keep it Between the Lines, de Ricky Van Shelton. Après les entraînements, il chante et, histoire de défier Klitschko, il chante encore Wind Beneath My Wings. Parfois, il répond en musique aux questions qu’on lui pose lors des conférences de presse comme celle qui précédait son combat avec Dereck Chisora. Il n’a pas encore composé d’opéra sur son contrôle positif et son bannissement. D’origine gitane, il s’est autobaptisé Gypsy King et seule une victoire d’Anthony Joshua par K.-O. pourrait nous éviter une nouvelle interprétation de Bamboléo. AJ a donc un agenda chargé, ils sont tous là : le bon, la brute et le truand. On ne peut rêver mieux pour un retour des super-héros aux muscles et aux ego surdimensionnés.

 

Texte : Élie Robert-Nicoud

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