Design

Rudy Guénaire : Talent de haut vol

Nouveau nom dans le monde de la décoration d'intérieur, Rudy Guénaire et son agence Night Flight lancée l'année dernière nous emmènent dans un monde bercé de poésie et de références cinématographiques où l’artisan est roi.

pants jeans person sitting adult male man plant standing potted plant

Photographie de Ludovic Balay

Né avec la bosse des maths, Rudy Guénaire semblait avoir une destinée toute tracée avec un diplôme d’HEC en poche, mais il n’en fut rien. Loin de lui l’envie d’intégrer une grosse société pour faire du “night to five”, il prend le temps de réfléchir pendant son année de césure, et ne s’en va donc pas chez Goldman Sachs comme on pouvait s’y attendre. Il préfère traverser à pied, et seul, à 24 ans, les États-Unis de la frontière mexicaine à celle du Canada. Il réussit l’exploit en quatre mois et demi, belle performance pour cet aventurier en herbe. Il en profite pour faire son introspection. Assez facile là-bas où “vous pouvez faire des kilomètres sans croiser ni rien ni personne pendant dix jours, contrairement à la France où l’on croise des gens partout”. À son retour, sans jamais avoir travaillé nulle part, il décide de lancer les restaurants PNY avec son amie de promo Graffi Rathamohan. L’idée est simple : des restaurants où le burger est roi et le décor inspiré des diners américains. Elle gère l’assiette et lui la partie design. Ils se donnent chacun carte blanche. Mais d’où lui vient ce goût pour le design ? À cette question, il répond : “ma mère est professeure de lettres classiques, mon père est avocat et essayiste, tous deux nous ont trimballés, mes frères et sœurs et moi, tout au long de notre enfance, dans le monde entier, pendant les vacances scolaires, d’un musée de pièces antiques au Caire à de vieilles ruines en Syrie”. Le goût du beau lui a donc été transmis depuis ses plus jeunes années.

Une photo d'un lit.
Un salon lumineux avec une fenêtre.
Une photo d'un salon avec un canapé, une plante et des étagères.
L'appartement de Guénaire à Paris.

Quelque chose d’inassouvi

Quant au cinéma – dont on retrouve des références partout dans ses restaurants, comme un fil rouge –, ce cinéphile averti avoue qu’il n’arriva que tard dans sa vie. C’est à seulement 16 ans que la télévision et le DVD arrivent chez lui, avec une sélection de premier choix. “L’un des premiers films que j’ai regardé était Lawrence d’Arabie, magnifique. Puis on a continué avec de très bons Hitchcock et Kubrick. J’ai toujours été attiré par des films ‘beaux’. L’intrigue a toujours eu beaucoup moins d’importance pour moi.” Ses films préférés guident donc la narration de ses projets d’architecture intérieure, notamment Close de Lukas Dhont (Grand Prix à Cannes en 2022) qui l’émeut, tout comme la profondeur d’Ingmar Bergman, la perfection de Stanley Kubrick qui excelle aussi bien dans l’horreur que la science-fiction, l’intensité de David Lynch dans Lost Highway ou Muholland Drive, ou encore Wong Kar-Wai et ses chefs-d’œuvre 2046 et In the Mood for Love, sans oublier la photographie de Terence Malick ou Hayao Miyasaki.

Pour lancer PNY, au design différent dans chaque restaurant, Rudy Guénaire fait d’abord appel à la toute jeune agence CUT qui a signé le café Coutume. Il est fasciné par leurs idées, notamment les jeux de miroirs qui finissent par nous faire oublier où vous êtes, ou encore la façade en store transparent façon parapluie japonais. Puis il collabore avec Bernard Dubois, jeune architecte belge qui a lui aussi peu de réalisations à son actif, mais déborde de talent. Après plusieurs projets ensemble, Rudy Guénaire part à la recherche d’un nouveau nom. “Mais, pour dire toute la vérité, j’avais en- core quelque chose d’inassouvi dans la tête, dit-il, et j’ai décidé de lancer ma propre agence, Night Flight, l’année dernière. Ce nom est évidemment une référence au roman Vol de nuit d’Antoine de Saint-Exupéry.”

Salle à manger
À l'extérieur des portes des chambres
L'appartement de Guénaire à Paris.
Salle de bains
L'appartement de Guénaire à Paris.

"J’ai imaginé cet ancien atelier d'artiste comme un bateau avec, au rez-de-chaussée, nos chambres à la façon de cabines. La pièce principale, au premier, est éclairée grâce à une verrière rénovée, sans vis-à-vis, à la façon d’un pont supérieur. Cette pièce est un spectacle permanent. La lumière varie du lever au coucher du soleil, comme un tableau vivant."

Des plans au crayon

Pour son premier projet, il décide de refaire son appartement.

“J’ai emménagé dans le 14e arrondissement, dans un ancien atelier d’artiste sur deux niveaux, que j’ai imaginé comme un bateau avec, au rez-de-chaussée, nos chambres à la façon de cabines, donnant sur une jolie cour arborée. La pièce principale, au premier, est éclairée grâce à une verrière rénovée, sans vis-à-vis, à la façon d’un pont supérieur. Cette pièce, c’est un spectacle permanent. La lumière varie du lever au coucher du soleil, comme un tableau vivant. Et avec cet enduit blanc très doux, reflétant la lumière, on est bercé par elle. Pas de meubles ou presque. J’aime bien quand les choses sont intégrées, cela laisse beaucoup plus de respiration dans un espace. L’idée de cet appartement était d’imaginer un endroit calme pour recharger les batteries. L’espace est créé, et ne peut presque pas être modifié.” C’est ainsi que la nouvelle destinée de Rudy Guénaire est lancée.

N’étant pas architecte DPLG et ne maîtrisant pas la 3D, il dessine tous ses plans au crayon. Avec huit ans de réunions de chantiers pour PNY, l’apprentissage est une question réglée et, pour ce qui est de la partie théorique, il l’acquiert avec ses lectures abondantes en la matière, qui s’accumulent sur sa table de chevet. Dernièrement, Les Années 60 d’Anne Bony, une collection de livres/encyclopédies se focalisant sur une décennie, depuis les années 20 jusqu’aux années 80, mêlant architecture, art, mode, musique, etc., mais aussi des livres de La Pléiade sur les philosophes taoïstes, comme Huainan Zi qu’il aime tout particulièrement. En architecture, Rudy Guénaire est influencé par le travail de Frank Lloyd Wright, surtout dans son approche de la nature, ainsi que celui de John Lautner avec sa Chemosphere à Los Angeles et ses multiples réalisations en bois faisant corps avec la forêt. Il préfère les architectes poétiques aux plus dogmatiques qu’il trouve finalement peu inspirants. Quand on évoque l’art contemporain, souvent lié à l’architcture, lui préfère parler d’artisanat, de la main, de tissus anciens et d’un prochain voyage en Ouzbékistan pour en découvrir davantage. Et pour ce qui est du mobilier, il aime le dessiner. Dans le futur, Rudy Guénaire se verrait bien travailler avec son équipe sur des projets de particuliers, loin des restaurants... Un peu patience, cela ne va pas tarder.

Restaurant d'inspiration art déco
PNY à Strasbourg, France.
Tabouret
Coin salon au restaurant.
PNY à Grenoble, France.

Tags

Recommandé pour vous